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Quelle politique pour la Banque centrale européenne ?
A court terme, le défi numéro un dans les pays membres de l'euro va rester le chômage plus que l'inflation. Voilà pourquoi la Banque Centrale Européenne pourra, si elle le veut vraiment, se comporter comme la Réserve fédérale américaine : se soucier avant tout du maintien de la stabilité des prix, mais à l'intérieur de ce cadre, opérer de manière pragmatique des ajustements dans les instruments pour contribuer à améliorer la situation économique générale.©1998
Christian de BOISSIEU - Professeur d'économie à l'Université de
Paris-Panthéon-Sorbonne - Directeur du Centre d'Economie
Bancaire International


Le passage à l'euro à la date prévue -janvier 1999- est désormais une certitude. Onze pays vont être qualifiés (dont l'Espagne, le Portugal et l'Italie), trois préfèrent rester pour l'instant à l'écart même s'ils respectent grosso modo les critères de convergence (Royaume-Uni, Suède, Danemark) et seule la Grèce va être vraiment "collée" à l'examen.

C'est dans ce contexte que la Banque centrale européenne (BCE) va être créée en juillet 1998, avant même le lancement officiel de la monnaie unique. Les pérégrinations malencontreuses à propos de la désignation de son président ne doivent masquer ni les progrès accomplis, ni l'ampleur des défis encore posés. L'objet de cet article est d'aborder quelques points d'ancrage mais aussi quelques thèmes en débat concernant la très prochaine politique monétaire européenne, avant de souligner la nécessité pour celle-ci d'être pragmatique.

Des points fixes

Le traité de Maastricht est clair, l'objectif principal du Système européen de banques centrales (BCE et banques centrales nationales) est "de maintenir la stabilité des prix" (article 105). Ceci dit, nous allons entrer dans l'euro sans réelle menace inflationniste à court terme en Europe continentale, ce qui pourrait permettre à la BCE de ne pas négliger les conditions économiques générales (croissance, investissement, emploi...) tout en restant, bien sûr, vigilante sur la stabilité des prix.

Pour réaliser son objectif principal de stabilité monétaire, la BCE va pouvoir compter sur le même type d'instruments que ceux aujourd'hui employés par la Banque de France, la Bundesbank, etc. Des instruments qui seront désormais appliqués à l'échelle de la zone euro, avec des marchés de capitaux totalement intégrés dans cette zone.

La BCE sera indépendante des autorités politiques communautaires et nationales, et il faudra veiller scrupuleusement au respect de cette disposition du traité. Mais une banque centrale, justement parce qu'elle est indépendante, doit pouvoir compter sur une coordination avec les politiques budgétaires nationales afin d'assurer un policy mix (combinaison entre la politique monétaire et les politiques budgétaires) cohérent et efficace. C'est aussi dans cette optique qu'il faut interpréter l'application, dès 1999, du pacte de stabilité et la concertation des politiques économiques en général, des politiques budgétaires en particulier via le Conseil de l'euro.

Des aspects en débat

J'en donne deux exemples, spécialement importants.

Le premier concerne la politique de change. L'article 111 (ex-article 109) donne compétence au Conseil, c'est-à-dire à l'autorité politique, pour modifier éventuellement le régime de change entre l'euro et les devises non communautaires (dollar, yen...). Mais la BCE est compétente pour la gestion au jour le jour de l'euro dans ses relations avec le dollar et les autres devises en dehors de l'Union européenne (UE).

Doit-il justement s'agir d'une "gestion" ? Vu l'importance des échanges intra-UE, la zone euro à 11 pays va avoir un coefficient d'ouverture proche de 12 % au démarrage, donc très inférieur à celui de chacun des pays membres et proche du coefficient américain. Dans ce contexte, la BCE pourrait ne pas trop se focaliser sur la valeur externe tant qu'elle restera à l'intérieur d'une plage assez large. Dès que cette plage sera attente, autrement dit dès qu'il faudra corriger une surévaluation ou bien une sous-évaluation de l'euro devenue excessive, la BCE devra, d'une façon ou d'une autre, intervenir.

Un deuxième point en débat se rapporte à la responsabilité ("accountability") de la BCE. Une banque centrale indépendante doit veiller à expliquer sa politique, à communiquer avec son environnement, à rendre des comptes à l'opinion publique directement ou indirectement (via le Parlement). Le traité de Maastricht a mis en place certaines procédures facilitant l'échange d'informations et de vues entre la BCE, la Conseil, le Parlement européen, etc. Il faut aller plus loin, en s'inspirant en particulier de ce qui existe aux Etats-Unis pour le système de responsabilité de la Réserve fédérale américaine. Je suis en particulier partisan d'une publication systématique -et non pas facultative comme prévu dans l'article 10.4 du protocole sur le SEBC- des délibérations du conseil des gouverneurs de la BCE, avec, comme aux Etats-Unis, quelques semaines de retard pour ne pas perturber les marchés financiers. En outre, il serait bon de mieux expliciter les procédures par lesquelles la BCE et son président seront amenés à rendre compte de leur politique devant le Parlement européen.

Pour une politique monétaire européenne pragmatique

A court terme, et sans préjuger de la situation dans trois ou cinq ans, le défi n° 1 dans les pays membres de l'euro va rester le chômage plus que l'inflation. Voilà pourquoi la BCE pourra, si elle le veut vraiment, se comporter comme la Réserve fédérale américaine : se soucier avant tout du maintien de la stabilité des prix, mais à l'intérieur de ce cadre, opérer de manière pragmatique des ajustements dans les instruments pour contribuer à améliorer la situation économique générale.

Comme le dollar américain depuis cinquante ans, l'euro sera fort (surévalué) à certains moments, faible (sous-évalué) à d'autres. Le problème n'est pas là ; il est plutôt pour la BCE de façonner un euro crédible, utilisé non seulement dans la zone de la monnaie unique mais aussi assez largement en dehors. C'est à l'aune de la crédibilité de l'euro que la politique monétaire mise en œuvre par la BCE va être jugée dans la durée.


Bibliographie

- "Les mutations de l'économie française" - sous la direction de Ch. de Boissieu - Economica, 1997.
- "Fiscal Policy, Taxation and Financial System in an increasingly integrated Europe" - ouvrage co-édité avec D. Fair - Kluwers Publication, 1992.
- "Prospective financière : Banques, Assurances, marchés", Rapport du groupe Prospective Financière et Bancaire, Commissariat Général du Plan, ouvrage réalisé sous la direction de Ch. de Boissieu, éditions La Documentation Française, septembre 1992.
- "Monnaie unique européenne, système monétaire international : vers quelles ambitions ?" - ouvrage co-édité avec D. Lebègue -, Presses Universitaires de France, 1990.
- "Banking in France" - édité par Ch. de Boissieu -, Routledge, Londres, 1990.
- "Financial Institutions in Euroe under New Cometitive Conditions" - ouvrage co-édité avec D. Fair - Kluwers Publication, 1990.


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