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Le fédéralisme: État fédéral, régionalisme, "devolution" - Différents modèles pour les structures de l'État
Par: Dr. Andreas SCHWAB* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Andreas SCHWAB*
* Député au Parlement européen
© 2001


A l'instar des Américains autrefois, les Européens discutent également de l'avenir de leur continent: ils sont conscients de la nécessité pour l'Europe de parler d'une seule et même voix au niveau international et de conserver toute sa diversité au sein de ses frontières. Malheureusement, le terme de "fédéralisme" n'est pas pertinent dans le cadre de ce débat, étant donné que la confusion à propos du concept qu'il sous-tend s'est maintenue jusqu'à nos jours. Néanmoins, une réflexion à ce sujet, comme elle fut menée il y a plus de 200 ans en Amérique, n'a pas perdu de sa pertinence aujourd'hui et permet de mieux comprendre si les positions allemandes et françaises à ce propos traduisent de véritables divergences politiques ou sont l'expression d'un malentendu à propos de ce concept.




Le terme de "fédéralisme" est un concept qui suscite depuis longtemps des interprétations extrêmement différentes et qui, notamment dans le cadre de la construction européenne, est souvent facteur de dissensions. Le ministre des affaires étrangères français a encore souligné, juste avant le sommet de Nice, que la France ne voulait pas d'une Europe "fédérale", alors que son homologue allemand avait auparavant mis l'accent sur les avantages de structures fédérales pour l'Europe future. Différentes conceptions politiques ou malentendu sur les concepts?

En 1787, les États-Unis d'Amérique se sont retrouvés face à la question qui, de nos jours, préoccupe les Européens. Quel système constitutionnel permet à la fois de donner aux États respectifs une marge de manœuvre suffisante pour mener une politique "nationale" et de créer une organisation étatique susceptible d'agir sur le plan international? La Philadelphia Convention rédigea -alors que sa tâche ne consistait qu'à mettre en place une zone de libre-échange- une constitution fédérale qui fit figure d'exemple pour toute constitution démocratique.

Dès cette époque, ceux qui voulaient accorder un rôle central à l'État fédéral, à la confédération d'États se heurtaient à ceux qui préconisaient une concurrence saine entre les États membres. Ceux qui, à l'époque, se disaient "fédéralistes" étaient partisans d'un État fédéral fort et représentaient, de fait, les "centralisateurs". A l'opposé, ce sont les antifédéralistes qui se sont engagés en faveur d'une constitution fondée sur la décentralisation ; ce sont eux les véritables "fédéralistes". Le fait que les pères de la constitution autour de Madison, de Hamilton et de Jay, favorables à la centralisation, publiaient les "Federalist Papers" a également contribué à cette confusion.

A l'instar des Américains autrefois, les Européens discutent également de l'avenir de leur continent: ils sont conscients de la nécessité pour l'Europe de parler d'une seule et même voix au niveau international et de conserver toute sa diversité au sein de ses frontières. Malheureusement, le terme de "fédéralisme" n'est pas pertinent dans le cadre de ce débat, parce que la confusion des concepts s'est maintenue jusqu'à nos jours. Néanmoins, la réflexion sur les principes, menée il y a plus de 200 ans en Amérique, n'a pas perdu de sa signification et pourrait permettre de répondre à cette question. Le "fédéralisme dual" des États-Unis a continué à se développer depuis cette époque, mais il divise toujours les compétences entre les différents niveaux de l'État par domaines politiques. Il a maintenu la séparation du pouvoir législatif en décidant l'élection par le peuple de la deuxième chambre, à savoir le Sénat. Il faut cependant souligner que la Constitution américaine a été ratifiée à un moment où la structure des États membres était très similaire. A ce titre, les représentants à la Convention avaient, pour la rédaction de la Constitution, une situation de départ en commun.

Le cas de l'Allemagne était comparable, lorsque la République fédérale a vu le jour après la fin de la Seconde guerre mondiale. Plusieurs modèles avaient été envisagés pour l'État allemand ; finalement, une structure fédérale paraissait être la plus susceptible d'inspirer confiance aux Alliés occidentaux et aux Allemands. Néanmoins, les pères de la Loi fondamentale ont décidé, à Herrenchiemsee, de ne pas suivre l'exemple des États-Unis. La Loi fondamentale a fourni de manière assez claire les fondements d'un fédéralisme de type européen, en mettant en place, conformément au principe d'exercice commun du pouvoir, des institutions interdépendantes en lieu et place d'une séparation des niveaux de pouvoir selon le modèle américain. La deuxième chambre du parlement allemand, le Bundesrat, est constituée de membres nommés par les gouvernements des Länder et oblige ces derniers à collaborer, nécessitant leur approbation dans certains domaines de compétences fédérales ("fédéralisme coopératif"). L'État fédéral unitaire distingue les types de compétences, tout en intégrant paradoxalement dans la constitution ce qu'on nomme les "Gemeinschaftsaufgaben", les tâches d'intérêt commun. Il faut néanmoins préciser que les Länder allemands partaient d'une situation similaire en cette "année zéro", ce qui permit de leur accorder les mêmes compétences constitutionnelles, ce qui facilita leur inscription en tant qu'unité dans la constitution. Ainsi, le débat concernant la répartition des voix par Land et celle des compétences publiques entre l'État fédéral et les Länder ne portait pas sur le principe.

