Revue
Economie
Revue Qui est qui Synthèses Textes Institution / Elections A lire Partenaires

Sommaire
Europe
Pesc Défense
Droit
Economie
Culture
Consultez le dernier numéro...
Découvrez les livres...
Recevez un numéro...


L'Union Monétaire Européenne - un défi pour l'Europe
Le passage à la monnaie unique à partir du 1er janvier 1999 n'entraînera, dans un premier temps, pratiquement aucun changement pour les particuliers. En revanche, il n'en va pas de même pour les entreprises. Ces dernières devront se préparer très rapidement à une utilisation généralisée de l'euro dans leurs transactions courantes. Ce sont essentiellement les PME / PMI qui sont en retard par rapport à l'arrivée de la monnaie unique. Le passage à l'euro entraînera sans doute des coûts ponctuels pour les Etats et les entreprises.©1998
Lothar SPÄTH - Président du directoire de JENOPTIK AG, Jena -
Ancien Premier Ministre de Bade-Württemberg


Le Tribunal constitutionnel de la République Fédérale a rejeté, début avril, une demande contre l'Euro, qui avait été formulée par quelques professeurs; il a ainsi récusé l'ouverture d'un procès. Ce même jour, toutes les fractions du Parlement fédéral ont approuvé l'entrée de l'Allemagne dans l'Union Monétaire Européenne. En outre, un membre de la Banque Centrale britannique a déclaré qu'à son avis, il serait mieux pour l'économie de son pays de participer également à l'UME. Parallèlement, on pouvait lire dans le quotidien allemand " BILD-Zeitung " une interview du candidat SPD (le parti de gauche allemand) à la chancellerie, Gerhard Schröder, dans laquelle il déclarait se réjouir de l'UME tout en mettant en garde contre les dangers de conflits sociaux, qu'elle pourrait générer en Europe.

Il s'agit d'impressions du moment exprimées à la veille de l'union monétaire, qui entrera en vigueur dès le début de l'année prochaine. Il serait indulgent de qualifier de "confusion" ce qui se déroule actuellement en Allemagne à ce sujet. Quasiment tous les jours, des politiciens, des chefs d'entreprise, des décideurs de différentes banques centrales, des experts de toute couleur prennent la parole pour donner leur avis. Alors que d'autres pays européens réfléchissent intensément sur la monnaie unique depuis des mois, parfois même au travers de référendums, nous, Allemands, pensons qu'il convient d'entamer une discussion de principe, lorsque tout a déjà été décidé. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce qu'un nombre croissant de citoyens allemands soient troublés et qu'une sorte d'Euro-hystérie se propage.

C'est pourquoi je souhaite tout d'abord mettre une chose au point: l'arrivée de l'Euro est indiscutable; c'est aussi sûr que deux et deux font quatre. On ne peut pas imaginer les conséquences néfastes pour l'Europe entière que pourrait avoir un échec de l'Union Monétaire ou un refus allemand d'y participer. C'est pourquoi le rejet du tribunal constitutionnel de la République Fédérale doit être considéré -au-delà de toute appréciation juridique -comme l'expression de la raison et du bon sens. De toute façon, la décision en faveur de la participation à l'UME doit se justifier politiquement. Le politique est également responsable de la future stabilité de l'Euro. Ni le succès du Deutschmark, ni celui d'une monnaie unique européenne ne sont garantis par des lois naturelles ou par des normes juridiques. Pour être stable, une monnaie a plutôt besoin d'efforts permanents et d'une volonté politique.

La question de savoir si l'Euro se fera ou non peut donc être considérée comme résolue. Il est plus intéressant désormais d'examiner de près et de façon critique les conséquences de l'Union Monétaire. Que signifie l'Euro pour l'Allemagne ? Quels seront ses effets économiques et sociaux ? Et quelles seront ses conséquences pour l'individu en tant qu'employé, investisseur ou contribuable ?

L'Euro dans la pratique

En fait, personne ne ressentira véritablement les changements générés par l'introduction officielle de l'Euro le 1er janvier 1999. Le Mark allemand restera en usage dans un premier temps. Cependant, il ne sera plus considéré comme une monnaie indépendante. Il constituera plutôt une autre forme de la monnaie unique, vis-à-vis de laquelle il faudra désormais respecter un taux de change précis. Il en va de même pour le taux de change du Deutschmark vis-à-vis des autres monnaies nationales des pays participants. Néanmoins, des fluctuations du cours de change subsisteront par rapport aux monnaies qui ne font pas (ou pas encore) partie de l'UME, comme la Livre sterling, la Couronne, la Drachme ou bien évidemment le dollar ou le Yen.

