Comme les représentations politiques et sociales, celles du
droit et de la constitution constituent un fait relevant de la psychologie
individuelle et collective, qui n'est pas sans impact sur le comportement
de l'individu et de la société. D'un côté, les représentations collectives
du droit et de la constitution déterminent l'ordre juridique d'une
société. De l'autre côté, celui-ci, évoluant selon sa propre tradition,
exerce une forte influence sur ces représentations ainsi que sur
les modifications de ces représentations. En tant que fait important
relevant de la psychosociologie, ces représentations nous permettent
de comparer et de mieux comprendre les mentalités et les comportements
français et allemands.
En étudiant les points communs et les divergences des représentations
juridiques et constitutionnelles en France et en Allemagne, notre
attention doit se porter naturellement sur le système de formation,
susceptible de transmettre les traditions politico-juridiques. Dans
les établissements universitaires en France ainsi que dans les manuels
généraux, l'enseignement de l'histoire des institutions et principes
constitutionnels et administratifs et de celle des idées politiques,
dispensé traditionnellement en même temps, constitue le fondement
de l'étude du droit et de la politique. En enseignant les origines
historiques de la République, de la Démocratie ou de la Défense
des droits fondamentaux, l'on fait prendre conscience des traditions
politico-juridiques qui forment l'assise de l'ordre juridique actuel
et le légitiment. Contrairement à la France, et jusqu'à nos jours,
l'Allemagne ne connaissait pas d'enseignement systématique de l'histoire
des institutions et principes fondamentaux du droit publique de
sorte que cette perspective historique fait également défaut dans
les manuels. Ainsi même l'histoire du fédéralisme en tant que principe
essentiel d'organisation a-t-elle été négligée. Notre difficulté
à porter un jugement positif sur notre propre histoire politique
et juridique explique, d'une manière générale, l'absence d'une histoire
des principes et institutions, mettant l'accent également sur la
continuité de l'évolution politico-juridique qui nous fait défaut.
C'est pour cela que, jusqu'à aujourd'hui, celle-ci a du mal à s'établir
comme élément d'identification.
En s'intéressant de plus près à l'acceptation des principes constitutionnels
en France et en Allemagne, on constate tout d'abord un large consensus
constitutionnel dans les deux pays. La constitution, établissant
l'ordre juridique général, est largement acceptée et détermine la
vie politique. Il y a sans doute des raisons historiques pour expliquer
certaines divergences en ce qui concerne l'acceptation de tel ou
tel principe constitutionnel. En Allemagne, l'appréciation à l'encontre
de la jurisprudence et de son rôle primordial a toujours été bonne.
Depuis l'époque de l'absolutisme " éclairé " et de la législation
en matière de sécurité sociale instaurée par Bismarck, qui a établi
un système de prévention sociale, l'Etat-providence est largement
accepté. Le principe d'Etat social n'est pas seulement un principe
constitutionnel, mais constitue en même temps une source de légitimation
de l'Etat. Le système politico-juridique français s'est en revanche
longtemps défini par l'idée d'autodétermination et d'une organisation
démocratique de la vie politique. L'évolution divergente de la Cour
constitutionnelle française par rapport à celle de l'Allemagne en
est un bon exemple.
Des représentations différentes du droit et de la politique se manifestent
par rapport à l'action publique en matière da protection de l'environnement.
L'inscription du principe de protection de l'environnement dans
la constitution ainsi que la participation des Verts au gouvernement
de quelques Länder sont les conséquences du mouvement écologiste
qui, depuis les années 70, a pris de l'ampleur en Allemagne. En
revanche, il semble qu'en France, le degré de sensibilité collective
en matière d'environnement dépende des régions. Ces différentes
sensibilités face à l'environnement influent naturellement sur les
pratiques allemande et française en ce qui concerne les procédures
d'autorisation soumises à des exigences environnementales.
Il serait pourtant réducteur de se contenter de relever quelques
différences de représentations collectives du droit et de la constitution
en France et en Allemagne. La société moderne, postindustrielle
n'a pas seulement unifié les modes de vie et les comportements indépendamment
des frontières nationales, mais elle a aussi rapproché les représentations
juridiques et constitutionnelles. Le processus de mondialisation
n'est pas sans favoriser des attitudes de plus en plus similaires
vis à vis de la politique et du droit. Au delà de ces tendances
modernes, on doit constater qu'à l'origine des représentations collectives
françaises et allemandes se trouve, en fin de compte, l'histoire
commune de la création de l'état de droit de type occidental. C'est
justement par rapport à l'élaboration des principes fondamentaux
de l'Etat de droit occidental que les échanges entre la France et
l'Allemagne se sont multipliés depuis le XVIIIe siècle. En ce qui
concerne les débats sur le droit naturel au XVIIIe siècle ou sur
les idées libérales au XIXe siècle, la France et l'Allemagne ont
vu surgir des discussions semblables, menées parfois même entre
les deux pays, et qui ont conduit à asseoir les principes politiques
et juridiques et à fonder les représentations juridiques et constitutionnelles.
En dehors de cette évolution commune vers l'état de droit dont le
souvenir devrait s'inscrire dans les mémoires historiques de la
France et de l'Allemagne, la politique et la législation de l'Union
Européenne ont également rapproché les représentations juridiques
et constitutionnelles. Le processus d'unification européenne crée
un cadre permettant l'élaboration d'une culture européenne du droit
qui soit commune. L'ordre juridique supranational n'est pas sans
influencer les représentations juridiques et constitutionnelles
des Etats membres. C'est surtout la France qui, ayant toujours suivi
le modèle de l'Etat centralisé, voit se développer une nouvelle
attitude fédéraliste. Des contraintes européennes, tendant à unifier
les principes nationaux en matière de droits constitutionnel, administratif
et judiciaire engendre des modifications dans les représentations
juridiques et constitutionnelles. Malgré la volonté justifiée d'harmonisation,
la revendication pour que cette culture européenne du droit respecte
-fidèle au principe de subsidiarité- les particularités nationales
ou régionales des cultures ou traditions juridiques, n'a en rien
perdu de son importance.
Traduction Forum
Bibliographie
- Die Legitimität staatlicher Herrschaft. Eine staatsrechtlich-politische
Begriffsgeschichte. Schriften zur Verfassungsgeschichte. Band 20.
Duncker & Humblot, Berlin
- Staatsrechtliche Probleme politischer Planung. Schriften zum Öffentlichen
Recht, Band 360. Duncker & Humblot, Berlin 1979, 445 S.
- Zeitgeist und Recht. J.C.B. Mohr, Tübingen, 2. Aufl. 1991, 244
S.
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