.IHEDN
: Institut des hautes études de défense nationale.
Au début de cette décennie, l'implosion du bloc soviétique donne
aux Européens une occasion inespérée d'accélérer le processus de
sécurité en Europe. Ils semblent saisir cette chance et le traité
de Maastricht formalise effectivement, pour la première fois, une
"Politique étrangère et de sécurité commune" (PESC). Mais, dans
le même temps, la crise bosniaque illustre très concrètement notre
incapacité à nous entendre sur un projet politique commun et laisse
aux Américains le soin de développer la nouvelle stratégie de l'OTAN.
Ce qui relègue en arrière -plan les espoirs, que l'Union de l'Europe
occidentale avait pu susciter, de donner à l'Union européenne un
embryon de défense autonome.
Il y a deux ans, le traité d'Amsterdam, lui aussi porteur de nombreux
espoirs, entame le rapprochement entre l'Union de l'Europe occidentale
et l'Union européenne en conférant au Secrétaire Général du Conseil
européen la fonction de Haut représentant pour la politique étrangère
et de sécurité commune et en incluant parmi les actions relevant
de la politique étrangère et de sécurité commune européenne les
missions dites " de Petersberg " (opérations humanitaires, d'évacuation
de ressortissants, de maintien ou de rétablissement de la paix).
Il crée en outre une Unité de planification de la politique et d'alerte
rapide et initie la coordination des politiques d'armement. En mars
1999, la crise kosovare nous fournit, une fois encore, l'occasion
de donner un début d'application à nos intentions. Mais, de nouveau,
nos efforts n'aboutissent pas et le développement de la crise nécessite
l'intervention de l'OTAN, donc des Etats-Unis, avec le corollaire
logique et fort compréhensible d'une gestion de la crise parfois
plus conforme aux intérêts de puissance de cette nation qu'à ceux
des Européens. Nouvelle démonstration de nos difficultés à répondre
de façon cohérente et autonome aux crises qui se développent à nos
portes et preuve, pourrait-on dire, que le problème est moins "
Trop d'Amérique ", que " Pas assez d'Europe ".
Certes, il convient de saluer la cohésion affichée au cours de la
crise kosovare et la détermination des pays alliés qui ont assumé
jusqu'au bout leurs responsabilités. En outre, les moyens engagés
ont opéré sans difficultés majeures, preuve que leur interopérabilité
est réelle. Mais force est de constater que leur déficit de capacité,
en particulier militaire, oblige les pays de l'Union européenne
à faire appel au " leadership " américain. Or, si nos intérêts stratégiques
peuvent converger, la vision stratégique définie à Washington n'est
pas nécessairement celle de l'Union européenne.
* * *
L'Europe affiche avec de plus en plus de vigueur sa volonté d'affirmer
une ambition politique s'appuyant sur des moyens militaires propres.
Le sommet franco-britannique de Saint-Malo, le cinquantenaire de
l'Alliance à Washington, le sommet franco-allemand de Toulouse,
et le Conseil européen de Cologne ont été autant d'occasions, au
cours de ces derniers mois, de faire progresser la politique européenne
de sécurité et de défense commune. Nos pays sont d'accord sur le
fait qu'un tel développement au sein de l'Union européenne renforcera
sa capacité politique ; il nous incombe donc maintenant de concrétiser
cette volonté non pas en réfléchissant à une identité européenne
de sécurité et de défense théorique et abstraite, mais bien en renforçant
la solidarité entre Européens, en affirmant notre ambition européenne
et en définissant ensemble les moyens qui donneront effectivement
à l'Union européenne la capacité d'agir pour assumer ses responsabilités.
* * *
Premier objectif : renforcer notre solidarité, affirmer notre ambition
en matière de sécurité et de défense dans le cadre de l'Union européenne.
