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Le couple franco-allemand : une Europe inspirée ?
Par: Jacques BARROT* Envoyer l'article à un ami | Version imprimable
Jacques BARROT*
* Député à l'Assemblée nationale (1967 - 2004) - Ancien ministre du travail (1979 - 81 et 1995-97) - Commissaire européen (2004...)
© 1999


Nos voisins ont depuis longtemps fait confiance à l'économie de marché pour créer des emplois durables. Ils ont, en outre, hérité d'une grande tradition de dialogue social qui permet aux partenaires sociaux de faire eux-mêmes des choix. Cette maturité est l'un des vrais atouts du modèle rhénan.
Par ailleurs, le contexte international a changé. La mondialisation comporte des contraintes auxquelles Français et Allemands doivent impérativement réfléchir ensemble.



Une fois encore le couple franco-allemand a un rôle décisif à jouer pour bâtir un modèle social européen. La rencontre de Vienne a conclu à la nécessité d'élaborer un pacte Européen pour l'emploi. Signe des temps, c'est l'Allemagne qui, assurant la première présidence du Conseil Européen sous Euro, va exercer la double responsabilité majeure de mettre sur les rails cette nouvelle bataille pour l'emploi, et en même temps, cette nouvelle stratégie destinée à assurer la solidarité des territoires en Europe.

La France, par la voix de Jacques Chirac aussi bien que par celle du gouvernement, a souhaité pouvoir ajouter au pacte de stabilité monétaire, un pacte pour l'emploi. Mais celui-ci ne peut pas se borner à un énoncé de mesures ponctuelles avec ici et là des incitations financières à l'embauche. Après de longs tâtonnements, la France a pu mesurer les limites auxquelles se heurtent ces politiques d'aides directes à l'emploi, et la vérité oblige à reconnaître que nos partenaires allemands ou hollandais ont vu juste en liant étroitement leurs démarches économique et sociale.

Il ne faudrait pas que la nouvelle Allemagne politique prenne ses distances avec un modèle de développement qui a fait ses preuves. Nos voisins ont depuis longtemps fait confiance à l'économie de marché pour créer des emplois durables. Ils ont, en outre, hérité d'une grande tradition de dialogue social qui permet aux partenaires sociaux de faire eux-mêmes des choix. Dans certaines grandes entreprises allemandes, des syndicats ouvriers ont affirmé, de leur propre initiative, préférer le maintien de l'emploi à un accroissement ou même à une sauvegarde de tous les acquis sociaux. Cette maturité est l'un des vrais atouts du modèle rhénan. Le capitalisme en Allemagne a été largement dominé par une préoccupation industrielle et inspiré par des vues à long terme. Au moment où l'économie financière venue d'outre-Atlantique risque de privilégier des rendements à très court terme plutôt que des stratégies industrielles, le capitalisme d'outre-Rhin est un antidote dont il ne faut pas perdre la recette, la preuve que les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après-demain. Tous ceux qui s'éloignent de ce précepte font du tort aux générations à venir.

Le deuxième atout allemand est depuis longtemps la professionnalisation précoce des jeunes, avec un apprentissage industriel très développé qui fait que, même aujourd'hui, de grandes firmes allemandes sont dirigées par d'anciens apprentis. Mais là encore, mues par la recherche d'intérêts à court terme, les firmes allemandes ne se montrent plus aussi ouvertes à l'accueil des jeunes en formation. Pourtant, ce modèle pourrait utilement influencer la France, encore loin derrière, avec seulement 400.000 jeunes en alternance.

Enfin, la tradition allemande voulait que les ouvriers fussent assurés de salaires élevés.A ceux qui prétendaient qu'un ouvrier moins cher d'environ un tiers dans une chaîne de montage automobile était un meilleur choix économique, le Ministre allemand du travail répondait que ce calcul était faux. Il expliquait que l'ouvrier allemand mieux payé, plus qualifié, apte à contribuer à une meilleure spécialisation de l'entreprise sur les marchés mondiaux, compensait largement par sa rapidité et sa motivation le coût de son travail. La bataille de l'emploi ne se gagne pas par la précarisation mais bien par une meilleure adaptabilité du travailleur, gagée sur un effort de formation.

