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La Russie au début du second mandat de Poutine
Par: Dr. Roland GÖTZ* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Roland GÖTZ*
* Fondation pour la science et la politique, Berlin - Groupe de recherche sur la Russie et la CEI - Institut de politique internationale et de sécurité, Berlin
© 2004


Le " virage à l'Ouest " de Poutine n'obéissait pas qu'à des motifs purement tactiques ou pragmatiques ; il correspondait également à sa conviction que la Russie ne peut espérer se redresser et entrer dans l'ère moderne sans la coopération avec l'Occident et l'ouverture sur le monde extérieur. En même temps, ses " intérêts nationaux " doivent être préservés, bien qu'on ne sache pas toujours précisément ce que cela signifie. L'orientation fondamentale de la politique étrangère de Poutine peut être définie comme la fusion de positions " libérales " avec les positions " centralistes " et " réalistes " qu'on a pu observer dans le débat sur la politique étrangère en Russie. Par ailleurs, les pays européens ne parlant pas d'une seule voix face à la Russie, faute d'une politique étrangère commune de l'UE, on constate alors que l'Europe n'est pas perçue comme une grande puissance en Russie, ni comme un rival international, à la différence des Etats-Unis. C'est pourquoi ses relations avec l'Europe sont moins tendues et moins tranchées qu'avec les Etats-Unis.




LA POLITIQUE ETRANGERE DE POUTINE

À la fin de l'ère Eltsine, les relations de la Russie avec l'Occident s'étaient nettement refroidies à cause de l'élargissement à l'Est de l'OTAN et de la guerre du Kosovo, et l'idée d'un partenariat stratégique avec la Chine ralliait de plus en plus de partisans. Lors de l'arrivée au pouvoir de Poutine, on a tout d'abord cru qu'il aurait à cœur de constituer un contre-pouvoir dans les relations avec les Etats-Unis et de conquérir l'hégémonie dans l'espace post-soviétique. Il n'en a rien été. Poutine a certes critiqué la tendance à l'unipolarité de la politique étrangère américaine, mais simultanément il a envoyé des signaux montrant qu'il était disposé à coopérer avec l'Occident. Les relations avec l'OTAN se sont rapidement intensifiées, et, après le 11 septembre 2001, la Russie s'est ouvertement solidarisée avec les Etats-Unis. L'entrée dans la coalition dirigée par les Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme a fourni à Poutine une légitimation acceptée sur la scène internationale à la guerre qu'il mène en Tchétchénie.

Néanmoins, le "virage à l'Ouest" de Poutine n'obéissait pas qu'à des motifs purement tactiques ou pragmatiques ; il correspondait également à sa conviction que la Russie ne peut espérer se redresser et entrer dans l'ère moderne sans la coopération avec l'Occident et l'ouverture sur le monde extérieur. En même temps, ses "intérêts nationaux" doivent être préservés, bien qu'on ne sache pas toujours précisément ce que cela signifie. L'orientation fondamentale de la politique étrangère de Poutine peut être définie comme la fusion de positions "libérales" avec les positions "centralistes" et "réalistes" qu'on a pu observer dans le débat sur la politique étrangère en Russie.

La Russie a accepté l'installation de bases militaires américaines en Asie centrale et a soutenu en Afghanistan "l'Alliance du Nord" contre les talibans. Ce n'est que dans le contexte de la guerre en Irak qu'on a vu se former une ébauche de contre-pouvoir avec l'alliance franco-germano-russe, tentative qui a fait long feu.

Comme les pays européens ne parlent pas d'une seule voix face à la Russie, faute d'une politique étrangère commune de l'UE, mais entretiennent avec elle des relations bilatérales, l'Europe n'est pas perçue en Russie comme une grande puissance ni comme un rival international, à la différence des Etats-Unis. C'est pourquoi ses relations avec l'Europe sont moins tendues et moins tranchées qu'avec les Etats-Unis. Les relations bilatérales entre les pays européens et la Russie semblent poser moins de problèmes que la tentative de rapprochement entre la Russie et l'UE dans son ensemble. L'idée d'un "espace économique commun" en est encore au stade de vision plutôt que de réalité concrète, de même que "l'espace de sécurité" commun qui ne s'est jusqu'ici guère concrétisé. Les seuls points de friction sont dus à la "politique de voisinage" de l'UE avec les Etats de la CEI limitrophes de l'UE élargie (la Biélorussie, l'Ukraine), ainsi qu'à la volonté de la Russie de renforcer ses liens avec la Biélorussie, l'Ukraine et le Kazakhstan dans le cadre de "l'espace économique commun" défini en septembre 2003 à Yalta.