L'inclusion des missions " de Petersberg ", dont il a été question
plus haut, dans les actions relevant de l'Union européenne illustre
cette volonté croissante des pays membres de résoudre en commun
les crises internationales. Il s'agit bien de parler d'une même
voix pour gérer toutes les facettes de ces crises : diplomatique,
militaire, économique et humanitaire etc. . C'est-à-dire que nous
devons forger une vision politique collective et forte qui ne soit
pas seulement la juxtaposition - nécessairement instable - des objectifs
nationaux, mais qui précise les intérêts de l'Union européenne et
les valeurs qu'elle estime devoir soutenir ; tout en gardant une
certaine souplesse afin de ne pas entraver les évolutions qui pourraient
se dessiner dans et hors de l'Union.
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En deuxième lieu, avoir une capacité d'agir au service de cette
vision politique pour assumer nos responsabilités. Cela revient
concrètement à se doter des moyens de choisir des options diplomatiques,
militaires ou économiques, de décider collectivement et de contrôler
la mise en œuvre de nos décisions.
Le Conseil européen existe ; d'autres organes de décision collective
sont à créer dont un conseil des Ministres des Affaires Etrangères
et de la Défense, capable de préciser les choix politiques et de
fixer les options stratégiques, telles que le soutien à la diplomatie
préventive, la maîtrise de la violence ou l'imposition de la paix
ou du droit, par la force ; mais dès maintenant, sans attendre la
révision du traité de l'Union européenne, il est possible de commencer
à mettre en place les trois organismes prévus par le traité d'Amsterdam
: le Comité politique et de sécurité, le Comité militaire européen
et le Secrétariat militaire, de façon à pouvoir bénéficier, à partir
d'une double expertise autonome, civile et militaire, d'un cycle
complet d'analyse, de décision et d'action..
Dans le même temps le Centre satellitaire et l'Institut de sécurité
de l'Union de l'Europe occidentale pourraient être transformés en
instruments propres à l'Union européenne. La mise en place de ce
premier dispositif témoignera de notre volonté commune de nous engager
sur la voie d'une défense européenne et de traduire dans les faits
les décisions du sommet de Cologne.
Par ailleurs, l'idée de définir des objectifs de capacités, sortes
de " critères de convergence " en matière de défense, un peu à l'instar
du processus adopté pour la création de l'Europe économique et monétaire,
semble progresser chez les membres de l'Union. Cette idée devrait
inciter les Etats européens à maintenir ou à atteindre un niveau
crédible de leurs moyens de défense dans les domaines financier
et technologique, mais également en termes de capacité opérationnelle,
illustrant par là même l'émergence de la politique étrangère et
de sécurité commune. Encore faut-il les définir…Et les appliquer.
C'est certainement là le chantier prioritaire que nous avons devant
nous.
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Troisième objectif : pouvoir conduire une action militaire autonome,
car il n'y a pas de politique étrangère sans moyens de coercition
crédibles. C'est à dire disposer de moyens autonomes de renseignement,
de commandement, et de projection, trois domaines où l'Europe ne
s'est pas encore donné les moyens d'agir sans l'aide américaine
et disposer de forces militaires multinationales opérationnelles
et adaptées aux missions qui pourraient leur être confiées.
Les forces multinationales, résultat d'initiatives prises par un
certain nombre de pays, matérialisent la capacité militaire de ces
Etats à contribuer concrètement à la mise en œuvre d'une politique
européenne de sécurité et de défense. Qu'il s'agisse du Corps européen,
de l'Eurofor, de l'Euromarfor, du Groupe aérien européen ou des
autres unités multinationales européennes, elles n'apportent encore
que des réponses ponctuelles aux défis des crises, elles diffèrent
par leur vocation, leurs capacités, leur organisation et leur cadre
d'emploi. Leur efficacité dépendra de leur homogénéité, de leur
interopérabilité et de leur aptitude à constituer des états-majors
ad hoc, à partir d'un noyau dur et d'une structure d'accueil permanents.
