Sommet
de Saint Pertersbourg 11-12 avril 2003 :
Conférence de presse conjointe de M. Jacques Chirac, Président
de la République française, de M. Vladimir Poutine,
Président de la Fédération de Russie et de
M. Gerhard Schröder, chancelier de la République fédérale
allemande
Saint Petersbourg, 11 avril 2003.
LE PRESIDENT
POUTINE - Bonjour, Mesdames, Messieurs. Nous venons de terminer
une réunion France-Allemagne-Russie au plus haut niveau.
Comme vous le savez, ceci n'est pas le premier sommet de ce genre.
En mars 1999, les leaders des trois pays se sont déjà
réunis à Moscou. Le fait que nous nous réunissions
à nouveau n'est pas un effet du hasard. C'est une nécessité
objective conditionnée par le grand niveau des relations
bilatérales et de la prise de conscience de nos responsabilités
pour la situation en Europe et dans le monde entier.
A la veille
du sommet Russie-Union européenne à Saint-Pétersbourg
le 31 mai prochain, c'est très important pour nous de discuter
la préparation de cet événement extraordinaire,
de vérifier l'état de toutes les questions relatives
à notre coopération avec l'Union européenne.
Nous allons tout faire pour rendre ce sommet non seulement historique
de par ses les participants mais aussi par la nature des décisions
qui vont être prises.
Nous avons
beaucoup parlé aujourd'hui de l'architecture de sécurité
internationale. Et, dans ce contexte, nous avons souligné
la fonction unique de l'ONU en tant que principal mécanisme
régulateur dans les relations internationales. Une opinion
partagée a été énoncée que ce
n'est pas possible d'atteindre ces objectifs sans une coopération
à l'intérieur de l'espace transatlantique et euro-atlantique.
Et, bien évidemment,
dans le cadre de ces discussions, nous avons parlé de la
crise iraquienne. La position de notre pays sur ce plan reste inchangée.
Aujourd'hui, les tâches prioritaires pour nous sont bien évidemment
le passage vers le rétablissement de bases plus paisibles
dans ce pays, la solution des questions humanitaires. Et nous estimons
que tous ces problèmes, toutes ces questions peuvent être
réglées et doivent être réglées
dans le respect du rôle central de l'ONU.
Nous avons
dit notre opinion commune que la situation en Iraq ne devait pas
faire perdre de vue la nécessité des efforts internationaux
en vue de surmonter d'autres conflits régionaux. Nous avons
évoqué le conflit israélo-palestinien et la
progression vers le règlement définitif au Proche-Orient.
Nous avons discuté de la perspective d'une feuille de route
que vous connaissez. Nous avons discuté du problème
de la péninsule de Corée, de la situation de la Corée
du nord. Bien évidemment, nous avons évoqué
d'autres questions d'intérêt mutuel y compris l'aspect
bilatéral Russie-Allemagne, Russie-France.
Au total, nous
sommes optimistes pour ce qui est de la perspective de nos relations
bilatérales avec la France et l'Allemagne. L'intérêt
de Moscou, Paris et Berlin est de développer leurs relations
traditionnelles et anciennes, qui ne sont pas fonction de la conjoncture
politique, et nous sommes persuadés que le développement
de ces relations a une grande importance pour le renforcement de
la stabilité européenne et internationale. Merci.
LE PRESIDENT
CHIRAC - Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord souligner le
plaisir que j'ai de me retrouver ici à Saint-Pétersbourg
avec le Président POUTINE et le Chancelier SCHRÖDER.
C'est vrai que notre dernière réunion à trois
avait eu lieu à Bor, à côté de Moscou,
et j'en avais d'ailleurs gardé un excellent souvenir.
Cette rencontre
nous a permis d'évoquer la situation internationale. Sur
l'Iraq, il existe depuis le début de la crise, vous le savez,
une étroite concertation entre nos trois pays. Avec la chute
de la dictature de Saddam HUSSEIN, nous allons entrer dans une nouvelle
phase. Notre objectif à tous, je crois, doit être de
créer les conditions qui rendront au peuple iraquien sa dignité
et la maîtrise de son destin. Dans l'immédiat, comme
vient de le dire le Président POUTINE, la priorité
de la communauté internationale doit être de venir
en aide au peuple iraquien. C'est pourquoi il faut acheminer au
plus vite l'aide humanitaire dont la population a besoin dans tous
les domaines, à commencer bien entendu par les hôpitaux.
