Le Tribunal constitutionnel de la République Fédérale a rejeté,
début avril, une demande contre l'Euro, qui avait été formulée par
quelques professeurs; il a ainsi récusé l'ouverture d'un procès.
Ce même jour, toutes les fractions du Parlement fédéral ont approuvé
l'entrée de l'Allemagne dans l'Union Monétaire Européenne. En outre,
un membre de la Banque Centrale britannique a déclaré qu'à son avis,
il serait mieux pour l'économie de son pays de participer également
à l'UME. Parallèlement, on pouvait lire dans le quotidien allemand
" BILD-Zeitung " une interview du candidat SPD (le parti de gauche
allemand) à la chancellerie, Gerhard Schröder, dans laquelle il
déclarait se réjouir de l'UME tout en mettant en garde contre les
dangers de conflits sociaux, qu'elle pourrait générer en Europe.
Il s'agit d'impressions du moment exprimées à la veille de l'union
monétaire, qui entrera en vigueur dès le début de l'année prochaine.
Il serait indulgent de qualifier de "confusion" ce qui se déroule
actuellement en Allemagne à ce sujet. Quasiment tous les jours,
des politiciens, des chefs d'entreprise, des décideurs de différentes
banques centrales, des experts de toute couleur prennent la parole
pour donner leur avis. Alors que d'autres pays européens réfléchissent
intensément sur la monnaie unique depuis des mois, parfois même
au travers de référendums, nous, Allemands, pensons qu'il convient
d'entamer une discussion de principe, lorsque tout a déjà été décidé.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'un nombre croissant de citoyens
allemands soient troublés et qu'une sorte d'Euro-hystérie se propage.
C'est pourquoi je souhaite tout d'abord mettre une chose au point:
l'arrivée de l'Euro est indiscutable; c'est aussi sûr que deux et
deux font quatre. On ne peut pas imaginer les conséquences néfastes
pour l'Europe entière que pourrait avoir un échec de l'Union Monétaire
ou un refus allemand d'y participer. C'est pourquoi le rejet du
tribunal constitutionnel de la République Fédérale doit être considéré
-au-delà de toute appréciation juridique -comme l'expression de
la raison et du bon sens. De toute façon, la décision en faveur
de la participation à l'UME doit se justifier politiquement. Le
politique est également responsable de la future stabilité de l'Euro.
Ni le succès du Deutschmark, ni celui d'une monnaie unique européenne
ne sont garantis par des lois naturelles ou par des normes juridiques.
Pour être stable, une monnaie a plutôt besoin d'efforts permanents
et d'une volonté politique.
La question de savoir si l'Euro se fera ou non peut donc être considérée
comme résolue. Il est plus intéressant désormais d'examiner de près
et de façon critique les conséquences de l'Union Monétaire. Que
signifie l'Euro pour l'Allemagne ? Quels seront ses effets économiques
et sociaux ? Et quelles seront ses conséquences pour l'individu
en tant qu'employé, investisseur ou contribuable ?
L'Euro dans la pratique
En fait, personne ne ressentira véritablement les changements générés
par l'introduction officielle de l'Euro le 1er janvier 1999. Le
Mark allemand restera en usage dans un premier temps. Cependant,
il ne sera plus considéré comme une monnaie indépendante. Il constituera
plutôt une autre forme de la monnaie unique, vis-à-vis de laquelle
il faudra désormais respecter un taux de change précis. Il en va
de même pour le taux de change du Deutschmark vis-à-vis des autres
monnaies nationales des pays participants. Néanmoins, des fluctuations
du cours de change subsisteront par rapport aux monnaies qui ne
font pas (ou pas encore) partie de l'UME, comme la Livre sterling,
la Couronne, la Drachme ou bien évidemment le dollar ou le Yen.
Le passage à la monnaie unique à partir du 1er janvier 1999 n'entraînera
donc, dans un premier temps, pratiquement aucun changement pour
les particuliers. La grande majorité de leurs opérations devra encore
s'effectuer en mark, notamment en raison de l'absence de billets
et de pièces en Euro, dont l'émission n'est prévue qu'ultérieurement.
Les opérations en monnaie scripturale pourront néanmoins être réalisés
en Euro. Un employé pourra percevoir son salaire en Euro sur son
compte en Deutschmark, mais il n'obtiendra toujours que des billets
en Deutschmark lorsqu'il retirera de l'argent de son compte. Lors
de la conversion, le particulier ne subira aucune perte, puisque
la relation entre Euro et Deutschmark sera invariante.