Voilà pourquoi nous comptons sur nos amis allemands : bien loin d'abandonner leur modèle, ils doivent faire bénéficier la nouvelle Europe d'une approche qui leur a assuré longtemps un très solide développement.

Pourtant, le contexte international a changé. La mondialisation comporte des contraintes auxquelles Français et Allemands doivent impérativement réfléchir ensemble. Une certaine modération salariale sera nécessaire pour éviter les délocalisations. L'Allemagne n'a pas eu tort de maintenir une politique de rémunérations élevées, mais depuis 1991, ses charges sociales sont passées de 35,5 % à 42 % du salaire brut. Quant à la France, malgré de modestes allégements, elle reste la championne des cotisations sociales sur le travail. Nous partageons avec nos voisins une réelle fragilité par rapport à des pays qui ont réussi à maîtriser les coûts indirects du travail.

Il faut donc alléger les cotisations sur le travail, et l'on n'y parviendra que par une gestion beaucoup plus responsable et plus efficace de l'Etat-Providence. Il s'agit de la régulation de l'assurance maladie ou des adaptations des régimes de retraite en temps utile, pour lesquels nos gouvernements éprouvent des difficultés. C'est un exercice qui exige beaucoup de courage : le nouveau gouvernement allemand a crû bon de revenir sur certaines restrictions apportées par le Chancelier Kohl ; de même, dans un premier temps, le gouvernement Jospin a crû s'affranchir des nouvelles contraintes posées par la réforme de la sécurité sociale. Un effort de responsabilité sans précédent s'impose et les deux pays n'y parviendront que s'ils savent s'épauler l'un l'autre pour entraîner des opinions intérieures plus sensibles au maintien de certaines facilités qu'à un effort courageux de préparation de l'avenir.

Les vrais enjeux sociaux ne sont pas dans l'extension indéfinie d'un système d'assurance maladie et de vieillesse mais de plus en plus, dans une politique de prévention systématique du chômage de longue durée et de l'exclusion, non seulement professionnelle mais sociale. Cette lutte contre le chômage de longue durée implique une nouvelle stratégie : il ne s'agit plus de traiter uniformément des situations identifiées à travers des définitions statistiques abstraites mais d'aller au-devant de personnes dont la situation mérite une approche personnalisée. Il faut encourager les tentatives de réinsertion, voire les répéter si c'est nécessaire. Une tentative infructueuse ne doit pas faire perdre le bénéfice de mesures de solidarité à tous ceux qui s'efforcent de retrouver une autonomie. L'idée française de transformer le RMI en véritable contrat d'initiatives locales et les expériences allemandes tendant à reconvertir des universitaires au chômage pour en faire des acteurs de la modernisation à l'Est montrent ce que peut être une forme d'émulation commune pour surmonter le risque de ce dualisme nord-américain entre ceux qui sont de mieux en mieux insérés et ceux qui se sentent de plus en plus exclus.

Voilà pourquoi le couple franco-allemand est le mieux à même de donner à l'Europe sa vraie dimension, à la rendre apte à se mesurer au dynamisme américain mais en même temps, capable d'échapper aux faiblesses d'une "société de marché". Maintenir le cap sur l'investissement, conserver à nos peuples le goût de l'action : tels sont les chemins à suivre pour construire une Europe active, jeune, en mesure d'assurer la prospérité économique de notre continent et aussi son rayonnement. Un certain nombre de mouvements consuméristes voire même une certaine écologie conservatrice ont tendance à refuser les efforts quotidiens qu'implique le développement, qu'on le qualifie de durable ou de solide. Face à ce risque, il faut opposer une vraie solidarité des Européens vis-à-vis de leur jeune génération. Plus encore, il y a un impératif moral que Français et Allemands doivent promouvoir avec détermination : celui d'une véritable générosité familiale. Deux grands pays qui ont subi tant de sacrifices en vies humaines doivent donner en ce nouveau siècle un exemple d'amour de la vie, d'accueil de l'enfant, de respect des personnes.

Cet idéal est à la mesure de celui qui a mis en mouvement les pères de l'Europe. Pour avoir plus souffert encore que d'autres, Français et Allemands devraient être les premiers à marcher sur ces nouveaux chemins de l'avenir.

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