Dès
que possible, et après la phase nécessaire de sécurisation,
il faut engager la reconstruction politique, administrative, institutionnelle,
sociale, économique de l'Iraq. Et c'est une tâche immense.
Il appartiendra, selon nous, aux Nations Unies d'y jouer un rôle
central. Seules les Nations Unies ont la légitimité
nécessaire. Elles seront efficaces car elles ont l'expérience
depuis longtemps de la gestion des sorties de crise. Elles seules,
les Nations Unies, peuvent apporter au peuple iraquien la garantie
que son intégrité, sa souveraineté, son identité
seront pleinement reconnues et respectées. Elles seules peuvent
donner toutes ses chances à la construction d'un ordre régional
stable et pacifique.
En tous les
cas, c'est aujourd'hui le combat de la France. Double combat, humanitaire
dans l'immédiat et politique pour la gestion de la sortie
de cette crise et la reconstruction de l'Iraq. En ce qui concerne
la France, nous sommes naturellement, dans ce cadre, celui des Nations
Unies, prêts à prendre toutes nos responsabilités.
Nous avons
évoqué le problème du Proche-Orient. Vous savez
que nous attendons avec impatience la publication annoncée
de la feuille de route du Quartet. Nous avons déjà
plus de trois mois de retard. Nous pensons qu'il est maintenant
tout à fait urgent d'engager, par cette publication, un processus
de retour à la paix dans cette région du monde.
Nous avons
également examiné les moyens de renforcer le partenariat
entre la Russie et l'Union européenne, et ceci à la
veille de la réunion du sommet Union européenne-Russie
qui se tiendra ici-même à Saint-Pétersbourg
dans quelques semaines. Avec l'Allemagne, nous sommes très
désireux d'aller de l'avant et nous avons d'ailleurs fait,
les Allemands et nous, des propositions concrètes à
nos partenaires de l'Union européenne pour renforcer la coopération
entre l'union européenne et la Russie.
Au-delà
de l'actualité immédiate, qui comportait aussi une
réflexion sur le problème de la Corée du nord,
au-delà de ces problèmes, la relation bilatérale,
que nous avons également évoquée avec le Président
POUTINE, est excellente entre la France et la Russie. Nous avons
des domaines privilégiés de concertation et de coopération,
qui sont le domaine aéronautique et spatial et aussi le domaine
de l'énergie.
Nous avons
évoqué la préparation du sommet d'Evian, qui
sera important, et nous avons dit, le Chancelier et moi, au Président
POUTINE combien nous souhaitions que la Russie ratifie le plus rapidement
possible, comme elle l'a décidé, le protocole de Kyoto.
Voilà
quelques-uns uns des sujets que nous avons évoqués.
Il y en avait d'autres mais j'ai voulu ne pas être trop long.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - La journée d'aujourd'hui prouve combien la
situation internationale peut avoir une influence sur une rencontre
bilatérale d'un caractère tout à fait normal
et ordinaire. Je me permets de vous rappeler qu'à l'origine,
il était prévu que nous nous rencontrions ici dans
le cadre du dialogue de Saint-Pétersbourg, ce qui d'ailleurs
a été fait.
Mais il est
évident que la situation internationale passe au premier
rang de nos délibérations. Il est aussi heureux pour
moi que le Président français ait pu participer à
cette rencontre, notamment parce que le débat sur la situation
internationale s'avère impératif entre nous.
Permettez-moi
aussi de dire que le dialogue de Saint-Pétersbourg entre
la Russie et l'Allemagne a une fois de plus montré la qualité
excellente des relations entre les deux pays. C'est à dessein
que nous avons dit que, très probablement depuis cent ans,
les relations entre la Russie et l'Allemagne n'ont jamais été
aussi bonnes qu'elles le sont à l'heure actuelle. Et, après
les expériences fâcheuses de guerres sanglantes au
cours du dernier siècle, en effet, cela était loin
d'être une évidence.
Dans le cadre
de ce dialogue de Saint-Pétersbourg, nous avons constaté
qu'il s'agit non seulement de relations entre gouvernements qui
entretiennent des liens amicaux entre eux, ou entre ceux qui sont
à leur tête, mais qu'il s'agit aussi de relations qui
touchent à la vie quotidienne des citoyens de nos deux pays
et qui sont ancrées dans le coeur des hommes et des femmes
en Allemagne et en Russie. C'est pourquoi je m'en félicite
tout particulièrement.
