Les chefs d'Etat ou de gouvernement des quinze pays membres de l'Union
européenne se sont fixé des ambitions de taille pour leur développement
commun au sein de l'Union : la réalisation de l'euro et l'élargissement.
Ces deux projets vont transformer le projet communautaire.
L'euro causera une accélération sans précédent de l'intégration
économique. L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale
signifiera son extension, à terme, à plus de 20 pays européens,
accroissant radicalement la diversité des pays de la Communauté
européenne.
Dans ces conditions nouvelles, que faire pour que ce projet demeure
un projet politique commun émanant des nations et des peuples d'Europe
?
L'existence d'une relation intense, abordant tous les grands sujets,
et équilibrée, entre la France et l'Allemagne est l'un des piliers
porteurs de ce projet, et, au-delà, de la stabilité du continent
européen. Elle doit demeurer au centre de tout. Elle est dans l'intérêt
de ces deux pays. Et elle est également dans l'intérêt de tous les
pays membres. Elle est dans l'intérêt du continent tout entier.
Compte tenu du poids politique respectif de la France et de l'Allemagne,
l'avenir de l'Union européenne, en tant que projet politique, dépend,
aujourd'hui comme hier, de l'accord entre ces deux pays et des initiatives
communes qu'ils prendront. A l'inverse, leurs désaccords menaceraient
de bloquer le processus ou de conduire, au moins dans un premier
temps, à des évolutions déséquilibrées.
L'Histoire des quarante dernières années est là pour démontrer la
réalité de cette analyse. Et démontrer aussi que jusqu'à présent
les deux pays ont toujours eu la volonté d'avancer ensemble sur
la base du contrat moral scellé en 1963.
Quels sont les défis du projet communautaire que France et Allemagne
doivent relever pour l'avenir ?
La réforme des institutions communautaires
L'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale va soumettre
les institutions communautaires au défi du nombre et de la diversité.
Certaines réformes relèvent de la Commission elle-même. Accroître
la visibilité et la responsabilité de l'institution, grâce au renforcement
du statut du Président de la Commission, entériné à Amsterdam, et
de la collégialité de la Commission. Recentrer les politiques sur
l'essentiel, en n'agissant que lorsqu'il existe une valeur ajoutée
européenne, en réduisant le nombre d'initiatives législatives, en
améliorant la gestion des fonds communautaires, expression de la
solidarité entre pays européens, progressivement élargie, à partir
de l'an 2000, aux pays candidats.
L'Agenda 2000 'Pour une Union plus forte et plus large' a tracé
le chemin de cette nouvelle étape qui s'engage. Et des réformes
internes significatives ont été engagées au sein de la Commission,
moins visibles pour le grand public certes, mais qui se traduiront
rapidement dans des résultats : une meilleure gestion, une plus
grande efficacité des politiques communautaires.
D'autres réformes relèvent directement de la responsabilité des
Etats membres : revoir la pondération des voix au Conseil, réduire
le nombre de Commissaires à un par Etat membre avant le premier
élargissement. Cette réforme ne suffira pas toutefois pour envisager
un élargissement substantiel. Aussi la Commission a-t-elle appelé
à la convocation d'une nouvelle Conférence intergouvernementale
aussitôt que possible après 2000, pour accomplir une réforme en
profondeur des dispositions du traité relatives à la composition
et au fonctionnement des institutions.
Sur ces questions institutionnelles, une convergence nouvelle entre
la France et l'Allemagne peut se dessiner, hors des catégories trop
rigides du fédéralisme et de l'intergouvernementalisme, faisant
mieux droit au caractère sui generis du projet communautaire.
La coordination des politiques économiques
En décidant d'introduire l'euro au 1er janvier 1999, les chefs d'Etats
et de gouvernements se sont lancé un défi sans précédent. Les pays
membres ont déjà entamé de le relever, puisque selon le rapport
que la Commission a rendu public le 18 mars, conformément au traité
de Maastricht, les critères de convergence économique ont été remplis
dans 11 pays. Mais il ne s'agit là que des critères de Maastricht.
Demain, au sein de la " zone euro ", les Etats seront certainement
amenés à une modernisation plus poussée de leurs systèmes de protection
sociale et de leurs systèmes fiscaux. Comme cela a été le cas pour
l'emploi avec la stratégie européenne lancée à Luxembourg en novembre
1997, suite à l'inscription d'un chapitre sur l'emploi dans le traité
d'Amsterdam, on peut souhaiter que le cadre communautaire permette
d'engager ces réformes afin de moderniser le modèle européen de
société.
Là aussi, la France et Allemagne, en rapprochant leurs conceptions
d'une économie efficace et solidaire, peuvent contribuer à donner
une impulsion décisive à cette nouvelle étape.
Elles doivent le faire en se plaçant au cœur du cadre communautaire,
afin que leur impulsion ait un effet d'entraînement collectif. Si
l'ensemble des pays, en effet, engagent ensemble, de manière simultanée
et coordonnée, les réformes nécessaires, il y aura un effet multiplicateur
européen, similaire à celui qui a eu lieu en faveur de la convergence
macro-économique.
Plus important encore et à vrai dire primordial, cette relation
doit s'appuyer sur une ouverture accrue des deux sociétés l'une
à l'autre.
Aujourd'hui l'entente franco-allemande est encore sur la trajectoire
impulsée dans l'après-guerre. Avec le roulement des générations,
cette trajectoire menace de s'infléchir. Elle doit retrouver, avec
les jeunes générations un nouvel élan, dans la conscience que cette
amitié est cruciale, qu'elle mérite d'être vécue personnellement.
Tant il est vrai que si la langue de l'autre est difficile, l'enrichissement
culturel est sûr.
Où en est-on aujourd'hui ? Les sociétés européennes, à commencer
par l'allemande et la française, sont-elles suffisamment ouvertes
les unes sur les autres pour assurer à l'Union européenne le dynamisme
politique dont elle a besoin ?
Certains signes sont inquiétants : la baisse de l'apprentissage
de la langue de l'autre, la faiblesse des échanges d'hommes et d'idées,
par rapport à celui des marchandises.
Simultanément, d'autres indices annoncent les caractéristiques de
ce que peut être une nouvelle étape.
La Commission y apporte déjà son soutien à travers ses programmes.
Pourtant tout ne saurait venir de Bruxelles.
Les Etats européens doivent se mobiliser pour cela, redéfinir leurs
priorités et coordonner leurs efforts, afin de faire un usage plus
efficace des moyens disponibles.
Et au-delà, c'est une mobilisation la plus décentralisée que possible
qui est nécessaire : collectivités locales, associations, écoles,
universités, entreprises, doivent s'ouvrir à la dimension internationale.
C'est là que chacun a une responsabilité majeure. Et, en tant que
Luxembourgeois, je sais combien l'histoire enseigne le prix de cette
amitié. Aussi, comme le disait dans une formule heureuse le général
de Gaulle : " ça ne doit pas être cantonné au niveau des hommes
politiques. Ca doit colorer dorénavant les sentiments populaires.
Les Français et les Allemands doivent devenir des frères. La fraternité
des deux peuples, ça doit devenir quelque chose d'élémentaire ".
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