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Quel rôle pour le couple franco-allemand dans une Europe élargie ?
Par: Elisabeth GUIGOU* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Elisabeth GUIGOU*
* Ancien ministre
© 2004


Dès lors que l'on admet ce principe d'une " tête de pont " à l'Union européenne, la France et l'Allemagne sont incontournables en son sein. Elles s'imposent par leur légitimité historique, leur poids économique et démographique et, surtout, leur capacité à s'accorder. La France et l'Allemagne partagent en effet un projet pour l'Europe remarquablement proche et ont développé, depuis 50 ans, des pratiques constantes de dialogue, d'écoute mutuelle et de partenariats. Mais pour retrouver une légitimité et redevenir moteur dans l'Union la France et l'Allemagne doivent faire preuve d'imagination et d'exemplarité : elles doivent respecter nos partenaires, proposer des initiatives concrètes et pas seulement des symboles et des slogans.




La réconciliation entre la France et l'Allemagne fut l'amorce du processus d'intégration européenne, leur entente a toujours été la condition de son approfondissement. De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt, Mitterrand-Kohl, ces couples ont impulsé toutes les grandes initiatives qui ont fait l'Europe d'aujourd'hui. Ce moteur reposait sur le souvenir encore vivace des guerres mondiales mais aussi sur une forme d'exemplarité de la France et de l'Allemagne, leurs dirigeants n'hésitant pas à prendre des risques en politique intérieure pour faire avancer l'Europe.

Or les fondements - et les raisons d'être - du moteur franco-allemand sont aujourd'hui remis en cause. Nous voilà contraints de les réinventer.

En interne, au-delà des difficultés conjoncturelles liées à l'entente très précaire entre MM. Chirac et Schröder, l'équilibre des relations entre Français et Allemands est bouleversé par l'arrivée au pouvoir de nouvelles générations d'Allemands qui, à l'image de Gerhard Schröder, sont nées après la guerre et entendent légitimement s'affranchir du poids de la culpabilité.

En externe, le couple franco-allemand est confronté aux élargissements successifs qui relativisent son poids dans l'Union, à la distanciation des Etats-Unis depuis la fin de la menace soviétique et surtout à la peur du "directoire franco-allemand" chez beaucoup de nos partenaires européens. Cette peur, latente et ancienne, a été exacerbée par la maladresse de nos dirigeants lors de leur initiative sur l'Irak. Nos partenaires ont eu le sentiment d'être placés devant un fait accompli, tant la préparation diplomatique avait été lacunaire. Les propos méprisants de Jacques Chirac envers les pays candidats ont blessé, inutilement et durablement. Cette méfiance est devenue hostilité lorsque la France et l'Allemagne ont décidé unilatéralement de s'affranchir du Pacte de stabilité. Il faut tout de même rappeler que ce Pacte avait été voulu à l'origine par Jacques Chirac et que celui-ci avait refusé la demande de réforme de Lionel Jospin en 1997 ! Les deux "grands" jouent "cavaliers seuls", tout en imposant aux "petits" des règles qu'ils ne daignent pas respecter. Comment, dès lors, oser prétendre à un leadership?

Le tandem franco-allemand a cependant des raisons valables d'exister. L'Union européenne à 25 Etats-membres est une union vaste et diversifiée. Si l'on a pour ambition -c'est là le choix politique des sociaux-démocrates- de faire de l'Union européenne une Europe fortement intégrée, une Europe de la solidarité et non pas seulement du libre-échange, une Europe capable de peser sur l'état du monde, de maîtriser et d'humaniser la mondialisation, alors il n'y a pas de tâche plus urgente que de redonner un moteur à l'Union. Beaucoup de nos partenaires n'adhèrent pas, aujourd'hui, à ce projet ambitieux. Mais ce n'est pas une raison pour y renoncer. L'Europe, depuis sa création, n'a cessé d'être une utopie. Il faut continuer à progresser pas à pas, en posant des jalons concrets, avec les pays qui le souhaitent, vers la mise en commun des politiques sociales, fiscales, industrielles, sanitaires, environnementales, etc. La différenciation des rythmes et des objectifs, la constitution d' "avant-garde" au sein de l'Union est déjà une réalité avec l'Eurogroupe ou l'espace Schengen. Tous les traités européens de Maastricht à Nice ont fait avancer le concept de "coopérations renforcées"(1), pour aller plus vite et plus loin, à quelques uns. Les avant-gardes réussies se sont toujours construites sur un contenu concret (monnaie unique, libre circulation), une longue maturation (il a fallu une 30 ans pour la monnaie unique et il reste à créer un gouvernement économique) et sur le principe fondamental que les pays non participants n'empêchent pas les autres d'avancer mais seront les bienvenus, dès qu'ils le voudront et le pourront. Une avant-garde ne peut être conçue pour exclure ou pour punir, elle ne peut se décréter a priori, ni être vide de contenu. Elle n'est légitime et utile que si elle vise une coopération plus étroite dans un ou des domaines précis, que si elle veut impulser, entraîner, rassembler le plus grand nombre et, finalement, convaincre tous les Etats membres de l'Union. Elle ne peut être une alternative à l'Europe des 25 mais doit être, au contraire, un moteur.

Dès lors que l'on admet ce principe d'une "tête de pont" à l'Union européenne, la France et l'Allemagne sont incontournables en son sein. Elles s'imposent par leur légitimité historique, leur poids économique et démographique et, surtout, leur capacité à s'accorder. La France et l'Allemagne partagent en effet un projet pour l'Europe remarquablement proche et ont développé, depuis 50 ans, des pratiques constantes de dialogue, d'écoute mutuelle et de partenariats.

Comment le couple franco-allemand pourra-t-il retrouver une légitimité et redevenir moteur dans l'Union ? Je crois que la France et l'Allemagne doivent faire preuve d'imagination et d'exemplarité (2) : elles doivent respecter nos partenaires, proposer des initiatives concrètes et pas seulement des symboles et des slogans. Les idées ne manquent pas (3), seule la volonté fait défaut. Certains vont jusqu'à prôner la fusion franco-allemande (4), je pencherais plutôt pour des initiatives, plus modestes peut-être, mais bien concrètes telles que : la priorité à l'apprentissage de la langue de l'autre ; la mise en œuvre entre régions françaises et länder de programmes de formation professionnelle, co-financés par les entreprises et proposant stages, bourses et débouchés ; le lancement d'une L.C.I. franco-allemande, après le succès d'Arte ; la systématisation des séances de travail communes entre parlementaires français et allemands ; l'unification des corps diplomatiques, source d'économies conséquentes et garantie du rapprochement en amont de nos politiques étrangères ; la fusion des sièges français et allemands dans les institutions internationales ; le regroupement des gardes-frontières français et allemands, etc...

Avec de telles innovations concrètes, nos deux pays retrouveraient leur crédit et représenteraient un véritable laboratoire d'expérimentation pour l'unification européenne. Le leadership viendra, non pas d'effets de manche incantatoires, mais de notre capacité à réaliser, concrètement, des projets fédérateurs.


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