Naturellement,
nous avons parlé des relations bilatérales mais également
des relations entre l'Union européenne et la Russie. Vous
n'êtes pas sans savoir que la coopération entre la
France et l'Allemagne au sein de l'Union européenne a toujours
une qualité particulière et continuera à l'avoir
à l'avenir. J'ouvre une parenthèse en disant que,
lorsque cette coopération n'était pas étroite,
ce sont justement nos partenaires de l'Union européenne qui
nous ont critiqués. Parfois, on est étonné
de voir que lorsque les relations sont particulièrement étroites,
l'on se fait critiquer également. Mais la vie est comme cela,
que voulez- vous ! La vie politique est comme cela, parfois.
En tout cas,
cette coopération entre la France et l'Allemagne, sans pour
autant vouloir exclure qui que ce soit au sein de l'Union européenne,
est un facteur important en vue de ce processus que nous voulons
renforcer, c'est-à-dire la stratégie entre l'Union
européenne et la Russie, pour qu'elle ne soit pas seulement
théorique mais qu'elle devienne une réalité
au sein de la société, de l'économie, de la
politique. Ceci est de l'intérêt des deux parties.
C'est notre intérêt qu'une coopération plus
étroite, un partenariat stratégique entre l'Union
européenne et la Russie se développent.
Naturellement,
nous avons parlé de l'Iraq. Je serai très bref car
je voudrais souscrire à ce que viennent de dire les deux
Présidents. Il s'agit maintenant de pouvoir mettre une fin
définitive à la guerre. Toute journée qui permettra
de terminer cette guerre plus tôt que prévu est une
meilleure journée que dans le sens inverse, car on évitera
des victimes aussi bien parmi la population civile que parmi les
militaires engagés dans cette guerre.
Deuxièmement,
nous devons arriver à ce qu'une catastrophe humanitaire soit
évitée, c'est-à-dire que nous devons en arriver
à ce que les individus, les hommes, les femmes, les enfants
puissent avoir les moyens d'être alimentés en eau et
en nourriture. Je crois que la résolution du Conseil de sécurité
en offre une très bonne base. L'Allemagne, à l'instar
des autres, l'a déjà dit. Elle va faire preuve d'un
effort important lorsqu'il s'agira de financer l'aide humanitaire
sur la base des résolutions des Nations Unies. En plus, il
incombera aux alliés, et ceci à la lumière
des images que nous voyons à la télévision
en ce qui concerne les pillages et autres choses, de ne ménager
aucun effort pour rétablir l'ordre dans le pays pour éviter
tout autre pillage.
Puis, il s'agira
de l'organisation du processus de reconstruction. Je ne vous dévoile
pas un secret, nous l'avons dit sans cesse, l'Allemagne également
entend jouer un rôle central dans ce processus, dans le cadre
des Nations Unies. La reconstruction, permettez-moi de le dire ainsi,
doit se faire sous le toit des Nations Unies. Quant aux détails,
on pourra voir après, on devra en parler avec les alliés
mais il faut que le toit soit bien défini, et ceci en tenant
compte de l'expérience riche des Nations Unies dans ce type
de processus, qui leur donne une fonction légitime à
laquelle il a été fait allusion déjà.
C'est pourquoi il importe, à mon avis, qu'au cours de ce
processus, on fasse le nécessaire pour qu'après la
chute de la dictature dans ce pays, le peuple iraquien soit en mesure
de mener une vie qu'il pourra déterminer lui-même,
de vivre en paix et je dirais que ceci doit unir tout le monde,
non seulement ceux qui sont présents ce soir ici. Il importe
pour moi que l'on voie très clairement que, sur cette toile
de fond, tout débat qui voudrait que nous, hommes politiques,
nous aurions fait une mutation, que nous serions devenus des forgerons
d'un mouvement "anti je ne sais quoi", est loin d'être
justifié. Il s'agit pour nous d'apporter notre aide dans
une situation très difficile, de faire le nécessaire
absolu.
QUESTION -
On a l'impression que les forces d'occupation en Iraq ont oublié
leurs responsabilités dans le pays. Les pilleurs, la catastrophe
humanitaire, l'anarchie. Comment voyez-vous cela? Est-ce que l'action
militaire a abouti en Iraq?
LE PRESIDENT
POUTINE - Je me permettrai de commencer, si mes collèges
sont d'accord. La première partie de la question concerne
la responsabilité des forces d'occupation pour la situation
en Iraq. Nous ne sommes pas réunis ici pour critiquer les
actions d'occupation. Notre position concernant ce problème
n'a pas changé. Je ne crois pas que les membres de la coalition
anti-iraquienne ont oublié leurs responsabilités.
