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"Derrière l'ordre des choses il y a toujours une intention"
Par: Viktor ORBÁN* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Viktor ORBÁN*
* Premier Ministre hongrois (1998 - 2002)
© 2000


Le 10 septembre 1989, la frontière hongroise avec l'Autriche s'ouvrait, permettant ainsi à des milliers d'Allemands de l'Est de rejoindre la RFA ; cet date anniversaire est désormais "un jour de commémoration pour les nations d'Europe centrale". Cette brèche dans le rideau de fer constituait un premier pas déterminant vers la fin du totalitarisme. L'un des témoins privilégiés de cette époque, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, nous rappel que si la Chute du Mur de Berlin symbolise cette période capitale de l'histoire européenne, l'ouverture des frontières hongroises qui l'a précédé fut non moins importante et que c'est bien la chaîne des divers événements historiques qui ont permis la transition. Il souligne également l'aspiration des nouvelles démocraties à participer à l'UE ; mais il estime que "tant que la porte de l'Union Européenne sera fermée, la question européenne restera ouverte".




Même au bout de dix ans, nous sommes profondément déconcertés quand nous pensons à la nature d'un système qui a conduit des hommes à laisser derrière eux, sans autre réflexion, un emploi sûr, une vie paisible, voire le fruit de toute leur existence, pour fuir vers la liberté. Les événements qui ont eu lieu il y a dix ans en ont apporté la preuve: le cours de l'histoire et la nature humaine ne tolèrent pas une telle société.

Dans ce contexte, je voudrais plus particulièrement rendre hommage à ceux qui ont participé activement, avant la naissance de la jeune démocratie hongroise, à cet événement fondamental que fut l'ouverture de la frontière; ce sont précisément ceux-là qui étaient prêts à se laisser entraîner par le cours irrésistible de l'histoire et à rendre ainsi un grand service aux citoyens hongrois et allemands - et en fin de compte à toute l'Europe.

On entend parfois qu'au fur et à mesure des années, nous gagnons, en plus de l'expérience, autre chose justifiant les difficultés, l'humiliation et les épreuves pénibles que nous avons dû supporter. Au terme de ces quelques années, il est possible d'établir un système qui se fonde sur ces expériences. "A l'instar du randonneur" de Sándor Márai -l'écrivain hongrois dont le talent n'a été reconnu, dans notre pays, qu'après la chute du rideau de fer- "qui a appris à connaître l'ordonnancement complexe des montagnes au cours de ses promenades et qui a une vue d'ensemble de la structure du paysage depuis le sommet le plus élevé et appréhende ainsi les lois régissant l'ordre des chaînes montagneuses, nous percevons le caractère systématique de tout ce qui se passe dans notre vie et dans la vie d'autrui, sur la base de l'expérience des années passées."

A l'époque, les Hongrois, qui étaient pris dans le tourbillon des événements, ne pouvaient pas encore savoir ce que la Providence leur réserverait. Nous espérions pouvoir recouvrer un jour, ici en Europe centrale, notre indépendance nationale. Nous espérions entendre sonner l'heure de la liberté et de la vérité. Nous espérions devenir à nouveau maîtres de notre propre destin. Nous avions l'espoir et la volonté d'y parvenir, mais rien ne nous permettait d'en être sûrs.

La volonté commune de millions d'hommes possède une force irrésistible. Elle peut aussi bien nous précipiter dans les profondeurs que nous élever. Réfléchir, se réjouir et respirer ensemble avec d'autres nations était une sensation merveilleuse. Beaucoup d'entre nous avaient cependant des doutes: ne va-t-on pas aboutir à une nouvelle déception? Est-ce vraiment l'avènement de la liberté et de l'indépendance? Ne va-t-on pas détruire tous nos espoirs, comme en 1956?

Après dix ans, nous nous trouvons aujourd'hui au sommet, au tournant du millénaire, et percevons le caractère systématique de tout ce qui s'est passé. Au même titre que le randonneur, nous avons une vue d'ensemble, non seulement du chemin que nous avons parcouru, mais aussi des méandres, des obstacles, des sommets et des pentes douces, qui nous attendent encore.

Au moment où ce qui était quotidien dévient l'occasion d'une commémoration, l'heure est venue de contempler ensemble les aspects riches en contrastes de l'histoire de l'Europe centrale. Nous remarquons qu'il y a un rapport étroit entre les différents événements de ces quarante dernières années -les uns découlant des autres- qui s'inscrivent tous dans une seule et même logique historique. Les différents sommets de la chaîne de montagnes forment une succession cohérente lorsqu'on les considère aujourd'hui.

1953: le soulèvement de Berlin.

1956: la révolution et le combat pour la liberté en Hongrie.

1968: le célèbre printemps de Prague.

Puis, ensuite, le mouvement du syndicat polonais Solidarnosc dans les années 1980 et 1981. Ensuite, on a démantelé le rideau de fer et le mur de Berlin est tombé. Les événements ont suivi leur cours et ont conduit les pays d'Europe centrale à la liberté -parfois même contre le gré de ceux qui ont été à l'origine de ces changements.

