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Les représentations du droit et de la constitution en France et en Allemagne
Par: Prof. Dr. Thomas WÜRTENBERGER* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Thomas WÜRTENBERGER
* Directeur du Département de Droit Constitutionnel de l'Université de Fribourg
©1998


Il serait réducteur de se contenter de relever quelques différences de représentation collective du droit et de la constitution en France et en Allemagne. La société moderne post-industrielle n'a pas seulement unifié les modes de vie et les comportements indépendamment des frontières nationales mais elle a aussi rapproché les représentations juridiques et constitutionnelles. Le processus de mondialisation n'est pas non plus sans favoriser des attitudes de plus en plus similaires vis-à-vis de la politique et du droit.




Comme les représentations politiques et sociales, celles du droit et de la constitution constituent un fait relevant de la psychologie individuelle et collective, qui n'est pas sans impact sur le comportement de l'individu et de la société. D'un côté, les représentations collectives du droit et de la constitution déterminent l'ordre juridique d'une société. De l'autre côté, celui-ci, évoluant selon sa propre tradition, exerce une forte influence sur ces représentations ainsi que sur les modifications de ces représentations. En tant que fait important relevant de la psychosociologie, ces représentations nous permettent de comparer et de mieux comprendre les mentalités et les comportements français et allemands.

En étudiant les points communs et les divergences des représentations juridiques et constitutionnelles en France et en Allemagne, notre attention doit se porter naturellement sur le système de formation, susceptible de transmettre les traditions politico-juridiques. Dans les établissements universitaires en France ainsi que dans les manuels généraux, l'enseignement de l'histoire des institutions et principes constitutionnels et administratifs et de celle des idées politiques, dispensé traditionnellement en même temps, constitue le fondement de l'étude du droit et de la politique. En enseignant les origines historiques de la République, de la Démocratie ou de la Défense des droits fondamentaux, l'on fait prendre conscience des traditions politico-juridiques qui forment l'assise de l'ordre juridique actuel et le légitiment. Contrairement à la France, et jusqu'à nos jours, l'Allemagne ne connaissait pas d'enseignement systématique de l'histoire des institutions et principes fondamentaux du droit publique de sorte que cette perspective historique fait également défaut dans les manuels. Ainsi même l'histoire du fédéralisme en tant que principe essentiel d'organisation a-t-elle été négligée. Notre difficulté à porter un jugement positif sur notre propre histoire politique et juridique explique, d'une manière générale, l'absence d'une histoire des principes et institutions, mettant l'accent également sur la continuité de l'évolution politico-juridique qui nous fait défaut. C'est pour cela que, jusqu'à aujourd'hui, celle-ci a du mal à s'établir comme élément d'identification.

En s'intéressant de plus près à l'acceptation des principes constitutionnels en France et en Allemagne, on constate tout d'abord un large consensus constitutionnel dans les deux pays. La constitution, établissant l'ordre juridique général, est largement acceptée et détermine la vie politique. Il y a sans doute des raisons historiques pour expliquer certaines divergences en ce qui concerne l'acceptation de tel ou tel principe constitutionnel. En Allemagne, l'appréciation à l'encontre de la jurisprudence et de son rôle primordial a toujours été bonne. Depuis l'époque de l'absolutisme " éclairé " et de la législation en matière de sécurité sociale instaurée par Bismarck, qui a établi un système de prévention sociale, l'Etat-providence est largement accepté. Le principe d'Etat social n'est pas seulement un principe constitutionnel, mais constitue en même temps une source de légitimation de l'Etat. Le système politico-juridique français s'est en revanche longtemps défini par l'idée d'autodétermination et d'une organisation démocratique de la vie politique. L'évolution divergente de la Cour constitutionnelle française par rapport à celle de l'Allemagne en est un bon exemple.

Des représentations différentes du droit et de la politique se manifestent par rapport à l'action publique en matière da protection de l'environnement. L'inscription du principe de protection de l'environnement dans la constitution ainsi que la participation des Verts au gouvernement de quelques Länder sont les conséquences du mouvement écologiste qui, depuis les années 70, a pris de l'ampleur en Allemagne. En revanche, il semble qu'en France, le degré de sensibilité collective en matière d'environnement dépende des régions. Ces différentes sensibilités face à l'environnement influent naturellement sur les pratiques allemande et française en ce qui concerne les procédures d'autorisation soumises à des exigences environnementales.

Il serait pourtant réducteur de se contenter de relever quelques différences de représentations collectives du droit et de la constitution en France et en Allemagne. La société moderne, postindustrielle n'a pas seulement unifié les modes de vie et les comportements indépendamment des frontières nationales, mais elle a aussi rapproché les représentations juridiques et constitutionnelles. Le processus de mondialisation n'est pas sans favoriser des attitudes de plus en plus similaires vis à vis de la politique et du droit. Au delà de ces tendances modernes, on doit constater qu'à l'origine des représentations collectives françaises et allemandes se trouve, en fin de compte, l'histoire commune de la création de l'état de droit de type occidental. C'est justement par rapport à l'élaboration des principes fondamentaux de l'Etat de droit occidental que les échanges entre la France et l'Allemagne se sont multipliés depuis le XVIIIe siècle. En ce qui concerne les débats sur le droit naturel au XVIIIe siècle ou sur les idées libérales au XIXe siècle, la France et l'Allemagne ont vu surgir des discussions semblables, menées parfois même entre les deux pays, et qui ont conduit à asseoir les principes politiques et juridiques et à fonder les représentations juridiques et constitutionnelles.

En dehors de cette évolution commune vers l'état de droit dont le souvenir devrait s'inscrire dans les mémoires historiques de la France et de l'Allemagne, la politique et la législation de l'Union Européenne ont également rapproché les représentations juridiques et constitutionnelles. Le processus d'unification européenne crée un cadre permettant l'élaboration d'une culture européenne du droit qui soit commune. L'ordre juridique supranational n'est pas sans influencer les représentations juridiques et constitutionnelles des Etats membres. C'est surtout la France qui, ayant toujours suivi le modèle de l'Etat centralisé, voit se développer une nouvelle attitude fédéraliste. Des contraintes européennes, tendant à unifier les principes nationaux en matière de droits constitutionnel, administratif et judiciaire engendre des modifications dans les représentations juridiques et constitutionnelles. Malgré la volonté justifiée d'harmonisation, la revendication pour que cette culture européenne du droit respecte -fidèle au principe de subsidiarité- les particularités nationales ou régionales des cultures ou traditions juridiques, n'a en rien perdu de son importance.

Traduction Forum


Bibliographie

- Die Legitimität staatlicher Herrschaft. Eine staatsrechtlich-politische Begriffsgeschichte. Schriften zur Verfassungsgeschichte. Band 20. Duncker & Humblot, Berlin
- Staatsrechtliche Probleme politischer Planung. Schriften zum Öffentlichen Recht, Band 360. Duncker & Humblot, Berlin 1979, 445 S.
- Zeitgeist und Recht. J.C.B. Mohr, Tübingen, 2. Aufl. 1991, 244 S.


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