Par contre, je crois qu'ils font tout pour prévenir la catastrophe
humanitaire. D'autre part, la chaîne des problèmes
est telle que, résoudre ce problème, ils sont incapables
de le faire. C'est la réalité. Ils le savent. Ils
ont signé la résolution de l'ONU adoptée il
n'y a pas longtemps. D'après la Convention de Genève,
ils sont responsables pour la situation dans le pays. Nous, on pense
que tout va être fait.
En ce qui concerne
les buts, est-ce que les buts de cette action militaire ont abouti
? Mais il ne peut y avoir qu'un seul but : le désarmement
de l'Iraq, la recherche des armes de destruction massive. Comme
nous le savons, rien n'a été trouvé. Même
aux derniers moments de sa lutte pour la survie, le régime
iraquien n'a pas utilisé ses moyens. Nous ne savons pas :
est-ce qu'ils existaient, existent ou pas, ces moyens de destruction
massive ? Mais si, dans le dernier moment de son existence, il n'a
pas utilisé ces moyens, c'est le témoignage de ce
qu'ils n'existent pas ou qu'ils sont dans un état où
ils ne peuvent pas être utilisés.
Alors là,
la question se pose de l'utilité de cette action. Quel problème
voulait-on résoudre? Voilà en ce qui concerne la question
principale, la question du désarmement de l'Iraq.
S'agissant
de la question des armes de destruction massive, je crois que l'on
n'a pas atteint les buts. C'était même impossible de
le faire sans les experts de l'Organisation des Nations Unies. Tôt
ou tard, ceci devra être fait parce que les découvertes
des forces de l'Alliance ne peuvent pas être reconnues comme
légitimes. A leur place, j'aurais trouvé quelque chose.
Déjà, c'est étrange qu'ils n'aient rien trouvé.
Si quelque chose doit être trouvé, seuls les inspecteurs,
les experts des Nations Unies peuvent dire d'où proviennent
ces armes.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - Tout d'abord, je voudrais dire que c'est une victoire
militaire ou que cela deviendra une victoire militaire, aucun doute
ne peut être permis. Il importera maintenant de faire de cette
victoire militaire un bénéfice pour le peuple iraquien
et pour toute la région et, à partir de là,
pour la politique internationale. Voilà le devoir qui est
le nôtre.
A la lumière
de ce devoir, je me passerai de parler du passé. Mais je
parlerai plutôt avec d'autres sur les possibilités
qui existent pour faire d'une victoire militaire un bénéfice
durable pour le peuple iraquien et la région. Et c'est exactement
de cela que nous avons parlé ce soir. Et ceci doit se faire
le plus vite possible. Plus nous réaliserons ce point, plus
la chance sera grande. Aide humanitaire pour le peuple iraquien
dans les meilleurs délais, aussi vaste que possible, rétablissement
de l'ordre dans le pays sous la responsabilité des alliés.
Et, troisièmement, sous le toit des Nations Unies, il faudra
donner l'aide et des perspectives en vue de la reconstruction d'un
Iraq démocratique dont nous espérons qu'à l'avenir
il connaîtra la prospérité. D'ailleurs, vu le
potentiel énorme qui existe dans ce pays, je crois que cela
est faisable. Et sur ces questions-là, également,
c'est là-dessus que l'opinion publique et les hommes politiques
de tous les pays devraient se mettre d'accord sur le fait que c'est
cela la question-clé.
LE PRESIDENT
CHIRAC - Je suis tout à fait d'accord avec ce qui a été
dit, d'abord par le Président POUTINE et ensuite par le Chancelier.
Pour donner mon sentiment sur la question précise qui, si
j'ai bien compris, a été posée et qui concernait
l'ordre public et l'ordre humain, je voudrais dire que, conformément,
d'ailleurs le Président POUTINE l'a évoqué,
aux lois de la guerre et au droit international, c'est aux forces
américaines et anglaises en tant que puissances occupantes
que revient cette responsabilité de maintenir l'ordre et
de créer les conditions permettant -c'est ce que nous demandons-
d'acheminer l'aide humanitaire. C'est, dans cette phase actuelle
et avant la phase de reconstruction, la responsabilité des
puissances occupantes.
QUESTION -
En vous réunissant au sommet à trois, vous n'avez
par l'impression de prolonger la fracture de la communauté
internationale, de l'incarner?
LE PRESIDENT
POUTINE - Non. nous ne le croyons pas. Ce n'est pas par hasard que
j'ai dit que ce n'est pas la première rencontre en cette
formation. En 1998, cette rencontre a déjà eu lieu.