La Russie entretient avec les pays de la CEI des rapports contrastés qui ne se réduisent pas au schéma de la domination russe. Les relations avec la Géorgie demeurent problématiques à cause de l'implication de cette dernière dans le conflit tchétchène ainsi que sa volonté déclarée de conduire une politique étrangère autonome. Les relations avec la Biélorussie pourraient-elles aussi devenir problématiques, parce que l'union proclamée avec la Russie ne progresse pas, à cause des réticences des deux parties. L'Ukraine est le principal partenaire de la Russie dans la CEI, un partenaire qu'elle n'entend pas perdre au profit de l'Occident, et c'est pourquoi elle le traite avec ménagement et pragmatisme. En Moldavie, la Russie possède dans la Transnistrie un pilier auquel elle ne veut pas renoncer. Les relations de la Russie avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan ainsi qu'avec les républiques d'Asie centrale de la CEI, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Turkménistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan se sont stabilisées sous Poutine. L'amitié entre les peuples a cédé la place à la coopération économique devenue prioritaire. Que l'autocratie présidentielle que Poutine cherche à établir en Russie soit le modèle dominant dans tout l'espace de la CEI (à l'exception de la Géorgie et du Tadjikistan) contribue encore à renforcer leurs liens.

Comme en Russie la politique étrangère est avant tout du ressort du Président, il faut plutôt s'attendre pour le second mandat de Poutine à une poursuite de la ligne qui s'est dessinée jusqu'ici qu'à de nouvelles orientations. En revanche, Poutine ne peut plus repousser indéfiniment les décisions qui intéressent les Européens et les Etats-Unis, c'est-à-dire l'adhésion de la Russie à l'OMC, la Charte européenne de l'énergie et le protocole de Kyoto. La Russie n'a cessé de différer la ratification de ces trois accords internationaux en faisant chaque fois valoir ses "intérêts nationaux". Dans ces trois cas, il s'agit essentiellement pour la Russie de protéger son secteur énergétique de la concurrence internationale. L'adhésion à l'OMC a jusqu'ici échoué à cause du refus de la Russie d'augmenter son tarif intérieur pour le gaz naturel au moins jusqu'au niveau de celui qu'elle a fixé aux autres Etats de la CEI, et de ne plus l'utiliser pour subventionner sa métallurgie et sa production d'engrais. Dans l'article sur le transit de la Charte européenne de l'énergie, la Russie met en avant des arguments techniques, mais derrière son opposition se cache plutôt le refus de voir les transports d'énergie en provenance d'Asie centrale qui transitent par le territoire russe soumis à des règles internationales. Dans le cas du protocole de Kyoto, la Russie allègue de façon peu convaincante sa crainte de ne pouvoir d'ici quelques années respecter les limites - très généreuses - qui lui ont été fixées pour les émissions de gaz polluants à cause de la forte croissance économique qu'elle s'est donnée pour objectif (le fameux doublement de son produit intérieur brut). Il est fort possible que l'entourage de Poutine fasse pression sur lui pour qu'il renonce à la participation de la Russie au protocole de Kyoto et à la Charte européenne de l'Energie et qu'il diffère l'adhésion à l'OMC.


LA TCHETCHENIE DE POUTINE

À première vue, le premier mandat de Poutine se présente comme une série de réussites. Depuis son entrée en fonctions, l'économie est en pleine croissance, le calme règne à l'intérieur et le prestige international de la Russie s'est accru. Le naufrage du Koursk et la scandaleuse gestion de la catastrophe (dissimulation de la vérité, retardement de l'aide internationale, absence de sanction des coupables) n'a pas entaché la réputation de Poutine ; l'arrestation de Khodorkovski et d'autres hommes d'affaires russes a rencontré l'approbation du pays et ne lui est pas reprochée à l'étranger. La pauvreté sera bientôt surmontée grâce à la croissance, l'écologie est absente du débat politique. La Tchétchénie ne fait pas non plus l'objet d'une attention particulière de la part de la politique et des médias officiels russes, et l'opinion publique internationale ne s'en souvient que lorsqu'a lieu un attentat meurtrier. Moscou a confié à son représentant, le gouverneur Ahmad Kadyrov, le soin de régler le problème, et grâce à cette "tchétchénisation" ne se sent plus concernée. Les événements qui se déroulent en Tchétchénie sont présentés comme relevant de la lutte contre le terrorisme international. Mais contrairement aux apparences, la Tchétchénie constitue en fait la plus grande défaite de Poutine et représente pour la Russie un fardeau permanent.

Il est à craindre que Poutine ne tente de poursuivre sur la voie de la "tchétchénisation" lors de son second mandat, ce qui fera inévitablement perdurer le conflit. Tant que les Occidentaux ne remettront pas en cause la thèse russe de "l'affaire intérieure" et l'interprétation de la guerre comme "lutte contre le terrorisme", il est peu probable que Moscou change d'attitude.


