40e ANNIVERSAIRE TRAITE ELYSEE/8
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40e ANNIVERSAIRE TRAITE ELYSEE/8
• Dossier: le 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée/8
















ACTUALITE...

40ème ANNIVERSAIRE DU TRAITE DE L'ELYSEE
22/01/1963 - 22/01/2003



- Evènements symboliques marquant l'anniversaire du Traité de l'Elysée
- Synthèse de la Déclaration commune franco-allemande du 22 janvier 2003
- Programme des ces cérémonies officielles
- Liens utiles concernant le 40ème anniversaire du Traité de l'Elysée
- Un commentaire par le Professeur Ingo Kolboom



LES QUARANTE ANS DU TRAITÉ DE L'ÉLYSÉE
UNE RELECTURE DE L'EXPRESSION " SOCIÉTÉ CIVILE "




Par le Professeur INGO KOLBOOM, Professeur à l'Université de Dresde, membre du Haut Conseil culturel franco-allemand et membre du comité scientifique du Forum franco-allemand.


Maintenant que les invités d'honneur sont rentrés chez eux, les discours et les écrits sur "l'amitié franco-allemande" se font à nouveau plus rares. Le quotidien nous rattrape, ce même quotidien qui, aux dires du Président fédéral Johannes Rau à l'occasion de son allocution solennelle prononcée au Château de Bellevue le 23 janvier dernier, serait en Allemagne profondément empreint de la France : "Aucun pays n'est aussi présent en Allemagne que la France : dans la conscience des personnes et dans leurs intérêts, dans leurs connaissances et leurs préférences. La coopération franco-allemande est devenue quotidienne au meilleur sens du mot".

22.01.2003 - Conseil des ministres franco-allemand - © Ministère des Affaires Etrangères / F. de la Mure
Celui qui prend cet énoncé au pied de la lettre voudrait bien savoir comment on s'y est pris pour mesurer la "conscience", les "intérêts", les "connaissances" et les "préférences" de la population allemande, de la Sarre à l'Oder-Neisse, pour pouvoir ainsi tirer un si beau constat, avec lequel on enjolive par ailleurs encore bien d'autres discours.

Si l'on prend pour exemple des données quantifiables telles que les habitudes de lecture et de télévision, les sorties au théâtre et au cinéma, les voyages à l'étranger, les connaissances linguistiques, la culture culinaire, etc...., le quotidien allemand se révèle alors empreint d'une multitude de pays et de cultures, mais il ne s'agit pas toujours pour autant de la France. En ce qui concerne les intérêts, les connaissances et les préférences, d'autres périodes de l'histoire allemande s'avèrent nettement plus "francophiles", seulement ce furent là des périodes pendant lesquelles la coopération politique était beaucoup moins au goût du jour qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Afin de mieux illustrer cette "trivialité", le Président fédéral mentionne les deux exemples de la chaîne de télévision "ARTE" et de la "Brigade franco-allemande". Si l'on peut discuter longuement à propos du degré de connaissance de la brigade auprès du public, la citer pour exemple de la présence française au sein de notre quotidien relève d'une pensée téméraire; il est des contrées en Allemagne où le corps germano-hollandais pourrait être encore mieux connu. Tout dépend donc du lieu à partir duquel on choisit d'observer. Et pour ce qui est de la chaîne de télévision ARTE, louée à l'excès dans tous les discours, articles et déclarations comme véritable joyaux de la coopération franco-allemande, elle se révèle en fait rien de moins qu'un couteau à double tranchants: les quelques un pour cent des foyers allemands qui sélectionnent ARTE ne devraient pas, en toute bonne foi, être appelés à représenter la conscience quotidienne des téléspectateurs allemands dans leur ensemble.

