Sommet
de Saint Pertersbourg 11-12 avril 2003 :
Discours du Président de la République, "Sécurité
mondiale et droit international : regard sur le futur"
Saint Petersbourg, 12 avril 2003.
Monsieur le
Président de la Fédération de Russie,
Herr Doktor Bundeskanzler,
Monsieur le Doyen,
Mesdames et Messieurs,
C'est un honneur
pour moi de prendre la parole aujourd'hui devant votre éminente
assemblée pour évoquer des questions aussi essentielles
que le droit et la sécurité. Aussi, permettez-moi
de remercier très chaleureusement le Président POUTINE
de m'avoir associé à cette initiative, aux côtés
de mon ami le Chancelier Fédéral d'Allemagne, Gerhard
SHRÖDER que je félicite à nouveau pour son grade
de Docteur honoris causa de l'une des plus prestigieuses Université
et Faculté de droit de notre monde contemporain.
Je me réjouis
aussi d'être à Saint-Pétersbourg. A Paris, en
février dernier, lors de sa visite d'Etat, j'avais confié
au Président de la Fédération de Russie toute
mon admiration, ma très grande admiration pour la ville qui
l'a vu naître. Cette extraordinaire cité, née
du rêve de Pierre le Grand, fruit d'un courage inouï,
d'une volonté inébranlable. Cette ville sortie de
la mer à la voix d'un homme ; symbole, voici trois siècles,
d'une nouvelle Russie, amarrée à l'Europe, résolument
tournée vers les Lumières de la raison, de la science
et du progrès. Cette ville, dont le nom retrouvé est
en quelque sorte le symbole du retour de la Russie à son
histoire, à l'Europe, à la démocratie et à
la grandeur.
Mesdames et
Messieurs,
Rassembler
pour un colloque consacré à la sécurité
et au droit international le Président de la Fédération
de Russie, le Chancelier Fédéral d'Allemagne, le Président
de la République française a valeur de symbole, celui
de trois nations appartenant à un continent qui, après
les totalitarismes, deux conflits mondiaux, l'Holocauste, près
de cinquante années de guerre froide, a fait le choix de
se libérer des jeux de puissance. Une Europe réconciliée
avec elle-même et qui a désormais effacé ses
anciennes fractures.
Cette Europe,
elle a longtemps hésité entre lumières et ténèbres.
Elle a longtemps privilégié la force sur le droit,
mais elle a voulu aussi se dépasser en puisant son inspiration
dans les valeurs de la démocratie.
Cette Europe,
n'oublions pas ce qu'elle doit à l'Amérique dans la
prise de conscience, au lendemain de la première guerre mondiale,
que la politique étrangère doit être guidée
aussi par les valeurs de la démocratie. Et le monde sait
également que la contribution des Etats-Unis a été
déterminante pour fonder sur ces valeurs l'Organisation des
Nations Unies en 1945.
A l'ère
des blocs, la Charte des Nations Unies a pu sembler un idéal
hors de portée : comment encadrer le recours à la
force, comment assurer la suprématie du droit, dans un monde
animé par une logique d'affrontement et de course aux armements
?
Pendant près
de cinquante années, l'équilibre des moyens de destruction,
la crainte d'une apocalypse nucléaire, ont été,
dans la réalité, le fondement de l'ordre international.
Nous voyons
maintenant que la prétendue "fin de l'histoire"
s'est traduite par le retour de la guerre comme option de règlement
des conflits. Paradoxalement, dans le même temps, la victoire
de nos valeurs communes nous permet d'espérer et d'inventer
un monde où, selon les principes de responsabilité
collective et de solidarité, les Etats acceptent librement
de voir la force assujettie au droit. Un monde où, dans le
cadre des Nations Unies, la définition collective de l'équilibre
nécessaire entre diplomatie et force est source d'équité.
Un monde où il ne peut y avoir de recours à la force
que soutenu par la Communauté internationale. Nous retrouvons
ainsi les fondements de la Charte des Nations Unies.
C'est ce monde
de droit et de justice, appuyé par un partenariat harmonieux
entre grands ensembles, que nous appelons de nos voeux. Il n'est
pas une utopie. Au Koweït en 1991, au Cambodge, dans les Balkans,
en Sierra Leone, au Timor Oriental, l'ordre international, décidé
et assumé collectivement, a prévalu.
