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Témoignage d'un déporté de la résistance sur l'Allemagne et sur l'Europe
Par: Jean Ecole* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Jean Ecole*
* Professeur honoraire à l'Université catholique d'Angers
© 1999


Comment donner sens à l'idée européenne indépendamment de sa dimension intellectuelle et philosophique ? C'est cette "Europe des esprits" qu'il s'agit de perpétuer afin que le rapprochement des nations de notre continent ne se réduise pas à ses implications marchandes et politiques. Il est certain que ce souci a animé l'activité de chercheur et de philosophe de Jean Ecole ainsi qu'en témoigne notamment la collection pluridisciplinaire d'ouvrages "Europaea Memoria" dont il est le fondateur. Son histoire personnelle et son franc- parler en font un témoin particulièrement précieux pour tous ceux qui voudraient à la lumière de cette expérience prendre la mesure du chemin parcouru par notre continent. Nous le remercions d'avoir accepté de contribuer à notre réflexion.


Jean Ecole : Prêtre, Professeur honoraire à l'Université catholique d'Angers, Officier de la Légion d'Honneur - Né le 2 mars 1920 à Craon (Mayenne), ordonné prêtre le 19 septembre 1942 - Entré au Mouvement Libé-Nord début juillet 1943, arrêté par la Gestapo le 17 janvier 1944, déporté aux camps de concentration de Mauthausen et de Dachau, libéré le 29 Avril 1945 - Docteur ès-Lettres le 26 Mai 1956 - Stipendié par le C.N.R.S. pour la préparation de ses thèses et son édition des Oeuvres de Christian Wolff (Octobre 1950-Mars 1985) - A enseigné la philosophie au Collège du Sacré-Coeur de Mayenne (Octobre 1945-Juillet 1955), avant d'être nommé Maître de conférences, puis Professeur de métaphysique à l'Université catholique d'Angers (Novembre 1955-Juin 1978).

La première image que j'ai reçue de l'Allemagne, c'est celle d'un pays ennemi de la France. Mon père avait été prisonnier trois ans pendant la grande guerre. Mon grand-père maternel avait fait celle de 1870 et gardait une haine viscérale de ceux qu'il appelait les Prussiens.

Mais mes études secondaires me firent découvrir et aimer la littérature et, d'une façon générale, la culture allemande. L'atmosphère mystérieuse et féerique des contes et légendes germaniques m'enchantait.

D'autant plus grandes furent ma déception et mon amertume, lorsque éclata la guerre entre la France et l'Allemagne et surtout lorsque les armées de celle-ci nous envahirent et me firent prisonnier en juin 1940. Leur pays redevenait pour moi le pays ennemi dont me parlait mon grand-père. Et je me promis aussitôt de lutter pour la libération de notre patrie, en commençant par m'évader vers la zone libre. Mais je ne pus prendre part à la résistance qu'une fois terminées mes années de grand séminaire.

Mon action au mouvement Libé-Nord m'a valut d'être arrêté et envoyé en camp de concentration. Je découvris alors la profonde emprise de l'idéologie nazie sur le peuple allemand car ce ne sont pas seulement les sbires de la Gestapo et les SS qui nous ont torturé, mais aussi les soldats de la Wehrmacht et de la Luftwaffe qui assuraient la garde des Kommando, ainsi que les civils qui dirigeaient le travail et les chantiers.

Aussi suis-je revenu de cet enfer avec un profond ressentiment envers tous les Allemands, et c'est avec force que j'ai rejeté l'idée d'un rapprochement franco-allemand, lorsqu'elle a fait sa première apparition. Ce n'est qu'après avoir fait la connaissance d'allemands ayant aussi soufferts du nazisme et redécouvert, grâce à eux, une autre Allemagne que celle de nos bourreaux, que j'ai suivi le Général de Gaulle quand il s'est engagé dans cette voie avec le Chancelier Adenauer.

Se rapprocher, apprendre à vivre ensemble, oui; mais sans oublier, et sans cesser de rappeler aux jeunes générations la barbarie incroyable de l'Allemagne nazie, afin de l'exorciser en quelque sorte.