Dans ces conditions, les allocutions solennelles franco-allemandes relèvent aujourd'hui de l'usage d'une rhétorique politique que, de toute façon, plus personne ne prend au sérieux, mais qui doit tout de même donner à tous les partis concernés l'impression de vivre dans "le meilleur des mondes" franco-allemands. Et gare à celui qui ose rappeler que jamais depuis le XVIIIe siècle le français ne fut si peu parlé et compris par les couches instruites de la société allemande qu'il ne l'est à ce jour. Une "étude PISA franco-allemande" dresserait pour sûr à nos deux pays et cultures un bien piètre bulletin de notes. Si dans la Déclaration commune du Président Chirac et du Chancelier Schröder prononcée le 22 janvier de cette année, "une meilleure connaissance mutuelle de nos sociétés et de nos cultures"se retrouve explicitement identifiée comme condition essentielle à l'élaboration d'une "coopération renforcée entre la France et l'Allemagne", alors il y a vraiment lieu de se réjouir du fait que la coopération politique soit davantage dirigée par les intérêts de la "real-politique" que par le niveau réel de connaissance mutuelle. Ceci s'applique tout autant à notre propre pays. Dans cette veine, le Chancelier nous livre une preuve supplémentaire des mauvais résultats de l'Allemagne à l'échelle de l'étude PISA, choisissant expressément, au cours de son allocution dans la Galerie des glaces du Château de Versailles le 22 janvier dernier, le bien francophile roi Louis II de Bavière en tant que témoin tragique de l'humiliation française, au moment de la proclamation impériale de Versailles le 18 janvier 1871.
Le Professeur Ingo Kolboom
http://www.tu-dresden.de/sulcifra/
En réalité absent lors de la proclamation impériale, ce même Louis, qui fut à l'époque âprement critiqué par les cercles nationalistes allemands en raison de sa répulsion avouée envers l'Empire allemand et ses représentants, pouvait fort difficilement être l'auteur de ce que lui attribue le Chancelier: "(…) c'est le même Louis II qui porta la tragédie à son comble : il ne vint qu'une seule fois à Versailles et ceci à dessein pour infliger un camouflet à la France. C'est ici précisément, dans la Galerie des glaces, qu'il couronna Guillaume Ier Empereur d'Allemagne".

Toutefois la rhétorique commémorative franco-allemande ne s'arrête pas qu'à ces tentatives plus ou moins réussies d'emprunter des citations pédagogiques à l'histoire. Elle s'affirme plus encore dans l'annonce d'initiatives toujours plus neuves les unes que les autres. Mais à y regarder de plus près, il saute aux yeux qu'on nous ressert trop souvent du vieux vin dans une nouvelle outre. Lors de la Déclaration commune de Jacques Chirac et de Gerhardt Schröder, notre "coopération sans précédent" se voit illustrée en quarante-trois articles et stimulée pour l'avenir. Les déclarations d'intention se suivent littéralement les unes les autres. Le fait est que dans les systèmes d'éducation allemand et français, le bilinguisme (i.e. le français et l'allemand respectivement placés sur un pied d'égalité avec l'anglais) est devenu un luxe au sens pur.

Par conséquent, il apparaît plus que suspect que ces deux États précisément prétendent vouloir se porter garants du "pluralisme linguistique dans les institutions de l'Union" (Article 12) et de "la diversité des langues" (article 15). Des pays comme la Finlande, les Pays-bas ou le Luxembourg pourraient prétendre à cette politique européenne du pluralisme linguistique avec beaucoup plus de légitimité, puisqu'ils en sont déjà les véritables représentants crédibles dans l'enceinte de leurs propres frontières.

La volonté affichée des deux gouvernements "d'encourager les jeunes de nos deux pays à considérer la France et l'Allemagne comme un cadre unique pour l'accomplissement de leurs études et l'exercice de leur profession" (Article 17) est, de son côté, aussi pieuse que leur résolution à "souligner l'importance de garantir la présence dans le paysage audiovisuel français et allemand d'au moins une chaîne du pays partenaire et d'encourager la réalisation et la diffusion de programmes communs par les organismes de radiodiffusion et de télévision des deux pays" (Article 21). Ces deux objectifs prennent pour acquis l'existence d'un espace culturel et linguistique homogène et fonctionnel, à la réalisation duquel les conditions nécessaires manquent pourtant de plus en plus cruellement à l'appel. À la vérité, la proportion réelle de jeunes (tous types d'institutions scolaires confondus) qui ont la possibilité ou éprouvent le désir d'apprendre la langue du pays partenaire va toujours décroissante. De moins en moins de gens sont en mesure de comprendre le contenu linguistique et culturel d'une chaîne de télévision du pays voisin. Pour cette raison, la disposition de la majorité à sacrifier à cette fin la diffusion d'une autre chaîne en langue maternelle est en déclin constant.