Après dix ans, on ne saurait oublier combien les acteurs principaux de ces événements historiques -les pays d'Europe centrale- avaient besoin les uns des autres. Nous remarquons que le désespoir des Allemands a alimenté l'espoir des Hongrois; que la défaite des Hongrois a poussé les peuples de Tchécoslovaquie à agir; que la forte volonté des Polonais a redonné de l'espoir aux Hongrois; et que les Hongrois, prêts à leur venir en aide, n'ont pas seulement réjoui les Allemands, mais les ont aussi encouragés à continuer.

Est-il possible que la chaîne des événements qui nous a conduits à cette situation soit soudain rompue? Est-il possible qu'après avoir tous recouvré notre liberté, nous perdions peu à peu les liens qui nous unissaient?

Après la chute du mur de Berlin, rien n'empêchait plus la réunification de l'Allemagne. Au cours de ces dix dernières années, le pays réunifié a connu un développement important et a réalisé de véritables miracles. Nous nous réjouissons de cette évolution, car nous estimons que la Hongrie a assisté à la naissance de l'Allemagne du 21e siècle et y a participé.

Avant 1990, tant que la porte de Brandebourg était fermée, on était en droit de dire que la question allemande restait ouverte. Aujourd'hui, il est tout aussi juste de dire que, tant que la porte de l'Union européenne restera fermée, la question européenne sera ouverte.

Tous ceux qui, il y a dix ans, ont vu les citoyens allemands en quête de liberté pleurer de joie à la frontière austro-hongroise, ne se doutaient probablement pas que cette frontière séparerait toujours la Hongrie et l'Union européenne dix ans plus tard.

Dix ans après, nous pensons toujours que cette barrière invisible n'a pas sa place dans l'ordre européen. Pour cette raison, nous espérons qu'elle ne passera plus très longtemps le long de notre frontière. Ce sont précisément les événements d'il y a dix ans qui nous permettent de nourrir cet espoir.

Avec le démantèlement du rideau de fer, nous avons participé directement aux événements historiques. Cela nous a donné force et courage; nous avons retrouvé le respect de nous-mêmes. A l'époque, nous nous sommes aperçus pour la première fois que notre volonté pesait dans la balance et que nous détenions un certain pouvoir.

Ce respect de soi retrouvé nous a été d'une aide précieuse au cours de ces dernières années. Nous puisons souvent notre force dans des souvenirs lorsqu'il s'agit d'être fort, lorsque les circonstances nous sont défavorables et semblent prendre le dessus, lorsque des crises économiques, des catastrophes naturelles et une domination extérieure nous lient les mains. C'est dans ces circonstances que nous viennent en aide les expériences datant d'une époque où nous avons été capables de surmonter les événements, de donner un autre cours à notre destin et où nous avons été assez forts pour être indépendants et autonomes.

C'est pour cette raison que nous ne sommes pas découragés, même si la frontière avec l'Union européenne suit le tracé du rideau de fer et même si les contrôles y sont renforcés. C'est aussi pour cette raison que nous sommes vraiment heureux d'être membre à part entière de l'Alliance atlantique. Nous sommes optimistes parce que les membres de l'Alliance ont reconnu que le monde occidental ne serait pas au complet tant qu'il ne s'ouvrirait pas à des forces nouvelles. Nous avons confiance en nous et dans l'Europe et estimons qu'il est possible de rétablir, par l'union de nos forces, l'ordre naturel du continent.

On peut lire chez l'écrivain que j'ai précédemment cité le passage suivant: "Un ordre sous-tend la vie humaine. Et comme la vie humaine est la forme la plus complexe de la création, il semble vraisemblable qu'un ordre règne également ailleurs, dans l'univers des existences plus simples. Tout se meut en direction d'un ordre ultime et incontournable." Au cours de l'histoire de l'humanité, on s'est toujours demandé s'il y avait un ordre moral dans le monde et s'il y avait un ordre moral dans l'histoire. L'expérience des générations qui ont vécu dans le bassin des Carpates au cours du 20ème siècle a, sans exception, renforcé cette incertitude.

C'est pourquoi nous considérons l'ouverture de notre frontière comme une césure dans l'histoire de la nation hongroise et de l'Europe entière. Après les longues années de guerre froide, des millions de personnes se sont aperçues qu'en fin de compte -grâce à la Providence- la vérité finit toujours par triompher. En effet, "l'intention sous-tend l'ordre."

C'est pourquoi, la date anniversaire de l'ouverture de cette frontière est un jour de commémoration pour les nations d'Europe centrale, un souvenir empreint de joie.

Nous -citoyens hongrois- pensons vraiment qu'il n'en sera pas autrement à l'avenir : l'ordre naturel de l'histoire rendra à l'Europe son intégrité.

Traduction Forum


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