De même, au lendemain de la tragédie du 11 septembre,
la Communauté internationale s'est immédiatement rangée
aux côtés des Etats-Unis agressés. L'ONU a,
sans délai, légitimé le recours à la
force contre ceux qui avaient commis ou rendu possible cet acte
odieux. La cause était juste, la guerre en Afghanistan était
légitime, la Communauté internationale était
unie dans sa détermination.
Le monde dans
lequel nous vivons est un. Le combat que nous menons contre les
nouvelles menaces, le terrorisme, la prolifération des armes
de destruction massive, doit respecter les principes que nous défendons.
Le respect du droit est la vraie force des démocraties. Il
n'est pas un aveu de faiblesse, mais une exigence morale et politique
et un facteur d'efficacité.
Guidée
par les valeurs de la démocratie, l'action internationale
doit s'appuyer sur des normes collectives incontestables et s'accompagner
de la mise en place d'une justice internationale qui donne à
ces normes juridiques toute leur force. Aucun ordre international
durable ne peut reposer sur une logique de puissance.
Le dialogue,
la compréhension et le respect de l'autre sont également
des éléments nécessaires d'un ordre international
juste. Assurer le dialogue entre les cultures, entre les civilisations,
entre les religions, c'est éviter que leur affrontement ne
fasse le jeu des fanatiques et des ennemis de la liberté.
C'est oeuvrer dans le sens de nos valeurs.
Nous savons
aussi que le droit et le dialogue ne peuvent pas toujours être
la seule réponse. Pour être crédible, la diplomatie
doit pouvoir s'appuyer sur la force militaire. L'Europe sait ce
qu'il en a coûté aux démocraties de ne pas avoir
su se résoudre à temps à cette nécessité.
L'usage de la force est parfois le prix de la paix mais, conformément
à la Charte des Nations Unies, ce doit être l'arme
du dernier recours, quand toutes les autres solutions ont été
épuisées.
Mesdames et
Messieurs,
Dans la crise
de l'Iraq, la Communauté internationale s'est divisée.
Le différend n'a jamais porté sur la condamnation
d'une dictature, dont la chute réjouit la France, comme toutes
les démocraties. Notre différend a porté sur
la manière de gérer le monde, ses crises et notamment
les crises de prolifération.
J'ai la conviction
que la Communauté internationale peut se retrouver autour
des valeurs qui fondent les Nations Unies.
Aujourd'hui,
la priorité est de faire face à l'urgence et de répondre
au plus vite aux besoins humanitaires des populations éprouvées.
Demain, après
la phase de sécurisation nécessaire, les Nations Unies
devront jouer un rôle central pour assurer le retour à
la souveraineté de l'Iraq et rendre au peuple Iraquien sa
dignité dans la liberté retrouvée. C'est la
vocation et la mission des Nations Unies qui incarnent le droit
au service des peuples et le respect de leur diversité.
Nos pays, dans
le cadre des Nations Unies, sont prêts à prendre toutes
leurs responsabilités pour permettre la reconstruction de
l'Iraq et sa démocratisation. C'est ainsi que l'Iraq de demain
pourra reprendre toute sa place dans la Communauté internationale
et contribuer, par sa stabilité, à l'équilibre
de l'ensemble de la région.
C'est notre
ambition. Nous pensons aujourd'hui qu'elle peut être largement
partagée dans le monde. Nous mettrons tout en oeuvre pour
qu'elle se réalise, parce que l'action des Nations Unies
est la meilleure garantie pour donner aux Iraquiens la maîtrise
de leur destin et apaiser le sentiment de frustration des peuples
de la région.
Nous savons
que les Nations Unies ont, à travers leurs agences, les moyens
d'agir efficacement. Elles ont l'expérience requise pour
assister le peuple iraquien dans le gigantesque effort de reconstruction
et de renouveau politique qui s'ouvre devant lui.
Au-delà
de la question de l'Iraq, au-delà de la nécessaire
relance du processus de paix au Proche-Orient, ce qui est en jeu
aujourd'hui, c'est bien notre capacité à donner des
fondations solides à un nouvel ordre mondial reposant sur
l'adhésion des peuples, sur leur liberté et sur le
respect de leur identité.
Nous pouvons
reconstruire notre unité autour des valeurs qui nous sont
communes, qui sont communes à toutes les grandes démocraties.
L'esprit de solidarité et de responsabilité collective
doit sortir renforcé de cette épreuve. C'est en tout
cas l'esprit qui anime la France.
Je vous remercie.
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