ORDRE ET CHAOS

Le système politique russe a connu des changements visibles au cours des quatre années qui ont suivi l'entrée en fonctions de Poutine. Sous Eltsine, la Russie était une démocratie présidentielle pluraliste. Doté par la constitution de vastes pouvoirs, le président accordait une importante marge de liberté non seulement au libre développement du capitalisme, mais aussi aux médias et à la société civile. Mais son pouvoir ne reposait ni sur un large consensus populaire ni sur des majorités assurées au parlement. L'art d'Eltsine consistait à faire jouer les unes contre les autres les forces politiques en présence et à maintenir sous sa coupe l'appareil d'Etat par des mouvements de personnel.

Poutine a "mis de l'ordre" dans ce prétendu "chaos". Il a renforcé les structures étatiques en instaurant la "verticale du pouvoir" du centre vers les régions, a toléré une restriction de la liberté des médias, donné une leçon aux milieux d'affaires avec le cas Ioukos/ Khodorkovski, et depuis décembre 2003 il peut s'appuyer sur un parlement où un parti à ses ordres dispose d'une majorité suffisante pour modifier la constitution. À la différence d'Eltsine, il est porté par une vague d'adhésion populaire qu'il a lui-même suscitée grâce à une habile conduite.

Poutine apparaît ainsi plus puissant que ne l'ont jamais été Eltsine ni même Gorbatchev. Mais deux questions se posent : premièrement, pourquoi Poutine a-t-il besoin de pouvoirs aussi larges ? Et deuxièmement, jusqu'à quel point n'est-il pas plus encore le jouet de son entourage que ne l'était dans une certaine mesure Eltsine?

Certains pensent que Poutine a besoin de son pouvoir pour poursuivre ses réformes économiques, donc pour mener à bien la modernisation de la Russie qu'il s'est fixée pour objectif. Lilia Schevzova, une politologue russe connue, considère que la consolidation du pouvoir de Poutine lui donne de meilleures chances de réaliser des réformes structurelles comme la réforme de l'administration, la libéralisation de l'économie, la réforme de la justice, du système bancaire et de Gazprom ainsi qu'une réforme du parlement dans le sens d'une extension de ses attributions. Avec un parlement docile, ces projets seront plus faciles à réaliser qu'auparavant, et par conséquent les perspectives sont meilleures que jamais pour les investisseurs étrangers, suppose-t-on dans les milieux d'affaires qui d'ailleurs ne se plaignent pas du résultat des élections de 2003.

Mais a-t-on besoin pour cela d'un parlement dominé par un parti exerçant un monopole dans les rouages de l'Etat, d'une presse sous haute surveillance, de chefs d'entreprise menacés d'emprisonnement, d'un appareil d'Etat pénétré par les militaires et les membres des services secrets ? C'est l'effet contraire qui pourrait bien se produire, et le remodelage du système politique à l'œuvre sous Poutine risque de devenir un frein aux réformes structurelles qu'il s'est fixées pour but. Même s'il est vrai que c'est la bureaucratie qui sabote aux échelons inférieurs et en province les lois et décrets de Moscou, en soi bons, comment une bureaucratie renforcée au sommet et marquée par une mentalité de conspirateurs peut-elle y remédier ? Comme le montre l'expérience vérifiée à travers le monde, ce sont au contraire les mouvements de protestation des citoyens et la liberté de la presse qui empêchent la prolifération d'une bureaucratie omnipotente, et non de "meilleurs" bureaucrates. C'est la question qui se pose à Poutine pour son second mandat : peut-il et veut-il accorder à la société russe la marge de liberté face à l'Etat qu'il a inscrite à son programme et dont il a à de multiples reprises proclamé la nécessité?

Traduction Forum (PE)


Bibliographie

- “Liberale Marktwirtschaft in autoritärem Umfeld. Russlands Wirtschaft vor Putins zweiter Amtszeit”, in: Internationale Politik, März 2004, S. 35-42.
- “Komfortable Hausmacht. Russland nach Putins Durchmarsch”, in: Blätter für deutsche und internationale Politik, März 2004, S. 337-347.
- “Licht und Schatten. Die Energiepartnerschaft zwischen Russland und der EU”, in: Osteuropa, 9-10, 2003, S. 1525-1539.
- “Wirtschaftstransformation in Rußland. Kulturelle Einflüsse, Ideen, Schritte, Wirkungen”, in: Wolfgang Eichwede (Hrsg.), Analysen zur Kultur und Gesellschaft im östlichen Europa, Bd. 14, Bremen 2003.


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