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Le rôle du tandem franco-allemand dans la construction européenne
J'ai la conviction que la perception d'un certain essoufflement du projet européen est une responsabilité partagée. D'abord nous sommes les seuls à pouvoir, ensembles, faire avancer l'Europe. Il n'y a naturellement pas de directoire franco-allemand, mais deux Etats singuliers conscients de leurs responsabilités et de leurs intérêts, conscients que leur partenariat a permis la construction européenne. C'est une relation étroite, ouverte et non exclusive. Cette idée a trouvé sa traduction dans le nouveau Traité d'Amsterdam avec "les coopérations renforcées". © 1998
Pierre MOSCOVICI - Ministre délégué chargé des Affaires
européennes


Pour entrer immédiatement dans le vif du sujet, je voudrais vous faire part de ma conviction profonde sur ce thème, qui alimente à l'infini les débats des experts et les analyses des journalistes. Elle repose sur un double constat. Tout part en Europe de l'entente franco-allemande. Elle est aujourd'hui plus nécessaire que jamais.

Tout part en Europe de l'entente franco-allemande. C'est finalement un constat banal. Si banal que certains ont fini par croire qu'elle avait le statut d'une loi de nature, tant qu'au moindre désaccord entre l'Allemagne et la France il est immédiatement question de crise. En réalité, l'entente franco-allemande c'est du politique concentré. C'est parce que nous l'avons voulu qu'il y a eu la réconciliation franco-allemande, qui fonde, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, notre relation. Je crois que l'idée de mettre au cœur de nos relations la volonté de surmonter notre histoire et de s'émanciper de ses séquelles, pour construire ensemble notre avenir, garde une portée universelle.

Pourtant les différences entre nos deux pays restent nombreuses. Je ne connais guère de sujets sur lesquels, au départ les positions soient identiques. Il y a une complicité latine entre la France et l'Italie, une sympathie marquée de réserves avec l'Espagne, une entente parfois avec la Grande-Bretagne, une courtoisie lucide, une alliance de raison ou un accord de circonstance avec tel autre de nos partenaires. Il y a rarement connivence spontanée entre Français et Allemands. Demandez à n'importe quel homme politique, industriel, artiste: les clichés ont la vie dure tant les différences sont profondes. Beaucoup sépare Français et Allemands sauf, et c'est décisif, parce que ça change tout, l'essentiel, c'est à dire leur volonté irréductible de rapprocher les positions pour faire prévaloir l'intérêt européen sur les antagonismes nationaux. Résultat de notre volonté politique commune, l'entente entre nos deux pays n'est pas un acquis. Elle se construit en permanence. Ce faisant, nous produisons, si j'ose dire, de la convergence. Et bien souvent, sur la base de ce travail de synthèse, l'accord de l'ensemble des partenaires est alors possible.

Des doutes pourtant s'insinuent de manière récurrente. La France et l'Allemagne ne seraient plus capables de porter un projet européen mobilisateur. Avec la fin de la guerre froide, les différences seraient devenues des divergences indépassables. L'Europe à l'heure de la mondialisation n'aurait plus guère besoin de s'affirmer comme union politique. Je ne partage pas ces critiques, mais les inquiétudes qu'elles manifestent ne doivent pas être considérées illégitimes.

Au cours de ces dernières années, nous avons trop souvent donné l'impression que l'Europe que nous faisions était une énorme machinerie molle et technocratique. Nous avons débattu de l'euro, aussi décisive que soit la question de la convergence économique, en oubliant que la monnaie unique était en même temps un projet politique, porté d'abord par l'Allemagne et la France, qui visait à tremper définitivement l'unité de l'Europe. Nous nous sommes concentrés sur la question de la nécessaire stabilité monétaire en oubliant que pour nous, Allemands -avec l'économie sociale de marché- et Français -avec notre modèle social- l'enjeu était bien la croissance et l'emploi, la cohésion et la solidarité sociales.

