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Indispensable ARTE
Par: Jérôme CLEMENT* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Jérôme CLEMENT*
* Président du directoire de La Sept/ARTE
© 1999


Nous vivons, au quotidien, une triple exigence, qui est une triple affiliation : au service public audiovisuel, à l'amitié franco-allemande, à la culture européenne. Si la réalité franco-allemande est celle du fonctionnement quotidien d'Arte, l'ambition européenne est celle de sa diffusion. Nous avons l'ambition de participer à la création d'un espace culturel européen et de faire ainsi de l'Europe un ensemble véritablement vivant.


Peu nombreux sont ceux qui, aujourd'hui, ne voient pas dans la chaîne Arte la marque d'un succès. Je ne boude guère le plaisir que j'ai à constater que téléspectateurs et observateurs du monde de la télévision reconnaissent ainsi que nous avons su relever des défis que je crois être toujours d'actualité. Celui, d'abord, d'accorder à la culture - et à ce qu'elle recèle en termes d'exigence et de qualité sur le plan de la production d'images - une place importante dans le paysage audiovisuel français et de croire en notre capacité à toucher un public très large. Le défi, ensuite, qui consistait à créer une entreprise binationale - avec des équipes, une direction, des instances binationales - et incarner ainsi dans un projet vivant la volonté politique inscrite dans l'axe franco-allemand. Enfin, il s'agissait - puisque Arte n'est pas seulement une chaîne de télévision franco-allemande mais un projet européen - d'illustrer la construction européenne dans une perspective qui ne soit pas seulement économique et industrielle.

Nous vivons donc, au quotidien, une triple exigence, qui est une triple affiliation : au service public audiovisuel, à l'amitié franco-allemande, à la culture européenne. Ce qui recouvre un credo culturel : nous avons la conviction que la télévision est à la fois un vecteur de culture, sans doute celui qui est le plus à même de toucher le public le plus large et le lieu d'une création propre, que nous travaillons à rendre accessible aux plus nombreux. Et, de fait, sur le plan géopolitique, un double objectif : franco-allemand et européen. Je ne crois pas qu'il y ait là le lieu d'une distorsion.

Sans conteste, la réalité quotidienne de notre entreprise est franco-allemande. Il a fallu apprendre à gérer un système complexe. Ce qui, outre la question de la langue, suppose un apprentissage permanent des habitudes de l'autre ; ce qui constitue aussi, récompense de cet effort, un irremplaçable instrument de rapprochement et de compréhension mutuelle. D'emblée, nous avons tous été frappés, en effet, par les différences de modes de fonctionnement : une attitude plus spontanée, rapide, fluide, adaptable -qui comprend une part d'incertitude et d'inconstance - du côté français ; la lenteur des processus de décision et la lourdeur des mécanismes de concertation - qui assurent une très grande fiabilité - du côté allemand. Mais nous avons très vite appris aussi ce que l'on pouvait tirer de mieux des habitudes de l'autre, et surtout à accepter, à s'adapter et à s'enrichir de ces mécanismes nationaux.

Cette confrontation quotidienne, ce frottement de deux cultures, produisent également un effet sur la matière audiovisuelle que nous travaillons. Il est sans doute plus difficile d'influer sur les modes de création - et tel n'est pas forcément l'objectif. En revanche, la prise en compte d'habitudes culturelles différentes induit nécessairement un processus créatif, une gymnastique constante en matière de programmes, qui ont débouché, par exemple, sur la création d'un journal tout en images, le 8 1/2, inventé pour détourner la contrainte du bilinguisme, mais dont la valeur intrinsèque est aujourd'hui partout reconnue ; ou encore, autre exemple, sur la mise en place d'une nouvelle grille cassant les habitudes tout en s'y adaptant, en créant une articulation novatrice autour des deux prime time avec ARTE Info, allemand (à 20 heures 15) et français (à 20 heures 45). Plus généralement, la confrontation de points de vue différents enrichit les grilles d'analyse pour le choix des programmes. Bref, l'ensemble est incontestablement fructueux, ne serait-ce que parce qu'il interdit toute paresse intellectuelle.

Mais au-delà, notre ambition européenne conduit à dépasser cette réalité quotidienne. Ce qui se traduit par plusieurs mécanismes. Celui des accords, d'abord, que nous avons passés avec différentes télévisions européennes - en Belgique, en Italie, en Autriche, en Espagne, en Suisse - et qui débouchent sur des coproductions ou des échanges de programmes. Ces partenaires privilégiés que sont ces télévisions publiques européennes élargissent notre cadre de réflexion. Mais ils permettent surtout de comprendre que si la réalité franco-allemande est celle du fonctionnement quotidien d'une chaîne de télévision, l'ambition européenne est celle de notre diffusion.

C'est à la fois moins - parce que nous ne créerons pas une structure européenne, multilingue et particulièrement complexe - et plus - parce que nous avons l'ambition de participer à la création d'un espace culturel européen et de faire ainsi de l'Europe un ensemble véritablement vivant.

Il faut cesser de croire, en effet, que l'Europe se fera sans les individus qui la composent, et sans considérer ces individus dans leur vie quotidienne, c'est-à-dire aussi dans leurs pratiques culturelles. La culture est ce qui donne chair à un ensemble social, au sentiment d'appartenance. Imaginer que nous puissions élaborer ensemble un patrimoine télévisuel commun et inventer un concept de télévision qui se retrouve dans chacune des nations qui composent l'Europe : Arte ne peut être qu'au cœur d'une telle démarche. Il s'agit moins alors d'imaginer un programme unique, diffusé à l'identique, au même moment, dans l'ensemble des pays - ce qui est le cas aujourd'hui en France et en Allemagne. Mais d'inventer un réseau de télévisions culturelles européennes, unies par une même conviction - l'importance de la culture pour créer une communauté -, par un même souci d'exigence, et puisant dans un même patrimoine.

Il n'y a pas de contradiction, je crois, entre les deux faces de ce projet : Arte est bien, au premier chef, une entreprise franco-allemande, mais elle aspire à devenir un modèle en Europe. Français, Allemands, Européens : nous partageons cette même ambition.

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