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La sécurité commune, chantier d'avenir de la construction européenne
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Alain RICHARD*
* Ministre de la défense français (juin 1997 - mai 2002)
© 1999


L'Europe a fait des progrès qu'elle peut prolonger. Je pense aux avancées de Maastricht et d'Amsterdam, et plus récemment de Saint Malo, le 4 décembre 1998. La double présidence allemande de l'UE et de L'UEO au premier semestre 1999 est une promesse de progrès solides et concertés. Au sein de l'Alliance Atlantique, la notion d'IESD a fait son chemin. Mais l'essentiel de notre action aujourd'hui, c'est la volonté d'avancer de façon pragmatique, en s'orientant vers la réalisation, les actions, plutôt qu'en se concentrant sur les questions institutionnelles.




Dans cette décennie qui s'achève, des réalités nouvelles prennent forme en Europe. L'actualité nous rappelle chaque jour ce que nous avons fait dans le domaine de l'économie, du droit, de la monnaie.

Au delà de l'actualité, nous percevons dans la durée l'accoutumance de nos concitoyens à vivre en Europe et à y penser comme Européen. Cet ensemble d'évolutions et de réalisations, que j'appelle des progrès, nous pose à nouveau un défi que nos nations n'avaient pas su relever dans les décennies passées : celui de faire partager nos valeurs par une politique extérieure et de défense.

C'est donc vers le domaine de la sécurité et de la défense que nos énergies doivent se porter à présent.

Les Européens ont décidé, au début des années 1950, de se tourner vers l'OTAN pour la mise en œuvre militaire de la défense collective fondée sur l'article V du Traité de Bruxelles modifié. Cette décision entérinait la présence et présumait la permanence d'un nombre important de troupes américaines sur notre sol. La résolution des crises qui ont touché notre continent pendant la Guerre froide a illustré l'influence déterminante des forces armées américaines. Dans la dernière décennie, de nouvelles formes de tensions et de crises ont à leur tour révélé la force du partenariat euro-atlantique.

La sécurité européenne doit beaucoup à l'OTAN, et les Etats-Unis restent un acteur essentiel à cet égard. Mais les progrès mêmes de l'Europe, l'influence nouvelle qu'elle a acquise dans les débats mondiaux en matière financière et monétaire, commerciale, scientifique et diplomatique lui suggèrent de prendre par elle-même une responsabilité accrue pour contribuer à sa sécurité, notamment face à des menaces ou des risques qui présentent de manière incontestable un caractère régional.

En outre, nous savons bien que le processus de prise de décision aux Etats-Unis est fondé sur un délicat mécanisme de balances et contrepoids, et que des tendances à éviter les engagements difficiles dans des crises lointaines se font parfois jour au Congrès. Et la lourde charge d'être la seule super-puissance et d'avoir à relever tant de défis ne peut qu'alimenter cette réticence sous-jacente.

Du côté européen, nous avons fait des progrès que nous pouvons prolonger. Je pense aux avancées de Maastricht et d'Amsterdam, et plus récemment de St Malo, le 4 décembre 1998. La double présidence allemande de l'UE et de l'UEO au premier semestre 1999 est une promesse de progrès solides et concertés.

Au sein de l'Alliance Atlantique, la notion d'IESD (Identité Européenne de Sécurité et de Défense) a fait son chemin.

L'avenir est bel et bien à un rôle plus important de l'Union européenne, qui sera appelée à intégrer, le moment venu, les capacités et les fonctions de l'UEO.

C'est le Conseil Européen, composé des chefs d'Etat et de gouvernement élus d'Europe, qui est le pôle de légitimité politique auquel nous pouvons rattacher des capacités d'intervention dans le domaine de la sécurité, pour en faire un acteur complet. C'est là l'expression de quinze souverainetés qui ont fait le choix d'agir ensemble ; autrement dit, c'est la logique intergouvernementale qui peut exprimer pleinement cette volonté avec la flexibilité nécessaire au respect de chaque souveraineté.

Quant à savoir par quel arrangement l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) d'aujourd'hui contribuera au mécanisme de la PESC (politique étrangère et de sécurité commune) et apportera ses capacités politico-militaires à l'UE, le processus de consultation n'en est qu'à ses débuts et chaque pays concerné doit encore exprimer son point de vue pour préparer les meilleures décisions à ce sujet.

