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Réflexion sur l'élargissement de l'Union
Les relations franco-allemandes ont été trop souvent présentées comme a priori harmonieuses. Cette conception est sympathique mais elle est trompeuse et du coup, je ne la partage pas. Les intérêts français et allemands sont peut-être devenus moins aisément conciliables par simple décision politique. Quant à l'éventuelle combinaison France / Allemagne / Grande-Bretagne, elle n'est pas impensable à terme mais elle suppose que Londres se soit sincèrement résolu à mettre toute son énergie dans la construction d'une Europe forte.©1998
Hubert VÉDRINE - Ministre des Affaires Étrangères


Cela fait maintenant dix-sept ans que je suis mêlé de près aux relations franco-allemandes au sommet. J'ai participé aux rencontres Mitterrand - Schmidt pendant 18 mois, et Mitterrand - Kohl pendant plus de 12 ans, et vécu les grandes avancées franco-allemandes des années 80.

Deux idées fortes inspiraient cette politique. La première : la réconciliation franco-allemande réalisée par Robert Schuman, De Gaulle et Adenauer, Giscard et Schmidt pour rompre avec la fatalité historique devait être toujours consolidée et illustrée. D'où la poignée de mains de Verdun. La seconde : la coopération franco-allemande avait pour véritable fonction d'être le moteur de la construction de l'Europe. Après Giscard et Schmidt qui avaient créé le SME et le Conseil européen, Mitterrand et Kohl relancèrent à Fontainebleau en juin 1984 la construction européenne bloquée depuis 1979 par Madame Thatcher. Ceci fait, ils conduisirent au galop cette entreprise pendant 8 ans avec Jacques Delors. Les années 1989 / 1990 parurent mettre à l'épreuve cette politique. Mais, le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl relevèrent ensemble, dès l'automne 1989, les défis de la fin prévisible de l'URSS, au retour à la démocratie en Europe de l'Est et de la réunification allemande qui allait en résulter en décidant une nouvelle relance de l'Europe. C'est en effet à Strasbourg, en décembre 1989, que le Chancelier Kohl donna à François Mitterrand son accord définitif sur la troisième phase de l'Union monétaire, c'est-à-dire sur la monnaie unique, devenue l'euro. Et c'est à Dublin quatre mois plus tard qu'ils proposèrent à leurs partenaires une relance de l'Europe politique, et l'ambition d'une politique étrangère et de sécurité commune, d'où sortit Maastricht. L'élan donné alors faisait taire des interrogations récurrentes.

Mais des états d'âme sont apparus depuis la réunification et paraissent brouiller les relations franco-allemandes qui souffrent de surcroît d'une présentation simpliste et irénique. Interrogations françaises d'abord : cette Allemagne agrandie et affranchie restera-t-elle aussi attachée qu'avant à l'amitié franco-allemande et à l'Europe ? Ne sera-t-elle pas plutôt attirée vers l'Est ? La relation franco-allemande n'est-elle pas dorénavant trop déséquilibrée ? Interrogations allemandes ensuite, comme on l'a vu après les péripéties de la désignation à Bruxelles du Président de la BCE : fallait-il vraiment que nous abandonnions le deutsch-mark ?

A cela s'ajoute la multiplicité et la complexité des problèmes qui vont opposer, dans les deux ou trois années à venir, les Européens et donc les Français et les Allemands entre eux, mais qui devront pourtant être tranchés : financement de l'Union pendant les années 2000 - 2006 (fixation du plafond de ressources, part du budget consacré à la politique agricole commune, aux fonds structurels, à de nouvelles politiques, évaluation de l'impact financier des futurs élargissements) ; conduite et conclusion des six négociations d'élargissement lancées en mars 1998 (notamment du cas particulièrement complexe de Chypre) ; réforme des institutions européennes pour que l'Union puisse encore continuer à fonctionner à 20 ou 25 ; mise en place de l'euro ; de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).

Sur tous ces sujets ardus, et interdépendants, la France et l'Allemagne n'ont pas d'emblée la même position, pas plus que leurs autres partenaires. Comment s'en étonner ? Eh bien justement certains s'en étonnent, et s'en inquiètent car les relations franco-allemandes ont été trop souvent présentées comme a priori harmonieuses. Cette conception est sympathique mais elle est trompeuse et du coup, je ne partage pas cette conception. L'harmonie franco-allemande est un objectif, fondé sur la conscience d'un destin partagé, un résultat souvent atteint, rarement une donnée préétablie. Elle est à construire en permanence par la volonté et un dialogue persévérant.

Les intérêts français et allemands sont peut-être devenus moins aisément conciliables par simple décision politique. Les problèmes actuels de l'Europe sont sans doute plus rebelles aux solutions et aux compromis que ceux d'il y a vingt ans. Nous devons certainement plus qu'avant nous soucier d'entretenir en parallèle un dialogue réel, complémentaire avec tous nos autres partenaires dans l'Union. Il n'en reste pas moins que politiquement et diplomatiquement rien ne peut se substituer au moteur franco-allemand, ce que savent fort bien, quoiqu'on dise, d'ailleurs les dirigeants français et allemands actuels, comme de façon plus générale, les leaders politiques dans les deux pays. Il n'y a pas d'autre pays en Europe avec lequel la France puisse former un moteur alternatif, et la même remarque vaut pour l'Allemagne.

Quant à l'éventuelle combinaison France / Allemagne / Grande-Bretagne, elle n'est pas impensable à terme mais elle suppose que Londres se soit sincèrement résolu à mettre toute son énergie dans la construction d'une Europe forte. Cela suppose une révolution des mentalités engagée mais pas encore réalisée.

Le point faible de l'amitié franco-allemande demeure son caractère trop exclusivement administratif ou étatique. La volonté d'entente et d'action commune démontrée avec constance au sommet par des générations de dirigeants politiques ou économiques, ou des administrations, n'entraîne toujours pas les deux sociétés dans un mouvement d'intérêt mutuel. Il y a bien sûr mille canaux, associations, personnalités à l'œuvre dans une remarquable action de capillarité. Mais dans l'Europe à 15 et le monde global, où se situent la France et l'Allemagne, la relation franco-allemande ou germano-française reste trop l'affaire de milieux spécialisés. C'est une fragilité. J'estime par conséquent que, sans se laisser impressionner par les changements de générations ou de mentalités, ou la complexité des problèmes à régler dans les deux à trois ans, les responsables français et allemands doivent s'attaquer à nouveau ensemble à la définition des contours géographiques et institutionnels de l'Europe élargie et animer dans toute l'Europe ce débat nécessaire.


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