Évidemment il sied bien d'encourager "l'ouverture européenne de la chaîne culturelle ARTE, tout en conservant son identité franco-allemande" (Article 21). Mais ne serait-il pas plus pertinent de s'assurer qu'une proportion plus importante que les quelques un pour cent actuels de la population allemande puisse s'intéresser à ARTE, et que cette chaîne puisse également être reçue en France en langue allemande? Il persiste des régions en Allemagne où le mot ARTE est totalement étranger, tout simplement parce qu'ARTE ne peut y être capté sur les réseaux câblés locaux. Le Haut Conseil culturel franco-allemand (qui n'est évoqué dans aucun des discours officiels commémorant le quarantième anniversaire) revendique depuis de nombreuses années une multitude de mesures concrètes; il n'a jamais rencontré d'écho. En revanche sa vielle proposition de doter ARTE d'un programme franco-allemand pour les enfants et les jeunes, dans le but à tout le moins d'encourager chez ce groupe d'âge l'intérêt pour la langue et la culture du pays voisin à l'extérieur du cadre scolaire, s'est vue bêtement contrecarrée: la chaîne nationale pour enfants déjà diffusée en Allemagne (" Kika ") a gagné le statut de programme pour la journée entière; et dans plusieurs régions, ce développement se fit au détriment du temps d'émission de la chaîne ARTE.

Dans la tentative d'armer la Déclaration commune de nouvelles initiatives et de signes de réussite, on ne trouve strictement aucun renvoi à l'élargissement de la coopération franco-allemande à la Pologne sous la forme du "Triangle de Weimar", inauguré il y a dix ans. C'était compter avec la mémoire courte des médias, qui devaient bien sûr tout oublier de cette initiative, cette fois pourtant de portée réellement historique. D'ailleurs, il n'en est fait mention dans aucun des autres discours. Par contre l'annonce de la création d'un institut culturel conjoint et d'ambassades communes à Moscou ne devait pas manquer au rendez-vous. Les archives sont bourrées de telles déclarations d'intention. Il y a déjà bien des années, on nous promettait la création d'une ambassade commune à Ulan Bator et d'un institut culturel germano-franco-polonais à Varsovie; nous attendons encore avec avidité ne serait-ce que leur simple apparition. N'aurait-il pas été plus conséquent, par respect vis-à-vis de la coopération conjointe avec la Pologne, de fonder enfin l'institut culturel de Varsovie, et d'y joindre immédiatement une ambassade commune? Dans le contexte de l'élargissement à l'Est de l'Union européenne, cette initiative aurait été d'une portée beaucoup plus que symbolique.

On trouve également, au compte des nouvelles déclarations, le projet d'instituer "un Secrétaire général pour la coopération franco-allemande dans chaque pays. Personnalité de haut niveau, il sera rattaché personnellement au Chancelier et au Premier ministre et disposera d'une structure appropriée au ministère des Affaires étrangères. (...) Il sera assisté d'un adjoint du pays partenaire" (Article 41). L'observateur averti se demande franchement ce qui peut bien faire la différence entre ce Secrétaire général et le déjà existant "Coordonnateur pour la coopération franco-allemande", en place depuis plusieurs décennies et rattaché au ministère des Affaires étrangères. Le transfert des compétences du ministère des Affaires étrangères au Chancelier et au Premier ministre est-il à tel point significatif qu'il faille pour cela créer une nouvelle charge ? Et qu'advient-il du Coordonnateur déjà en place qui était lui aussi, faut-il le rappeler, "une personnalité de haut niveau"? Aurons-nous affaire dans l'avenir à six délégués /représentants intérimaires /coordonnateurs? Peut-on sérieusement s'attendre à ce que la coopération franco-allemande s'en porte mieux si une nouvelle charge est instituée à l'occasion de chaque jubilée?