La construction européenne et la politique régionale des Communautés européennes qui en découle ont abouti à ce que d'autres pays européens diversifient également leur organisation territoriale. Après la fin de la dictature de Franco, l'Espagne s'est donnée en 1978 un système constitutionnel qui devait prêter une attention toute particulière aux susceptibilités de certaines régions. La deuxième chambre, le Senado, est en même temps chambre du Parlement et "chambre de la répresentation territoriale". La constitution espagnole distingue elle aussi les types de compétences, mais elle n'attribue pas de compétences explicites aux régions autonomes. Les régions ne sont compétentes que dans la mesure où leur statut d'autonomie respectif le reconnaît. Cela met en évidence la spécificité de l'État régional espagnol: la répartition des compétences entre l'autorité centrale et les différentes régions est asymétrique. Certaines régions disposent de beaucoup plus de compétences que d'autres. Cette situation est due au fait qu'à la fin du régime de Franco, l'État espagnol a certes vécu une phase de changement profond, mais n'a pas connu d'"année zéro", contrairement à la République fédérale d'Allemagne. La situation de départ était donc différente.

Parallèlement, en 1998, le Royaume-Uni a également octroyé aux nations et aux régions plus de pouvoir politique à travers le concept de "devolution". Pour cette régionalisation du Royaume-Uni, il a aussi fallu prêter attention aux particularités historiques. Alors que l'Ecosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord sont dotées de gouvernements et de parlements régionaux, les régions anglaises n'ont pratiquement pas obtenu de droit de concertation. Mais même entre ces trois, il y a des différences notables: on a accordé à l'Ecosse des compétences en matière de fiscalité, alors que les institutions en Irlande du Nord dépendent en grande partie du processus de paix. Le Pays de Galles a certes sa propre "assemblée", mais détient moins de compétences. Bien que la "devolution" soit considérée comme un "processus" (Ron Davies), on peut se demander à juste titre si les régions anglaises vont obtenir un jour des compétences équivalentes. Indépendamment de cette répartition asymétrique, le Royaume-Uni s'est rallié à la répartition "européenne" par type de compétences, et la deuxième chambre ne sera pas, elle non plus, élue directement -mais elle pourrait devenir une assemblée des régions, selon le modèle du Bundesrat.

La France aussi a fait l'expérience du régionalisme depuis les lois Deferre votées en 1982. Cependant, c'est là le fondement d'un modèle qui n'octroie pas de compétences comparables aux modèles décrits auparavant. De même, le Sénat français a conservé le rôle qu'il avait déjà. Récemment, c'est surtout la situation politique en Corse qui a ravivé les discussions sur la pertinence d'une nouvelle réforme des structures territoriales. C'est pourquoi, le rôle de la France dans la définition d'un ordre territorial européen n'est pas encore clairement défini.

En Europe, la discussion se poursuit cependant: au terme de l'élargissement à l'est, l'Union Européenne aura atteint une dimension qui obligera à se poser la question de la finalité. De nos jours, on exige déjà de ne pas attendre ce moment pour définir la vision d'une constitution européenne. La Charte des droits fondamentaux, rédigée par la Convention européenne, ne se prononce pas au sujet de la structure territoriale de l'Europe. Du moins l'article 41 évoque-t-il le droit de disposer d'une bonne administration. On peut estimer qu'une bonne administration est une administration régionale et proche des citoyens.

Cela ne donne aucune réponse relative à l'organisation territoriale de l'Europe. Il semblerait certain qu'une solution fédérale serve au mieux les intérêts de tous les États membres, car des compétences détenues par les États nationaux et garanties par des textes constitutionnels sont la meilleure prévention contre un "centralisme" européen, quelle que soit sa forme. Cependant, après les différentes évolutions dans les pays européens, une solution fédérale "européenne" et "asymétrique" aura le plus de chances de se voir réalisée. Les concepts tels que "intégration différenciée", "géométrie variable" ou encore "Europe à la carte" en témoignent depuis quelques temps.

La constitution des États-Unis peut rendre service aux Européens dans le cadre de ce débat: la constitution américaine stipule que les compétences explicitement nommées relèvent de l'État fédéral, toutes les autres des États membres. Cela rend le "principe de subsidiarité" caduc. Quelques années plus tard seulement, lorsque le traité Alien and Sedition Act a été ratifié en 1798, il s'est avéré sans effet. Finalement, il n'y a que la réalité constitutionnelle qui compte - ce point est à méditer au cours du débat sur l'avenir de l'unification européenne.

Traduction Forum (TC)


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