Mais l'essentiel de notre action aujourd'hui, et c'est ce qui donne toute sa valeur à la démarche de Saint-Malo, c'est la volonté d'avancer de façon pragmatique, en s'orientant vers les réalisations, les actions, plutôt qu'en se concentrant sur les questions institutionnelles.

Pour ce qui concerne l'UEO elle-même , l'intensification du débat sur la défense européenne ne doit pas donner l'impression qu'elle n'existe désormais que pour disparaître.

L'UEO représente un certain nombre d'acquis : l'article V du Traité de Bruxelles, une approche européenne des questions de défense, mais aussi des capacités et des moyens qui, s'ils sont encore en retrait de nos ambitions, n'en ont pas moins le mérite d'avoir ouvert la voie.

Ces acquis, il nous appartient de savoir les utiliser intelligemment au service d'un dessein qui dépasse le cadre de l'UEO, sans nous priver de ce qu'ils apportent à l'Europe de la défense.

Je pense notamment aux " actifs " et aux atouts que nous connaissons tous : la Cellule de planification, le Centre de situation au sein de l'Etat-Major Militaire, le Centre satellitaire, l'Institut d'Etudes de sécurité, les organes de coordination des politiques d'armement (OAEO, GAEO) .

Je pense aussi aux pratiques et aux expériences acquises: c'est après tout au sein de l'UEO que nous avons appris à travailler ensemble dans le domaine de la défense. A nous de savoir construire, forts de cette expérience, un système bien adapté pour préparer les décisions politiques de sécurité et de défense et pour les mettre en œuvre efficacement.

Une autre question concerne le développement de l'Europe de la Défense au sein de l'OTAN. Cet aspect pris isolément est insuffisant ; mais il ne faut pas pour autant en faire un élément secondaire de nos objectifs .

L'Europe de la Défense doit savoir " marcher sur ses deux jambes ", c'est-à-dire progresser au sein de l'Alliance atlantique d'une part, et en autonomie d'autre part, la seconde voie ne pouvant qu'encourager la première, et non la contredire. C'est là tout l'esprit du texte de Saint-Malo, repris en bonne intelligence par nos amis allemands.

Du côté de l'OTAN, il nous faut d'abord pleinement réaliser les objectifs fixés au sommet de Berlin de 1996 qui représentent à mes yeux un facteur clé du nouvel équilibre euro-atlantique. Il nous faut aussi aller au-delà de Berlin en dotant le SACEUR adjoint des moyens lui permettant d'assumer pleinement ses fonctions européennes, et en permettant à l'Union Européenne d'avoir accès aux moyens de l'OTAN, notamment dans le domaine de la planification.

Quant à la voie purement européenne, elle implique de progresser dans la mise au point d'une chaîne de commandement autonome, disposant de forces armées et de moyens de commandement crédibles. Les Européens pourraient y avoir recours dans le cas où les Américains ne souhaiteraient pas voir l'OTAN s'impliquer.

C'est un lourd travail que nous devons accomplir tous ensemble pour mettre en œuvre ces principes. Nous devons partir d'une expression claire de nos besoins, que notre expérience sur le terrain nous aidera à définir. Puis nous devrons sur cette base réfléchir aux meilleurs moyens d'y répondre avec réalisme : sans aspirer à un système trop lourd qui dupliquerait l'OTAN, mais sans nous contenter d'organes purement symboliques.

La route sera longue, elle a duré dix ans pour l'Euro. Nous n'y parviendrons que si nous travaillons tous ensemble, et c'est là notre souhait. Hubert Vedrine et moi-même avons visité bien des pays pour expliquer notre démarche. Nous poursuivrons ce travail, car l'Europe de la défense ne se conçoit qu'en concertation avec tous les Européens. Nous continuerons également de travailler dans la transparence et la confiance avec les Etats-Unis, car nous savons tous que nous ne construirons pas l'Europe de la défense sur une volonté de rivalité avec notre principal allié, mais sur le souhait partagé de nous donner les moyens d'assumer nos responsabilités d'Européens.


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