Je dis nous, Allemands et Français, parce que j'ai la conviction que la perception d'un certain essoufflement du projet européen est une responsabilité partagée. D'abord nous sommes les seuls à pouvoir, ensemble, faire avancer l'Europe. Il n'y a naturellement pas de directoire franco-allemand, mais deux Etats singuliers, conscients de leurs responsabilités et de leurs intérêts, conscients que leur partenariat a permis la construction européenne. C'est une relation étroite, ouverte et non-exclusive. C'était vrai à Six, ce l'est plus encore à Quinze. Cette idée a trouvé sa traduction dans le nouveau traité d'Amsterdam avec "les coopérations renforcées" qui permettront à tous ceux qui veulent continuer d'entreprendre de le faire sans être arrêtés par les hésitants ou les sceptiques. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'initiative sur cette question est venue de nos deux pays.

Ensuite, nous avons été à tour de rôle sur la réserve. Pendant des mois l'insistance de notre partenaire allemand à mettre en place un système quasi mécanique de sanctions et des contraintes automatiques sur les politiques budgétaires pour assurer la stabilité monétaire a pu faire accroire que la politique avait été évacuée. Quand nous parlions alors de gouvernement ou de pôle économiques, pour tenter de réintroduire l'autorité politique, nous étions soupçonnés de vouloir remettre en cause l'indépendance de la future banque centrale européenne. Ce débat, autour de la lecture du Traité de Maastricht, avait une allure d'autant plus étrange et surréaliste qu'à l'origine c'est François Mitterrand qui avait rejeté l'idée d'Helmut Kohl selon laquelle il aurait fallu introduire des dispositions institutionnelles pour permettre à l'union politique d'avancer au moins aussi vite que l'union économique et monétaire. Ce chassé croisé a pu alimenter un double malentendu.

Je crois que, après le sommet de Weimar et la rencontre de Münster, nous avons remis la politique au poste de commande. Il était temps parce que les échéances à venir, qui sont cruciales pour la construction européenne, exigent une détermination forte de nos deux pays. Vous les connaissez. Il y a le passage à l'euro et surtout, désormais, comment vivre avec la monnaie unique. C'était l'enjeu du débat sur la nécessité d'une coordination des politiques économiques, qui, à la suite de l'accord franco-allemand, sera tranché au prochain Conseil européen de Luxembourg. Il y a l'élargissement, les questions financières, les politiques communes, la réforme institutionnelle. Le calendrier européen est chargé.

Je suis convaincu que l'euro provoque et continuera de provoquer un choc fédérateur, permettant à la fois la mobilisation des énergies et l'affirmation de l'Europe, comme communauté et comme puissance. Mais il ne s'agit pas d'un effet mécanique dont l'issue serait garantie, tout au plus pouvons nous dire que le climat est à nouveau favorable. Nous serons jugés sur notre capacité à prendre des initiatives, à faire preuve d'audace et d'imagination, à rester la force inspiratrice de la construction européenne. Ce n'est pas seulement devant nos partenaires que nous aurons à répondre mais devant les opinions et les peuples d'Europe. La paix et la réconciliation, la réunification allemande, l'extension de la démocratie à notre continent, la solidarité, tout cela est à verser au crédit de l'Europe, et donc aussi au nôtre, pour la part que nous y avons prise. Mais nous sommes aussi comptables de l'impuissance devant les tragédies internationales, plus encore quand elles touchent notre continent, de la montée du chômage et de la pauvreté, du retour des nationalismes et de la xénophobie.

Un sondage, que j'ai fait réaliser en septembre, montrait quelles étaient les attentes de l'opinion française. Elle veut plus d'Europe, plus vite. Certes c'est un sondage qui concernait les Français, mais je n'ai pas de doute que l'immense majorité des citoyens d'Europe reste profondément attachée au projet européen. Les méandres et les hésitations de la construction européenne nourrissent leurs déceptions et leur scepticisme. C'est à ces attentes que nous devons répondre. L'histoire de la relation franco-allemande témoigne de la force de ce partenariat singulier. Pourquoi baisserions nous les bras aujourd'hui face aux échéances cruciales de l'Union européenne? Je suis convaincu que notre détermination à cheminer ensemble, inspirée par notre compréhension respective que notre avenir commun est l'Europe, ne fera pas défaut. Et puis, avons nous le choix? L'Allemagne et la France ont une obligation vitale de résultat.


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