Le passage à la monnaie unique à partir du 1er janvier 1999 n'entraînera donc, dans un premier temps, pratiquement aucun changement pour les particuliers. La grande majorité de leurs opérations devra encore s'effectuer en mark, notamment en raison de l'absence de billets et de pièces en Euro, dont l'émission n'est prévue qu'ultérieurement. Les opérations en monnaie scripturale pourront néanmoins être réalisés en Euro. Un employé pourra percevoir son salaire en Euro sur son compte en Deutschmark, mais il n'obtiendra toujours que des billets en Deutschmark lorsqu'il retirera de l'argent de son compte. Lors de la conversion, le particulier ne subira aucune perte, puisque la relation entre Euro et Deutschmark sera invariante.

En revanche, il n'en va pas de même pour les entreprises. Ces dernières devront se préparer très rapidement à une utilisation généralisée de l'Euro dans leurs transactions courantes. Ce sont essentiellement les PME/PMI qui sont en retard par rapport à l'arrivée de la monnaie unique; elles devront désormais s'intéresser davantage à ce sujet, surtout si elles coopèrent avec de grandes entreprises. Ces dernières convertiront en Euro toutes leurs transactions en monnaie scripturale ainsi que leur comptabilité, leurs offres, appels d'offres et financements dès le 1er janvier 1999. Seules leurs déclarations d'impôts resteront dans un premier temps en Deutschmark, puisque les autorités financières allemandes ont annoncé qu'elles ne passeront à l'Euro qu'au dernier moment, c'est-à-dire en 2002.

Le passage à l'Euro entraînera sans doute des coûts ponctuels pour l'Etat et les entreprises. En contrepartie, ils bénéficieront d'avantages de longe durée, notamment de la suppression des coûts liés au change au sein de l'Europe. Onze des quinze monnaies européennes seront remplacées par une monnaie unique. Pour l'Allemagne, qui réalise environ 60% de ses exportations à l'intérieur de l'Union Européenne, cette simplification aura des conséquences extrêmement bénéfiques. De plus, les fluctuations des taux de change ainsi que les pertes liées au change disparaîtront lors du passage à la monnaie unique.

Un exemple illustre bien les avantages de l'Euro pour l'économie : l'entrepreneur allemand qui achètera une machine dans l'un des pays-membres de l'UME pourra facilement comparer les offres des vendeurs italiens, français ou espagnols - frets et frais compris - puisque les coûts de conversion auront disparu.

Etant donné qu'il n'y aura plus de fluctuations monétaires et que les taux d'inflation deviendront pratiquement identiques, l'entrepreneur pourra se laisser guider par les seules considérations de gestion, en ce qui concerne la période d'achat. Le paiement par acomptes devient alors possible sans renchérissement de la monnaie facturée. De même, des offres de crédit ou de leasing couvrant plusieurs années pourront facilement et clairement être comparées avec les conditions locales, car l'insécurité occasionnée par des fluctuations monétaires disparaîtra.

Par ailleurs, cela concerne également les particuliers. A partir de 1999, celui qui souhaitera acheter ou acquérir en leasing sa nouvelle voiture au Danemark ou en Belgique, pourra apprécier les avantages de l'UME. Néanmoins, on sait bien que d'autres facteurs jouent également un rôle important lors de l'achat d'une voiture en Europe (facteurs aussi pertinents pour d'autres biens): d'abord, les barrières douanières, voire même les réglementations protectrices cloisonnant les marchés nationaux les uns par rapport aux autres, sont interdites. Des normes techniques communes sont nécessaires, afin que la voiture fabriquée en Italie puisse être aisément immatriculée en Allemagne. Enfin, le concessionnaire étranger doit être autorisé à vendre des voitures à des clients allemands. Le cas de Volkswagen a montré que la Commission Européenne est décidée à rendre possible ce type de ventes intra-communautaires. Toutes les conditions mentionnées ci-dessus, sont les fruits du marché intérieur européen ouvert en 1992. La monnaie unique est le dernier élément nécessaire pour compléter le projet de Marché Unique, qui fera de l'Union Européenne le marché le plus transparent et le plus efficace en son genre dans le monde.

Néanmoins, des inconvénients ou, du moins, certains "risques et effets indésirables" ne sont-ils pas à redouter? L'UME a certainement quelques désavantages en matière de transparence du marché, d'accroissement de la concurrence et de la stricte discipline financière et budgétaire qu'elle implique. Mais, examinons ces aspects l'un après l'autre :

Les entreprises - du moins dans certaines branches comme l'industrie automobile - seront confrontées à une uniformisation du niveau des prix au sein de l'UE. Le même produit ne pourra guère se vendre beaucoup plus cher en Allemagne qu'en Belgique ou qu'au Danemark : des différences de prix de plus de 20 ou 30 points ne seront plus possibles, étant donné qu'ils seront affichés en Euro.