Il existe d'autres formes tripartites, France, Allemagne et Pologne,
et je crois que la prochaine rencontre est prévue pour bientôt.
Le but de notre
rencontre n'est pas la division de la communauté internationale
mais la recherche d'une voie de travail commun dans la construction
d'une structure, de l'architecture de sécurité internationale
acceptable pour tous au XXIe siècle. Notre rencontre a un
caractère ouvert. Tout le monde la connaissait, d'autres
collègues ont reçu des invitations. Naturellement,
cela s'est fait dans des très brefs délais et ils
n'ont pas pu venir. Nous avons l'intention de continuer à
travailler dans ce format, et même dans un format plus large.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - Je voudrais faire le commentaire suivant. Je ne
comprends pas très bien pourquoi vous posez cette question.
Car il y a des soupçons, beaucoup d'hypothèses, beaucoup
de soupçons et de choses qui ont été dites.
Qu'est-ce qu'on attend dans une situation difficile ? Qu'attendent
les peuples que nous représentons, qu'est-ce qu'ils attendent
des hommes qui font preuve de sens des responsabilités ?
Ils n'attendent pas de nous qu'ils ne se rencontrent pas pour parler
éventuellement des solutions aux crises. Mais ils attendent,
à juste titre, que les hommes politiques se rencontrent,
qu'ils apportent une contribution substantielle au débat
et qu'ils montrent de quoi ils ont parlé. C'est tout à
fait normal de l'attendre des hommes politiques. Ceux qui ne travaillent
pas dans la politique mais dans la vie quotidienne, et je le comprends
très bien, l'attendent de nous. Et c'est pourquoi je réponds
dans l'esprit de ce qu'a dit Monsieur POUTINE. Cette rencontre d'aujourd'hui
est en réaction naturellement à la situation internationale.
Il était au début prévu de faire des consultations
bilatérales mais la situation telle que nous l'avons aujourd'hui
nous fait nous adapter à la situation internationale. Et
tous ceux qui connaissent la politique comprennent très bien
qu'il en soit ainsi.
LE PRESIDENT
CHIRAC - Nous sommes trois des pays qui, à l'origine de la
crise, ont fait la même analyse et en ont tiré les
mêmes conclusions, à savoir que le désarmement
de l'Iraq était nécessaire mais qu'il pouvait être
obtenu par des voies pacifiques. La situation est ce que vous savez
et la guerre a eu lieu. Nous n'avons naturellement jamais douté
de son issue. Et dans toute chose malheur est bon : nous nous sommes
réjouis de la chute d'une dictature unanimement condamnée
dans le monde.
A partir de
là, quel était notre désir de concertation,
sur quoi reposait-il ? Sur une inquiétude et sur une conviction.
Sur une inquiétude, c'est la situation dramatique dans laquelle
se trouvent aujourd'hui un très, très grand nombre
d'Iraquiens, qui nécessite une aide humanitaire le plus rapidement
possible. Ce qui implique naturellement des conditions matérielles
permettant son acheminement. Et nous voulions ensemble nous concerter
sur ce que nous pouvons faire ou demander à nos amis pour
accélérer à la fois la mise en oeuvre et l'acheminement
de l'aide humanitaire. Cela, c'est essentiel. Vous admettrez qu'à
soi tout seul, cela justifie une concertation entre trois nations
importantes, pour essayer de contribuer ensemble à apporter
une solution à ce problème dramatique et humain. Il
n'y aurait eu que cela, c'était amplement justifié
de répondre à l'invitation du Président POUTINE.
Mais il y avait
aussi une conviction, et l'affirmation d'une conviction : nous avons
une vision commune du monde de demain, qui est une vision d'ailleurs
très largement partagée par les peuples et par les
pays du monde. Nous souhaitons que le monde de demain soit un monde
multipolaire. Nous souhaitons que chacun de ces grands pôles,
dont on voit bien que petit à petit ils s'organisent, ait
des relations équilibrées pour garantir la paix et
la démocratie. Cette vision du monde, cette conception qui
est la nôtre exclut naturellement, l'unilatéralisme.
C'est la raison pour laquelle nous sommes favorables à une
Organisation des Nations Unies qui soit à la fois respectée,
reconnue, efficace. S'il faut faire une réforme des Nations
Unies, nous sommes tout à fait prêts, naturellement,
à l'envisager. Mais ce qui est essentiel à nos yeux,
c'est qu'il y ait une Organisation qui fasse respecter une loi internationale
qui soit une loi de solidarité, de développement et
de sécurité. Autrement dit une loi de paix et de démocratie.