En revanche, il n'en va pas de même pour les entreprises. Ces dernières
devront se préparer très rapidement à une utilisation généralisée
de l'Euro dans leurs transactions courantes. Ce sont essentiellement
les PME/PMI qui sont en retard par rapport à l'arrivée de la monnaie
unique; elles devront désormais s'intéresser davantage à ce sujet,
surtout si elles coopèrent avec de grandes entreprises. Ces dernières
convertiront en Euro toutes leurs transactions en monnaie scripturale
ainsi que leur comptabilité, leurs offres, appels d'offres et financements
dès le 1er janvier 1999. Seules leurs déclarations d'impôts resteront
dans un premier temps en Deutschmark, puisque les autorités financières
allemandes ont annoncé qu'elles ne passeront à l'Euro qu'au dernier
moment, c'est-à-dire en 2002.
Le passage à l'Euro entraînera sans doute des coûts ponctuels pour
l'Etat et les entreprises. En contrepartie, ils bénéficieront d'avantages
de longe durée, notamment de la suppression des coûts liés au change
au sein de l'Europe. Onze des quinze monnaies européennes seront
remplacées par une monnaie unique. Pour l'Allemagne, qui réalise
environ 60% de ses exportations à l'intérieur de l'Union Européenne,
cette simplification aura des conséquences extrêmement bénéfiques.
De plus, les fluctuations des taux de change ainsi que les pertes
liées au change disparaîtront lors du passage à la monnaie unique.
Un exemple illustre bien les avantages de l'Euro pour l'économie
: l'entrepreneur allemand qui achètera une machine dans l'un des
pays-membres de l'UME pourra facilement comparer les offres des
vendeurs italiens, français ou espagnols - frets et frais compris
- puisque les coûts de conversion auront disparu.
Etant donné qu'il n'y aura plus de fluctuations monétaires et que
les taux d'inflation deviendront pratiquement identiques, l'entrepreneur
pourra se laisser guider par les seules considérations de gestion,
en ce qui concerne la période d'achat. Le paiement par acomptes
devient alors possible sans renchérissement de la monnaie facturée.
De même, des offres de crédit ou de leasing couvrant plusieurs années
pourront facilement et clairement être comparées avec les conditions
locales, car l'insécurité occasionnée par des fluctuations monétaires
disparaîtra.
Par ailleurs, cela concerne également les particuliers. A partir
de 1999, celui qui souhaitera acheter ou acquérir en leasing sa
nouvelle voiture au Danemark ou en Belgique, pourra apprécier les
avantages de l'UME. Néanmoins, on sait bien que d'autres facteurs
jouent également un rôle important lors de l'achat d'une voiture
en Europe (facteurs aussi pertinents pour d'autres biens): d'abord,
les barrières douanières, voire même les réglementations protectrices
cloisonnant les marchés nationaux les uns par rapport aux autres,
sont interdites. Des normes techniques communes sont nécessaires,
afin que la voiture fabriquée en Italie puisse être aisément immatriculée
en Allemagne. Enfin, le concessionnaire étranger doit être autorisé
à vendre des voitures à des clients allemands. Le cas de Volkswagen
a montré que la Commission Européenne est décidée à rendre possible
ce type de ventes intra-communautaires. Toutes les conditions mentionnées
ci-dessus, sont les fruits du marché intérieur européen ouvert en
1992. La monnaie unique est le dernier élément nécessaire pour compléter
le projet de Marché Unique, qui fera de l'Union Européenne le marché
le plus transparent et le plus efficace en son genre dans le monde.
Néanmoins, des inconvénients ou, du moins, certains "risques et
effets indésirables" ne sont-ils pas à redouter? L'UME a certainement
quelques désavantages en matière de transparence du marché, d'accroissement
de la concurrence et de la stricte discipline financière et budgétaire
qu'elle implique. Mais, examinons ces aspects l'un après l'autre
:
Les entreprises - du moins dans certaines branches comme l'industrie
automobile - seront confrontées à une uniformisation du niveau des
prix au sein de l'UE. Le même produit ne pourra guère se vendre
beaucoup plus cher en Allemagne qu'en Belgique ou qu'au Danemark
: des différences de prix de plus de 20 ou 30 points ne seront plus
possibles, étant donné qu'ils seront affichés en Euro.
De plus, d'autres facteurs accroîtront la concurrence en Europe.