De plus, d'autres facteurs accroîtront la concurrence en Europe. L'obligation de respecter une stabilité et une solidarité concernant la gestion budgétaire ainsi que la suppression des ajustements des taux de change comme instrument de la politique monétaire en constituent certainement les plus importants. Quand l'économie d'un pays stagne, parce que le niveau des salaires est trop élevé et la productivité trop faible, par exemple, le gouvernement ne pourra plus -comme c'était le cas auparavant -équilibrer ce déficit par des subventions ou des programmes de relance par la demande. Le Traité de Maastricht et le Pacte de stabilité rendent ces mesures pratiquement impossibles, à cause de l'obligation de limiter l'endettement public. Selon le Traité, l'endettement public ne peut excéder, à long terme, 3% du PIB. En outre, la dépréciation de la monnaie nationale comme frein de secours, telle qu'elle a encore été pratiquée en 1995 par l'Italie, l'Espagne et la Grande-Bretagne, n'est plus possible. Le pays, qui se projettera par lui-même en dehors du jeu de la concurrence par des salaires trop élevés, des prestations sociales surabondantes ou par une bureaucratie trop rigide, ne pourra plus dissimuler ses problèmes en s'endettant ou en manipulant sa monnaie.

Ainsi, une véritable concurrence intra-communautaire s'instaurera en Europe, qui intégrera un grand nombre de paramètres économiques privés et publics. Cela signifie concrètement : si l'Allemagne compte maintenir son niveau de salaires et de prestations sociales, qui est relativement élevé par rapport aux autres pays européens, il faut, d'une part, qu'elle ait à son actif des avantages concurrentiels basés sur une infrastructure moderne, sur une main d'œuvre hautement qualifiée et sur des impôts modérés. D'autre part, les pays plus faibles, économiquement parlant, doivent avoir la possibilité d'atteindre un avantage concurrentiel par rapport à des pays tels que l'Allemagne, la France ou les Pays-Bas, grâce à des salaires et des prestations publiques plus modérés. Ces derniers n'auront donc pas le droit de se fermer aux marchandises, aux services ou à la main d'œuvre relativement bon marché en provenance des pays-membres les moins avancés. Si nous parvenons à respecter ces quelques règles, nous allons faire naître, en Europe, une dynamique économique que nous n'avons jamais connue auparavant. Le vieux continent accédera, non seulement au niveau européen mais aussi au niveau global, à un nouveau degré de rendement; il entamera ainsi le prochain millénaire doté d'une grande vitalité.

En dehors de tout optimisme, certaines limites doivent néanmoins être respectées par tous les Européens. La libre concurrence ne doit pas conduire les Etats-membres à se battre les uns contre les autres en abaissant constamment le niveau des salaires, des standards sociaux ou encore la protection de l'environnement. Des normes minimales valables pour tous les pays doivent permettre de veiller à ce que notre identité commune en tant qu'Européens ne soit pas remplacée par le principe du " catch as catch can ". Cependant, trop d'harmonisation ne constitue pas non plus la bonne solution. Cela détruirait l'élan du marché intérieur et de l'union monétaire, remettant ainsi en cause l'efficacité d'une Europe unie en provoquant de nouveau la hantise de la forteresse Europe.

Enfin, le danger de l'instabilité de l'Euro est considéré, du moins en Allemagne, comme un énorme handicap. On ne peut ignorer un tel risque. Mais une chose est sûre: quoi qu'il arrive, la stabilité de l'Euro ne sera appréciable qu'après l'entrée en vigueur de l'union monétaire. Même si l'on est sceptique quant à l'entrée de l'Italie ou de la Belgique dans l'UME, le niveau d'endettement élevé de ces derniers n'empêche en rien la stabilité de la future monnaie unique. Celle-ci n'est d'ailleurs pas non plus automatiquement garantie par le respect des critères de convergence par les autres Etats-participants. Ce qui importe est de savoir si les pays partis à l'UME respecteront à l'avenir les règles du jeu, qui ont été établies par l'ensemble des participants. Il sera également intéressant d'observer la manière dont les Etats s'opposeront aux contrevenants de leur propre camps, mais également le sérieux avec lequel la Banque Centrale Européenne exercera son mandat indépendant. Il ne faut pas sous-estimer le défi que représente le précepte de la stabilité pour les gouvernements nationaux. La stabilité est indivisible; c'est pourquoi une coordination renforcée des politiques nationales au niveau européen sera inévitable. Cela vaut essentiellement pour toutes les mesures liées aux dépenses; ce sont justement ces mesures, qui se trouvent au centre de l'intérêt politique.

La force perceptible qui rayonne de la monnaie unique favorisera une intégration plus profonde et plus ample de l'Europe. Le succès de l'union monétaire générera également plus de franchise et de sincérité entre les européens, facilitant ainsi l'élargissement de l'Union Européenne. On pourra espérer un tel élargissement si l'Euro accroît véritablement la dynamique économique de l'Europe et s'il nous conduit à meilleur compétitivité sur le marché mondial. Il s'agit là d'une condition nécessaire, si nous, Européens, voulons relever le défi d'un monde ouvert. L'Europe a raison de choisir ce chemin.

Traduction Forum


© Tous droits de reproduction réservés