Et, donc, nous pensions qu'il n'était pas mauvais que trois
pays qui ont eu une histoire mouvementée mais qui, aujourd'hui,
ont appris à se respecter, à se connaître et
à s'aimer, se réunissent, dans le cadre d'ailleurs
d'une procédure traditionnelle. J'étais présent
à la première réunion, en 1998 ou en 1999,
à trois, dans la même formation. Et, à l'époque,
nous avions pris la décision de poursuivre cette procédure
informelle et transparente. C'est-à-dire que nous n'avons
pas de secret. Nous disons, et tout à fait clairement et
de façon transparente, ce que nous pensons. Nous avons pensé
que c'était effectivement, aussi, l'un des moyens d'approfondir
notre concertation sur notre vision du monde de demain. Voilà,
je pense, des raisons qui justifient amplement le fait que trois
chefs d'Etat ou de gouvernement se réunissent.
LE PRESIDENT
POUTINE - Vous savez, je me permettrai de rajouter juste deux mots.
Naturellement, nous avons beaucoup parlé de l'Iraq. C'est
naturel. Mais le problème de l'Iraq n'était pas le
sujet unique de notre discussion, il y en avait beaucoup plus. Nous
sommes préoccupés par la situation autour de la Corée
du nord. Le conflit du Proche-Orient nous préoccupe. Nous
avons pas mal de questions bilatérales à discuter.
Et, en ce qui concerne les buts de l'opération, est-ce que
l'opération a abouti ou non, je voudrais ajouter quand même
deux mots.
Nous ne devons
pas oublier autour de quoi est apparu ce problème. Personne
n'aimait le régime irakien, à part peut-être
Saddam HUSSEIN, mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agissait du
désarmement de l'Iraq et, éventuellement, des armes
de destruction massive, si elles existaient. Et personne ne doutait
que les pays les plus puissants du monde ont la suprématie
militaire sur un pays mal armé. Sur le maillot du collègue
qui est à côté de vous, il y a le portrait du
camarade " CHE ", l'un des représentants reconnus
de la théorie de l'exportation de la révolution socialiste.
Nous n'avons pas l'intention d'exporter la révolution capitaliste
ou démocratique. Si on se le permettait, alors, on verrait
une multitude de conflits et nous ne devons pas le permettre. Et
quand je dis nous, je parle non seulement de ceux qui sont ici,
je parle de l'opinion mondiale et aussi des représentants
de la ligue anti-iraquienne.
QUESTION -
Vous avez dit tous les trois que le rôle central des Nations
Unies devait exister quand il s'agira de reconstruire l'Iraq. Les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne parlent d'un rôle vital.
Donc il s'agit de deux choses différentes. D'un côté,
il s'agit de l'aide humanitaire et, de l'autre côté,
il s'agit de la reconstruction du pays, la reconstruction économique,
où des intérêts économiques particuliers
jouent, surtout dans le domaine de l'énergie. Comment faut-il
l'entendre ? Les Américains n'ont pas eu besoin des Nations
Unies pour la guerre. Est-ce qu'il se peut que maintenant ils aient
besoin des Nations Unies pour la paix, pour l'humanitaire, et qu'ils
continuent à reconstruire économiquement le pays?
LE PRESIDENT
POUTINE - Vous savez qu'il s'agit d'un cas où les gens ont
une conduite assez conséquente, et ceci allège un
peu notre tâche parce qu'on comprend à peu près
la vision et les actions de nos partenaires. Je crois que cette
question est légitime. Malgré toute l'importance des
questions économiques, avant tout, nous devons penser à
la solution des problèmes de caractère humanitaire,
des questions de normalisation de la vie publique en Iraq. Nous
ne devons pas nous permettre de passer aux éléments
du nouveau colonialisme. Nous devons tout faire pour que le destin
de l'Iraq se retrouve dans les mains du peuple iraquien. Et, pour
ceci, il existe des variantes, des solutions. Le Président
CHIRAC a donné des exemples de solutions de ce genre dans
l'histoire moderne. Le schéma est tout simple, comme dans
le cas de l'Afghanistan : la conférence internationale sous
l'égide de l'ONU, l'administration nationale provisoire qui
doit préparer les élections démocratiques et
tenir ces élections pour transmettre le destin de l'Iraq
dans les mains du peuple iraquien. Mais, en première étape,
l'administration d'occupation doit résoudre les questions
humanitaires et les questions d'organisation de la vie publique.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - Je n'aime pas qu'on essaie d'interpréter
les différents termes. Il faut dans les entretiens avec les
alliés d'un côté, les Nations Unies d'un autre
côté, savoir exactement ce que signifient les termes.