Ce rapprochement était nécessaire, d'abord pour que les Français et les Allemands ne se fassent plus la guerre tous les vingt ans, ensuite parce que c'était la condition sine qua non pour réaliser l'union européenne dont l'idée commençait aussi à se faire jour.

Etait également nécessaire à cette fin la réunification des deux parties de l'Allemagne dont aucune raison valable ne justifiait la séparation, et parce qu'il fallait cette réunification pour achever de faire tomber le rideau de fer qui était un obstacle à cette union. Car il n'y a d'union possible et viable qu'entre des nations libres et souveraines.

L'Europe donc, oui; mais pas n'importe laquelle. Il faut qu'elle soit un espace de réflexion et de liberté, comme elle l'était au Moyen Age et au XVIIIe siècle.

Or que nous propose-t-on aujourd'hui? Une Europe où toute souveraineté nationale disparaîtra, où le pouvoir réel appartiendra à des technocrates irresponsables parce que non élus et aux magnats de la grande finance, par conséquent une Europe antidémocratique et qui, plus est, tristement uniformisée par la suppression des particularités qui font de chacun des peuples qui la composent des réalités différentes, concrètes et vivantes.

Il faut certes travailler à la constitution de l'union politique, économique, diplomatique, militaire, etc… Mais ces peuples ont une histoire, une culture, des façons de vivre, de penser, de sentir fort différentes de l'un à l'autre, et n'en pas tenir compte, c'est condamner à l'échec les tentatives pour parvenir à cette union. Ni en France, ni en Allemagne et pas plus dans les autres pays, on est prêt à accepter de faire partie d'une entité abstraite où les individualités nationales seront broyées.

Ce serait aller contre la nature des choses et à contre-courant de l'histoire, car il existe une Europe qui est le contraire d'une telle entité, à savoir l'Europe de l'esprit, qui s'est constituée peu à peu au cours des siècles, naturellement et pas à coups de traités. Elle est faite de l'ensemble des manifestations de la culture si richement diversifiées d'un pays européen à l'autre : philosophie, sciences, théologie, littérature, arts, politique, économie, etc…, et constitue un modèle qu'on aurait intérêt à méditer. Mais tout se passe comme si on avait oublié son existence.

Et c'est pour rappeler qu'avec mon adjoint luxembourgeois Robert Theis, j'ai lancé, chez mon éditeur allemand Georg Olms, une nouvelle collection d'ouvrages, pluridisciplinaire, Europaea Memoria, entièrement consacrée à l'histoire de toutes ces manifestations, dans laquelle chaque auteur peut utiliser une des cinq grandes langues européennes les plus connues : le français, l'allemand, l'anglais, l'italien, l'espagnol, et dont la direction est assistée d'un comité scientifique de trente membres choisis parmi les meilleurs spécialistes dans onze pays d'Europe.

Puisse Europaea Memoria aider à mieux connaître l'Europe de l'esprit et, ce faisant, apporter sa contribution à la construction de l'Union Européenne.


Bibliographie

Ouvrages

- "Nouvelles études et nouveaux documents photographiques sur Christian Wolff" - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag, 1997.
- "Louis Lavelle et le renouveau de la métaphysique de l'être au XXème siècle" - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag, 1997.
- "Métaphysique de l'être, doctrine de la connaissance et philosophie de la religion chez Louis Lavelle" - Genova, Biblioteca di Filosofia Oggi, 1994.
- "La métaphysique de Christian Wolff", 2 vol. - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag, 1990.
- "Introduction à l'Opus metaphysicum de Christian Wolff" - Paris, Vrin, 1985, Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag.
- "Index auctorum ad quos Wolffius remittit" - Hiddesheim, New York, Georg OLMS Verlag, 1985.
- "La métaphysique de l'être dans la philosophie de Maurice Blondel" - Louvain, Editions Nauwelaerts, 1959.
- "La métaphysique de l'être dans la philosophie de Louis Lavelle" - Louvain, Editions Nauwelaerts, 1957.

Editions

- Neuf traités latins de métaphysique et de logique de Christian Wolff - Hildesheim, New York, Georg Olms Verlag, 1962-1983.
- "De l'existence, Manuscrit de Limoges de Louis Lavelle" - Genova, Studio editoriale di cultura, 1984.

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