Il convient donc maintenant d'attribuer à chacune de ces forces
une mission et des finalités claires et précises, en fixant pour
chacune d'elles les capacités prioritaires à détenir pour remplir
les missions qui pourraient leur être confiées dans ou hors de l'OTAN,
sans oublier de définir des conditions de disponibilité, des modalités
et des niveaux d'entraînement communs aux pays fournisseurs, afin
d'être en mesure de garantir aux instances de décision politiques
le maintien des capacités opérationnelles de ces forces.
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Enfin, cette capacité à conduire une action militaire passe, bien
évidemment, à défaut de standardisation, par l'interopérabilité
et la compatibilité des équipements et donc par une coopération
plus poussée dans le domaine de l'armement et la naissance d'une
base industrielle européenne de l'armement capable de soutenir la
concurrence américaine et de participer avec celle-ci à la course
technologique. Depuis longtemps, les pays européens se sont efforcés
de pallier par la coopération l'étroitesse de leurs marchés nationaux
et cette base commence à se constituer, de l'Organisation de l'armement
de l'Europe occidentale (OAEO) à l'Organisme conjoint de coopération
en matière d'armement (OCCAR), en passant par les regroupements
industriels, en particulier dans le domaine de l'aéronautique. Mais
la concentration des industries d'armement reste très inférieure
en Europe à ce qu'elle est aux Etats-Unis, alors que le total des
budgets militaires européens est assez comparable à celui des Américains.
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Il est évident que l'émergence de ce dispositif permettant à l'Union
d'assumer ses responsabilités propres, d'ébaucher des stratégies
communes et d'engager des actions militaires autonomes ne se pose
pas en termes de concurrence avec l'Alliance atlantique, mais plutôt
en termes de complémentarité. Le sommet de Washington, en avril
1999, a d'ailleurs réaffirmé que la défense collective est la raison
d'être de cette Alliance qui nous a assuré un demi-siècle de paix.
Aucun autre organisme n'offre en effet une garantie d'une telle
qualité, fondée sur le respect mutuel et la solidarité. Mais il
n'échappe à personne non plus que ce lien sera renforcé par l'équilibre
du partenariat entre l'Europe et les Etats-Unis, car c'est la réalité
du dialogue qui fait le ciment d'une alliance.
Il nous revient donc de réellement prendre en charge notre part
de cette sécurité collective, ne serait-ce que pour ne pas favoriser
dans l'opinion publique américaine le développement d'un courant
de pensée risquant de convaincre le contribuable américain qu'il
finance à fonds perdus la défense d'une Europe trop désinvolte.
Un désengagement militaire serait rapidement envisagé.
Et nous devons aussi veiller à ce que l'Alliance, organisme de défense
collective " Nord Atlantique ", engageant des opérations dûment
mandatées par l'Organisation des Nations Unies, contribue par son
action au renforcement du rôle et des prérogatives du Conseil de
Sécurité de cette organisation.
En outre, nous ne pouvons exclure de notre démarche la Russie et
l'Ukraine, acteurs majeurs de la sécurité européenne. De graves
incertitudes pèsent sur leur évolution, mais ces pays resteront
à terme des puissances militaires fortes, ne serait-ce que du fait
de leurs ressorts historiques et géopolitiques.
* * *
L'Europe avance pas à pas. La construction de la sécurité européenne
s'inscrit dans un lent processus continu, comparable à bien des
égards à celui qui a abouti à la création d'une Europe économique
et monétaire dotée d'une monnaie unique. C'est en menant une véritable
" Politique étrangère et de sécurité commune " qu'elle pourra dissiper
l'impression actuelle d'impuissance et se donner une capacité de
décision qui corresponde à sa stature économique. C'est en se forgeant
les moyens militaires correspondants qu'elle pourra intervenir pleinement
et efficacement dans la prévention des conflits et la gestion des
crises en s'affirmant comme l'un de ces pôles d'équilibre dont le
monde a besoin.
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