Se livrer à des débats théoriques là-dessus
ne sert à rien, d'autant plus qu'en ce moment même,
il s'agit essentiellement, il faut le dire, d'aider le peuple iraquien,
de rétablir l'ordre et le calme et de faire en sorte que
le processus de reconstruction, quels que soient les détails,
se fasse sous le toit des Nations Unies.
Par ailleurs,
je me permets de signaler que, dès ce week-end, dès
cette fin de semaine, il y a des entretiens auprès des institutions
financières internationales, auprès de la Banque mondiale,
du FMI, qui portent sur ces questions. Et les deux, aussi bien le
Fonds monétaire international que la Banque mondiale, ont
dit que, pour pouvoir s'engager, ils ont besoin d'un mandat des
Nations Unies ou qu'ils aimeraient avoir ce mandat.
LE PRESIDENT
CHIRAC - Je suis tout à fait sur la même ligne que
celle qui vient d'être présentée par le Président
POUTINE et par le Chancelier SCHRÖDER. Il y a la phase actuelle,
elle relève de la responsabilité des troupes anglaises
et américaines. Et puis, il y a la reconstruction, c'est
vrai, politique, économique, administrative, sociale, de
l'Iraq et donc la création d'une autorité de nature
gouvernementale iraquienne. Cette autorité sera confrontée
naturellement à un problème de légitimité
et seules les Nations Unies, aujourd'hui, sont source de légitimité.
C'est la loi internationale. Seules, elles ont l'autorité
morale et l'expérience nécessaire pour donner une
crédibilité à un processus de création
ou de recréation d'un Etat. Les Nations Unies ont de surcroît
une grande expérience, comme on l'a vu au Cambodge, au Timor,
au Kosovo, en Sierra Léone, en Afghanistan. Et, donc, il
y a tout lieu de leur faire confiance. Voilà pourquoi nous
pensons qu'au-delà de la période de sécurisation,
les Nations Unies doivent effectivement, en tant que seules porteuses
de légitimité, avoir la charge de reconstruire l'Iraq.
QUESTION -
Il y avait des appels en ce qui concerne les dettes de ce pays.
Qu'en pensez-vous? Comment voyez-vous la procédure?
LE PRESIDENT
POUTINE - En ce qui concerne les dettes, que peut-on dire ? Il y
a ceux qui ont tiré, il y a ceux qui ont pillé, quelqu'un
doit payer pour cela, c'est toujours comme cela. Mais, malgré
l'ironie, je dois dire qu'en général cette question
se pose. La Russie n'a rien contre une telle question. En ce qui
concerne le volume total des dettes à la Russie des pays
les plus pauvres, nous sommes à la troisième place
après le Japon et, comparé au PNB, nous tenons la
première place. Mais tout ceci se fait en consultation avec
la Banque mondiale, avec le Club de Paris. Cela ne peut s'effectuer
qu'au cours de négociations. Nous sommes prêts à
tenir ces négociations en ce qui concerne la suite de cette
question. Je ne peux pas le dire maintenant, mais il y a des procédures
spéciales pour des pays de ce type.
En ce qui concerne
la reconstruction de l'Iraq, nous venons d'en parler, je ne crois
pas qu'il faille se répéter. Je suis absolument d'accord
avec ce que vient de dire le Président CHIRAC.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - Je rejoins ce qu'a dit le Président POUTINE.
L'enceinte où il faut parler des dettes, c'est le Club de
Paris. Et il faut respecter une certaine procédure. Notamment,
il faut être en présence d'un gouvernement légitime
qui puisse adresser ses demandes au Club de Paris. Pour le moment,
ceci n'est pas le cas, donc il ne sert à rien de parler de
cette question sur la base de toutes ces déclarations, avec
tout le respect que nous devons aux journaux, à la presse.
Mais il faut être clair et net : il faut qu'un gouvernement
légitime soit présent pour s'adresser, selon les procédures,
au Club de Paris. Ensuite, on discutera de cette question et ce
n'est pas avant que cela pourra se faire.