Une autre nouveauté est la proposition de "permettre à nos ressortissants de bénéficier, s'ils le souhaitent, de la nationalité de nos deux pays" (Article 22). Cette possibilité était-elle jusqu'ici inexistante? Les nombreux citoyens déjà en possession des deux passeports n'étaient-ils donc que de vulgaires "illégaux" ? Ou faut-il plutôt comprendre que chacun dont le cœur et l'esprit sont gagnés au pays voisin peut demander, pour ainsi dire au sens symbolique, la nationalité du pays partenaire ? Ce serait déjà bien, et il faudrait prendre cette proposition au pied de la lettre. Néanmoins il serait encore plus important de favoriser les infrastructures indispensables à la poursuite d'un tel développement. Autrement dit, chaque Allemand et chaque Français devrait pouvoir faire reconnaître ses diplômes scolaires et professionnels dans le pays voisin, exactement comme s'il était dans son propre pays. Faut-il mentionner ici qu'Américains et Canadiens, qui n'ont pourtant aucune "Union européenne", disposent de cette possibilité depuis longtemps ? Quelle révolution aurait-on là dans le chaos des équivalences et de la bureaucratie franco-allemandes, et ce déjà sans nationalité commune ! Ce cadre unique pour l'éducation et la profession, tel que souhaité à l'article 17, deviendrait sur le champ une réalité plausible.

La Déclaration commune est farcie d'annonces et de propositions concrètes destinées avant tout à satisfaire les besoins du public, nées sous la pression manifeste qu'exerce la tenue d'une commémoration officielle. Toutefois la lecture de ce long document, plus long en fait que l'historique Traité de l'Élysée lui-même, rend perplexe jusqu'à en couper le souffle. Plus court aurait été préférable, plus court aurait offert davantage ; ce fut jadis la clef du succès du Traité de l'Élysée. Les gouvernements des deux États auraient été mieux avisés d'émettre une très brève déclaration le 22 janvier dernier. Et ils auraient du se donner la peine de rappeler, portant cérémonieusement à réfléchir, que le Traité de l'Élysée, conclu il y a quarante ans entre l'Allemagne de l'Ouest et la France, s'applique désormais depuis douze ans à l'ensemble du peuple allemand. Au demeurant, ce nouvel état de fait, quant à lui véritablement historique, ne se voit apprécié dans aucun des discours officiels prononcés à l'occasion du 22 janvier. Continuant de s'exprimer en ce sens, les deux gouvernements auraient pu en profiter pour enfin donner corps sans plus attendre à toutes les déclarations et ententes publiées depuis la signature de l'Accord culturel franco-allemand du 23 octobre 1954, qui emplissent aujourd'hui un livre entier, et pour renforcer les institutions déjà existantes. On pourrait laisser tout le reste aux modalités d'application, mais le citoyen aurait une prétention légitime au respect de toutes les promesses engagées.

Bref, la coopération franco-allemande tombe à son tour sous le joug douteux des usages et convenances, typiques de cette "société du spectacle" à laquelle appartient désormais notre grisaille quotidienne. De cette façon, elle passe à la "normalité" (faut-il comprendre à la banalité ?), dans une dimension autre que celle où l'entendait le Président fédéral Johannes Rau. La "journée franco-allemande" prévue tous les ans le 22 janvier, fraîchement instituée à l'article 16 de la déclaration commune, doit-elle tout autant relever de cette morosité ? Aurons-nous dès ce jour le bonheur, nous les amis de la France, d'assister impuissants, tous les 22 janvier, à d'éternelles professions et déclarations d'intention sans cesse renouvelées, pour la concrétisation desquelles nous attendrons encore, malheureusement, en vain ? Un haut fonctionnaire joliment perché dans son ministère nous offrait déjà toute fraîche la soi-disant consolation idéale : "De quoi vous irritez-vous ? Nous n'avons absolument aucune obligation d'accomplir ces recommandations."

Dresde, le 2 février 2003
















Dec 7, 2004, 12:17


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