Dans la période historique que nous traversons actuellement, la plupart des gens partagent le sentiment que les événements ont acquis une dynamique très importante. Même lorsque nous orientons notre réflexion vers l'avenir, ce qui s'est passé quelques années auparavant semble très distant. Cette situation pourrait bien trouver ses racines dans l'esprit général de cette fin de siècle. Par ailleurs, ce phénomène est accru par une prise de conscience des défis auxquels nous avons encore à faire face en cette fin des années 90. Cela ne peut pas être plus clair qu'en Pologne. Ayant opté depuis environ dix ans pour une transformation politique et économique rapide, nous récoltons aujourd'hui les fruits de cette détermination. Actuellement, la Pologne a une économie en pleine expansion et une démocratie bien assise. Varsovie est l'un des plus grands chantiers d'Europe; le visage de notre capitale reflète ainsi le nouvel optimisme et l'esprit d'entreprise anime le peuple polonais. La Pologne se trouve également sur le point d'entrer dans l'OTAN et soutient activement une étroite coopération régionale. Cependant, l'ouverture de l'Union Européenne à de nouveaux membres constitue le projet, qui, plus que tout autre, aura une incidence majeure sur nos perspectives.

Nous estimons que l'intégration européenne constitue le projet commun le plus favorable du continent depuis longtemps. Ce projet améliore les relations politiques, économiques, sociales et individuelles. Même les différends et les vifs débats suscités par le processus d'unification européenne font partie intégrante de cette expérience. L'harmonie parfaite n'est pas l'une des caractéristiques de l'âme européenne et il serait d'ailleurs utopique et peu pragmatique de la rechercher. Au contraire, l'effort que nous accomplissons en commun doit s'attacher à canaliser nos énergies afin que l'Union Européenne devienne un ensemble plus fort et plus cohérent et pour que les solutions qu'elle apporte aux problèmes situés au-delà de ses frontières soient plus efficientes.

Pour la Pologne, l'adhésion à l'Union Européenne équivaudra à un retour à la civilisation et au cadre culturel auxquels elle appartient. On néglige parfois de considérer l'ampleur des multiples forces constructives, qui sont à la base du développement de l'Europe. Notre expérience ne peut être réduite à un moment précis, mais doit être considérée dans son ensemble. La conception la plus répandue est que l'Habeas corpus britannique constituait une clé de voûte dans l'histoire du libéralisme européen. Néanmoins, 250 ans auparavant un roi polonais avait déjà accordé le privilège du Neminem captivabimus aux représentants de la "nation politique" pour les protéger contre l'omnipotence de la couronne. La Pologne respecte également la tradition de tolérance qui remonte au Moyen Age. Notre pays a adopté la première constitution européenne. La tradition parlementaire polonaise est vieille de cinq siècles. Pendant une longue période nous avons appartenu à une union réussie entre deux pays, la Pologne et la Lituanie. D'autres nations européennes peuvent contribuer à atteindre de tels résultats. C'est dans cette optique que l'élargissement de l'Union Européenne doit être considéré. Cet élargissement ne correspond pas à une conquête de nouveaux territoires pour l'Europe. Il doit permettre d'apporter un remède à ce qui n'a pas fonctionné en Europe pendant ce siècle. Il doit permettre de rassembler des nations ayant des conceptions et un sentiment d'appartenance communes.

Même si le patrimoine et les traditions sont importants, ils ne doivent pas faire oublier que l'intégration européenne est aussi un projet concret avec des buts et des règles spécifiques. L'Union Européenne a pour mission de traiter des problèmes particuliers. Aujourd'hui, les Etats-membres et les Etats candidats sont confrontés à des défis identiques. Ils se posent dans les mêmes termes que l'on parle de l'Europe des quinze, des vingt et un ou des vingt-six. En Europe Centrale, il est possible que nous ayons plus d'efforts à faire en ce qui concerne certains aspects de la protection de l'environnement; en revanche, nous sommes plutôt en tête en matière d'emploi ou de dette publique. Plus vite nous considérerons ces questions comme des problèmes liés, mieux cela vaudra. Les politiques conduites par les pays candidats dans les domaines du crime, de l'environnement et des transports seront d'autant plus efficientes, qu'ils adhéreront rapidement à l'Union. Cela profitera à tous, y compris aux "15". En définitive, la solidité d'un projet de construction commune repose sur la force de ses éléments constitutifs.

Une Union Européenne élargie est également susceptible de devenir un espace plus innovant, plus créateur et plus ouvert sur les plans politique et culturel. Ainsi, elle sera préparée à faire face à la mondialisation et pourra donc s'affirmer en tant que puissance mondiale. Cet espace constituera la plus large zone de stabilité politique, atout non négligeable dans les relations internationales contemporaines. L'Union disposera d'un instrument exceptionnel : l'une des monnaies les plus importantes du monde. Au terme de l'adhésion des nouveaux membres, l'Union Européenne constituera le plus large espace économique mondial et un partenaire commercial de premier plan. Même si le processus actuel peut conduire à un plus grand repli sur elle-même, l'Europe doit prendre en considération les conséquences extérieures de son évolution. L'Euro dotera l'Union Européenne de la confiance qui lui est nécessaire pour faire face à la compétition mondiale.

Dans ce contexte, la Pologne estime que la manière dont l'Europe conduit ses relations avec ses proches voisins est particulièrement importante. Il serait néfaste pour la stabilité et la coopération du continent européen que des murs infranchissables se dressent autour de nous. La Pologne a l'intention de démontrer qu'il n'existe aucune contradiction entre le fait d'être un Etat-membre fort et crédible de l'Union Européenne (avec tous les conséquences que cela implique pour les échanges sociaux et économiques avec nos voisins de l'Est) et celui de prôner des relations actives avec des pays comme l'Ukraine. L'élargissement de l'Union Européenne doit également être profitable pour ceux qui n'en deviendront pas membres.

Les négociations d'adhésion entre la Pologne et l'Union Européenne sont déjà bien engagées et les progrès accomplis sont satisfaisants. Néanmoins, nous avons une vision claire des tâches qui restent à accomplir avant que la Pologne ne puisse devenir membre de l'Union Européenne au début du siècle prochain. Il serait également salutaire que l'Union fasse un effort substantiel de planification et s'engage dans un processus de réformes. La convergence de ces deux processus devrait permettre d'aboutir ensuite à des négociations efficaces. Il devrait être clair que l'élargissement représente d'abord une réponse aux multiples défis auxquels l'Europe doit faire face et non un problème en lui-même. Cela permettra également de mettre à l'épreuve notre engagement commun en faveur des idéaux européens, tel que le principe de solidarité. Le fonctionnement souple de l'Union Européenne se fonde sur une confiance réciproque soutenue entre les Etats-membres. Cela implique que les pays candidats doivent intensifier leurs efforts pour se préparer par eux-mêmes à leur adhésion. Par ailleurs, l'Union doit agir en ayant conscience que la vitalité des futurs membres est dans l'intérêt de l'Union. Je suis convaincu que, lorsque nous discuterons de la situation de l'Europe dans quelques années, nous serons fiers de la vision d'une Union Européenne élargie et cohérente que nous promouvons aujourd'hui.

Traduction Forum