LE PRESIDENT
POUTINE - Je crois qu'en principe, cette question, on pourrait commencer
à la discuter lors de la rencontre d'Evian, compte tenu de
la situation spéciale. L'Iraq n'est pas le pays le plus pauvre
du monde mais là, la situation est spéciale et souvent
les Huit réagissaient. Et si la France, comme organisateur
de la réunion des Huit, est d'accord, nous, nous sommes d'accord
aussi.
QUESTION -
On a entendu, depuis quarante-huit heures, certains responsables
de l'administration américaine laisser entendre qu'après
l'Iraq, la Syrie pourrait être un pays dont le régime
devrait être changé. Est-ce que c'est une perspective
qui vous inquiète ou est-ce que la chute de la dictature
pourrait, là-aussi, être une occasion de se réjouir?
LE PRESIDENT
POUTINE - Je crois que j'ai beaucoup parlé de cette question,
aujourd'hui, lors du dialogue du Forum de Saint-Pétersbourg.
Le Chancelier en a parlé aussi. Le changement de régime
dans tel ou tel pays doit être dicté par les impulsions
de la vie politique du pays lui-même et, uniquement dans cette
situation, les changements de caractère politique peuvent
être stables, efficaces, répondre aux réalités
historiques, à l'expérience de tel ou tel pays. Et
je dois dire qu'il n'existe pas de modèle unique de démocratie.
Même dans la communauté européenne, les principes
sont les mêmes mais on ne peut pas avoir de modèle
unique. Si on veut avoir un modèle unique, il faut polir
les régimes de quelque 80% des pays du monde. Et, dans les
cas les plus graves, ici où ailleurs, plus tôt ou plus
tard, nous allons affonter des problèmes aussi difficiles
que celui de l'Iraq. C'est un risque de conflit militaire incessant
et c'est très dangereux. Il est plus productif de choisir
une autre voie, la voie de la définition des principes de
solution de situations de ce genre, agir de manière judicieuse.
Et, sous la pression de tous les pays du monde, n'importe quel régime
du monde peut se transformer, s'améliorer. Le choix de la
guerre, c'est le pire des choix.
LE CHANCELIER
SCHRÖDER - Je dirais que tout ce que vous venez de dire ne
fait pas partie de la politique de l'administration des Etats-Unis.
C'est pourquoi je ne m'engagerai pas dans une discussion là-dessus.
En ce qui concerne le fond des choses, je crois que j'ai dit qu'en
ce qui concerne les principes de la Charte des Nations Unies, nous
faisons nôtres ces principes. Nous l'avons dit lorsque nous
avons parlé du dossier de l'Iraq et de la guerre et nous
maintenons notre position.
LE PRESIDENT
- Pour ma part, je ne vois pas d'autre situation de la même
nature que celle de l'Iraq dans cette région et, donc, la
question me semble sans fondement. Le seul problème de la
région, c'est le problème israélo-palestinien,
qui exige une véritable impulsion de la part de la communauté
internationale pour engager les parties à revenir à
la table de négociations et poursuivre un processus permettant
d'arriver à la paix. Et ça, cela pose le problème
que nous avons évoqué tout à l'heure, et sur
lequel je ne reviens pas, de la publication de la feuille de route
du Quartet qui, de mon point de vue, est extrêmement urgente.
QUESTION -
Monsieur le Président POUTINE, vous avez utilisé des
mots très sévères quand vous avez parlé
de nouveau colonialisme, de l'exportation du capitalisme. Est-ce
que vous ne craignez pas que, lors de la rencontre entre l'Union
européenne et la Russie, fin mai, certains invités
ne viennent pas ?
LE PRESIDENT
POUTINE - Fin mai, nous avons une réunion prévue depuis
longtemps, c'est le sommet entre la Russie et l'Union européenne.
Tout simplement, à cause du tricentenaire de Saint-Pétersbourg,
c'est un format un peu plus large et nous serons heureux de voir
tout ceux que nous avons invités.
En ce qui concerne
l'essence de cette question, je ne crois pas que ce soit une question
trop épineuse. La situation de l'Iraq doit être résolue
le plus tôt possible sur la base de la Charte de l'ONU et
sur la base de la pratique de l'ONU dans des situations de ce genre
ces dernières années. Nous en avons déjà
beaucoup parlé avec le Chancelier et le Président
français. La pratique existe : plus tôt nous irons
sur la voie prévue par le droit international, mieux ce sera.
Et si nous retardons la solution de la question dans le cadre de
l'ONU, cela va rappeler plutôt la situation coloniale. Là,
il n'y a rien de particulier, rien de nouveau, je dois dire que
je ne suis pas le seul qui pense de cette manière.
Je vous remercie.
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