L'obligation de respecter une stabilité et une solidarité concernant
la gestion budgétaire ainsi que la suppression des ajustements des
taux de change comme instrument de la politique monétaire en constituent
certainement les plus importants. Quand l'économie d'un pays stagne,
parce que le niveau des salaires est trop élevé et la productivité
trop faible, par exemple, le gouvernement ne pourra plus -comme
c'était le cas auparavant -équilibrer ce déficit par des subventions
ou des programmes de relance par la demande. Le Traité de Maastricht
et le Pacte de stabilité rendent ces mesures pratiquement impossibles,
à cause de l'obligation de limiter l'endettement public. Selon le
Traité, l'endettement public ne peut excéder, à long terme, 3% du
PIB. En outre, la dépréciation de la monnaie nationale comme frein
de secours, telle qu'elle a encore été pratiquée en 1995 par l'Italie,
l'Espagne et la Grande-Bretagne, n'est plus possible. Le pays, qui
se projettera par lui-même en dehors du jeu de la concurrence par
des salaires trop élevés, des prestations sociales surabondantes
ou par une bureaucratie trop rigide, ne pourra plus dissimuler ses
problèmes en s'endettant ou en manipulant sa monnaie.
Ainsi, une véritable concurrence intra-communautaire s'instaurera
en Europe, qui intégrera un grand nombre de paramètres économiques
privés et publics. Cela signifie concrètement : si l'Allemagne compte
maintenir son niveau de salaires et de prestations sociales, qui
est relativement élevé par rapport aux autres pays européens, il
faut, d'une part, qu'elle ait à son actif des avantages concurrentiels
basés sur une infrastructure moderne, sur une main d'œuvre hautement
qualifiée et sur des impôts modérés. D'autre part, les pays plus
faibles, économiquement parlant, doivent avoir la possibilité d'atteindre
un avantage concurrentiel par rapport à des pays tels que l'Allemagne,
la France ou les Pays-Bas, grâce à des salaires et des prestations
publiques plus modérés. Ces derniers n'auront donc pas le droit
de se fermer aux marchandises, aux services ou à la main d'œuvre
relativement bon marché en provenance des pays-membres les moins
avancés. Si nous parvenons à respecter ces quelques règles, nous
allons faire naître, en Europe, une dynamique économique que nous
n'avons jamais connue auparavant. Le vieux continent accédera, non
seulement au niveau européen mais aussi au niveau global, à un nouveau
degré de rendement; il entamera ainsi le prochain millénaire doté
d'une grande vitalité.
En dehors de tout optimisme, certaines limites doivent néanmoins
être respectées par tous les Européens. La libre concurrence ne
doit pas conduire les Etats-membres à se battre les uns contre les
autres en abaissant constamment le niveau des salaires, des standards
sociaux ou encore la protection de l'environnement. Des normes minimales
valables pour tous les pays doivent permettre de veiller à ce que
notre identité commune en tant qu'Européens ne soit pas remplacée
par le principe du " catch as catch can ". Cependant, trop
d'harmonisation ne constitue pas non plus la bonne solution. Cela
détruirait l'élan du marché intérieur et de l'union monétaire, remettant
ainsi en cause l'efficacité d'une Europe unie en provoquant de nouveau
la hantise de la forteresse Europe.
Enfin, le danger de l'instabilité de l'Euro est considéré, du moins
en Allemagne, comme un énorme handicap. On ne peut ignorer un tel
risque. Mais une chose est sûre: quoi qu'il arrive, la stabilité
de l'Euro ne sera appréciable qu'après l'entrée en vigueur de l'union
monétaire. Même si l'on est sceptique quant à l'entrée de l'Italie
ou de la Belgique dans l'UME, le niveau d'endettement élevé de ces
derniers n'empêche en rien la stabilité de la future monnaie unique.
Celle-ci n'est d'ailleurs pas non plus automatiquement garantie
par le respect des critères de convergence par les autres Etats-participants.
Ce qui importe est de savoir si les pays partis à l'UME respecteront
à l'avenir les règles du jeu, qui ont été établies par l'ensemble
des participants. Il sera également intéressant d'observer la manière
dont les Etats s'opposeront aux contrevenants de leur propre camps,
mais également le sérieux avec lequel la Banque Centrale Européenne
exercera son mandat indépendant. Il ne faut pas sous-estimer le
défi que représente le précepte de la stabilité pour les gouvernements
nationaux. La stabilité est indivisible; c'est pourquoi une coordination
renforcée des politiques nationales au niveau européen sera inévitable.
Cela vaut essentiellement pour toutes les mesures liées aux dépenses;
ce sont justement ces mesures, qui se trouvent au centre de l'intérêt
politique.
La force perceptible qui rayonne de la monnaie unique favorisera
une intégration plus profonde et plus ample de l'Europe. Le succès
de l'union monétaire générera également plus de franchise et de
sincérité entre les européens, facilitant ainsi l'élargissement
de l'Union Européenne. On pourra espérer un tel élargissement si
l'Euro accroît véritablement la dynamique économique de l'Europe
et s'il nous conduit à meilleur compétitivité sur le marché mondial.
Il s'agit là d'une condition nécessaire, si nous, Européens, voulons
relever le défi d'un monde ouvert. L'Europe a raison de choisir
ce chemin.
Traduction Forum
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