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Nous avons besoin d'une vision à long terme pour l'Europe
Par: Romano PRODI* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Romano PRODI*
* Président de la Commission européenne (1999 - 2004)
© 2000


Nous ne réussirons à approfondir et à élargir substantiellement l'Union que si nous parvenons à une volonté d'organisation commune plus affirmée et si nous surmontons nos égoïsmes nationaux. L'Union ne doit plus être considérée par les Etats membres comme, avant toutes choses, un marché dont ils peuvent retirer le plus de profits particuliers. C'est à nous, européens, de développer une nouvelle culture commune tant dans nos négociations que dans le débat politique et donner ainsi une qualité nouvelle à l'intégration européenne.




La perspective d'un élargissement à 30 Etats membres ou plus place l'Union européenne devant un des plus grands défis de son histoire. L'élargissement doit être une chance de revitalisation et de réorientation stratégique de l'Union européenne. Toutefois, je n'ignore pas l'existence d'autres avis sur cette question. C'est pourquoi il nous faut ouvrir un débat de fond, dans lequel non seulement la Commission européenne, mais aussi l'Allemagne et la France ont une responsabilité particulière à assumer en tant que moteurs de l'intégration.

L'Union européenne doit produire une plus-value qui soit politiquement visible pour les citoyens. Des étapes importantes ont déjà été franchies en ce sens : le marché unique permet la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes. L'euro, en tant que moyen de paiement commun, lie durablement les économies nationales d'une manière perceptible par les populations. Les fondements d'une union politique ont déjà été posés avec l'établissement d'institutions communes, notamment le Parlement européen exprimant les attentes et la volonté des citoyens. Enfin, la décision prise par le Conseil européen de Cologne d'intégrer l'Union de l'Europe Occidentale dans l'Union européenne a créé la base d'une politique de défense et de sécurité commune européenne.

Nous ne saurions pourtant nous en contenter. Nous venons de pays différents, nous parlons des langues différentes et nous avons des traditions historiques ainsi que culturelles différentes qui doivent être préservées. Ce que nous devons créer maintenant, c'est une union qui soit ancrée aussi bien dans les cœurs que dans les esprits et qui repose sur le sentiment d'une communauté de destin. Par ses actions et ses institutions, l'Union doit refléter notre identité, l'âme de l'Europe. Sinon nous ne pourrons pas intégrer efficacement les Etats candidats dans l'Union.

Concrètement trois grandes tâches nous attendent aujourd'hui, que nous devrons accomplir simultanément :
- élargir l'Union européenne et organiser nos relations avec nos autres pays voisins;
- réformer le système politique et institutionnel de l'Union dans le cadre de la prochaine conférence intergouvernementale;
- assurer la croissance économique, la création d'emplois et l'application du principe de développement durable.

Pour l'élargissement il nous faut une stratégie politique et non technocratique. En effet, il ne s'agit pas seulement d'adhésions à l'Union mais surtout de la question beaucoup plus vaste de savoir comment organiser à long terme notre vivre-ensemble dans une grande famille de nations européennes.

L'élargissement nécessite un réexamen global et une réforme de nos politiques communes. Plus les nouveaux adhérents seront nombreux, plus il sera difficile de déterminer les matières qu'il faudra traiter au niveau européen. Nous devons donc trouver dès maintenant le courage d'aborder ces questions avec sérieux et franchise.

En ce qui concerne les Etats dont l'adhésion ne peut être envisagée qu'à long terme, nous devons élaborer des concepts pour l'avenir, par exemple celui d'une "adhésion virtuelle" dans certains domaines, antichambre d'une adhésion ultérieure pleine et entière. Ces Etats pourraient participer dans une large mesure à l'Union économique et monétaire ou à de nouvelles formes de coopération dans le domaine de la politique de sécurité. Ils se verraient également offrir un droit consultatif et un statut d'observateur dans les institutions européennes.

Parallèlement nous devons définir une conception d'ensemble claire de nos relations avec nos voisins directs, c'est-à-dire avec les Etats auxquels nous ne pouvons pas offrir une perspective d'adhésion. Je pense notamment à la Russie. Nous tous - les membres de l'Union européenne, les pays candidats et nos voisins - devons coopérer pour créer une nouvelle architecture européenne de paix, de stabilité et de bien-être général.

Un autre défi direct pour l'Europe est posé par la prochaine conférence intergouvernementale. L'élargis-sement, mais aussi la crise qu'a connue la dernière Commission, la faible participation aux élections européennes de 1999 et les carences institutionnelles rendent inéluctable une profonde réforme des institutions européennes. Une démarche par étapes, avec plusieurs conférences intergouvernementales, enfermerait l'Europe dans une situation de réforme constitutionnelle permanente qui ne serait pas compréhensible pour les citoyens. De plus, elle entraînerait un gaspillage d'énergies dont le besoin urgent est vivement ressenti dans d'autres domaines. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous contenter d'une réforme qui ne permettrait pas une prise de décisions efficace.

Enfin, la base du succès de l'Union européenne résidera dans une économie puissante et saine à même de fournir des emplois aux Européens et de garantir une croissance économiquement et écologiquement durable. Il faut mettre en chantier dès maintenant les nécessaires adaptations structurelles, l'actuel essor économique nous donnant d'ailleurs la possibilité de les réaliser à moindre coût. Moderniser l'économie européenne aujourd'hui, c'est créer plus d'emplois demain.

Nous avons besoin d'un engagement pour le développement durable qui ne soit pas une simple formule de rhétorique. Nous devons nous attaquer aux problèmes à long terme qui résultent des évolutions démographiques et de leurs effets sur le tissu social. Il s'agit d'accroître à la fois la productivité et le nombre des personnes actives. Si nous y parvenons, nous aurons alors véritablement une chance de mettre en place une société équitable et viable pour les générations actuelles et futures.

Nous ne réussirons à approfondir et à élargir substantiellement l'Union que si nous parvenons à une volonté d'organisation commune plus affirmée et si nous surmontons nos égoïsmes nationaux. L'Union ne doit plus être considérée par les Etats membres comme, avant toutes choses, un marché dont ils peuvent retirer le plus de profits particuliers. Ce n'est qu'en nous inspirant davantage de ce qui est nécessaire pour l'Europe dans son ensemble, que nous pourrons relever avec succès tous ces défis. C'est à nous, européens, de développer une nouvelle culture commune tant dans nos négociations que dans le débat politique et donner ainsi une qualité nouvelle à l'intégration européenne.

L'Europe ne peut véritablement jouer un rôle sur la scène internationale que si elle parle d'une seule voix. Nous devons donc dès maintenant faire ce qu'il faut pour que l'Union européenne soit un acteur efficace et capable d'agir. La nouvelle Commission européenne œuvrera résolument dans ce sens. Il nous faut une vision à long terme pour l'Europe. Je souhaite pour ma part que l'Allemagne et la France définissent des positions communes quant à cette vision et qu'ainsi - comme par le passé - elles donnent de nouveau une impulsion stratégique au processus d'unification.


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