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Europe : Plaidoyer pour un ordre libéral
La monnaie unique comporte de véritables risques en raison du niveau actuel du chômage, du manque de flexibilité des marchés du travail et de l'absence d'harmonisation fiscale à l'échelle européenne. L'Union Européenne n'est pas une union, et elle n'est pas en train de le devenir non plus. En revanche, elle constitue (et malgré ses défauts) un modèle nouveau et précieux dans la perspective de l'instauration d'un ordre inter-étatique libéral à l'échelle européenne.©1998
Timothy GARTON ASH - Membre du St Antony's College d'Oxford


Dans les dernières semaines, l'Europe a donné le signal du départ des deux courses du siècle. Premièrement, la Commission Européenne a formellement entériné le début de l'union monétaire au 1er janvier 1999, avec 11 états participants. Deuxièmement, des négociations d'adhésion ont été engagées avec cinq pays ayant abandonné le communisme en 1989 auxquels il faut ajouter Chypre divisée.

En dépit de mon scepticisme, j'espère, que les deux entreprises réussiront. Néanmoins, je crois que l'union monétaire est prématurée, mal conçue et risquée, alors que l'élargissement, qui est d'une importance primordiale, a pris un retard considérable et progresse trop lentement. Le premier projet nous renvoie au but inaccessible et problématique "de l'unité" dans une partie de l'Europe; le second nous renvoie au but accessible et souhaitable d'un ordre libéral pour l'Europe entière.

Bien sûr, il existe des arguments économiques en faveur de la monnaie unique : baisse des coûts de transactions, plus grande transparence des prix, formation d'un marché véritablement unique. Mais ce projet comporte de véritables risques en raison du niveau actuel du chômage, du manque de flexibilité des marchés du travail et de l'absence d'harmonisation fiscale à l'échelle européenne. Le récent rapport de la Bundesbank donne des indications précises sur le manque d'une véritable convergence entre les 11 pays participants et sur ce qu'elle appelle la "culture de stabilité" durable.

Puisque les économies se développeront de manière hétérogène après l'entrée en vigueur de la monnaie unique, des réactions politiques verront le jour dans les pays dont l'économie sera affectée. Dans le meilleur des cas, cela jouera un rôle de catalyseur en faveur de la libéralisation économique. Dans la perspective inverse, l'UEM se désintégrera sous la pression des reproches mutuels que s'adresseront les Etats "poids lourds" de l'Europe. Le résultat le plus probable risque fort de se situer entre les deux, une sorte "d'Euro-bagarre" prolongée.

Cela n'est pas seulement néfaste en soi-même, mais retardera davantage encore le projet vital d'élargissement. La France, l'Allemagne, l'Espagne et d'autres Etats bénéficiaires de la Politique Agricole Commune reculent déjà devant les futures reformes nécessaires pour permettre à un pays agricole comme la Pologne de rejoindre à l'UE. Le Traité d'Amsterdam, actuellement en cours de ratification dans 15 pays ne prévoit pas les changements institutionnels nécessaires pour permettre à une communauté de 20 de continuer à fonctionner. Toutes ces reformes préparatoires essentielles, qui auraient dû être engagées dès 1989, progressent à une allure d'escargot.

En vérité, nos dirigeants ont établi de fausses priorités à Maastricht. Pendant 40 ans nous avons vécu dans une maison divisée. Dans la partie occidentale, nous avons rénové, embelli, tiré de nouvelles lignes, alors que la partie orientale était en train de s'écrouler. Puis le mur tomba. Que firent alors nos dirigeants immédiatement? Ils décidèrent qu'un tout nouveau système de climatisation automatique constituait l'équipement indispensable dont il fallait doter en priorité l'aile occidentale de la maison. Lors de son installation, les pauvres locataires de l'aile orientale ont dû se débrouiller au mieux. Certains d'entre eux, comme les Polonais, les Hongrois ou les Tchèques ont réussi à rénover leurs appartements avec une formidable ingéniosité. Mais d'autres ont commencé par brûler les meubles et ont adopté une attitude belliqueuse. Nous avons pris tout notre temps pour délibérer à Maastricht pendant que Sarajévo était mis à feu et à sang.

Nos dirigeants n'ont pas donné la priorité au lancement d'une monnaie unique pour 1999 pour des raisons économiques. En effet, le marché européen pourrait presque s'en passer. Les raisons étaient politiques : le souhait de la France de regagner le contrôle de leur destin monétaire et ancrer davantage l'Allemagne dans l'Europe; ensuite, la remarquable volonté du chancelier Kohl qui désirait ainsi maintenir l'Allemagne au sein de l'Europe; et enfin, une déclaration générale en faveur d'une union de plus en plus étroite.

Or, 'l'unité' semble avoir constitué un choix stratégique erroné pour l'Europe au terme de la division Est-Ouest. Si l'unité n'était pas d'actualité dans la situation paradoxalement favorable de la guerre froide, même pour un petit nombre d'Etats au niveau de développement comparable, comment pouvons nous croire qu'elle sera possible dans une Europe plus large et plus diverse?

L'Union Européenne n'est pas une union, et elle n'est pas en train de le devenir non plus. En revanche, elle constitue (et malgré ses défauts) un modèle nouveau et précieux dans la perspective de l'instauration d'un ordre inter-étatique libéral à l'échelle européenne.

Cet ordre libéral se distingue des ordres qui ont pu s'instaurer en Europe dans le passé car il ne se fonde pas sur un quelconque pouvoir hégémonique : ni l'Allemagne, ni la France, ni la Grande-Bretagne ne peuvent le dominer. Il se définit par un système prévoyant un règlement institutionnalisé et permanent des différends et renforcé par un Droit commun et un marché commun. Ce système garantit que les conflits d'intérêt existants entre les Etats-membres -conflits qui continueront d'ailleurs- seront réglés au terme d'accrochages verbaux plutôt que par des guerres. Qu'y aurait-il de plus important que d'étendre cet ordre libéral à d'autres parties de l'Europe où la guerre menace encore?

L'ordre actuel de l'UE est moins libéral qu'il ne devrait l'être dans deux autres domaines : en premier lieu dans le domaine politique, par les garanties qu'il prévoit vis à vis des libertés individuelles et des droits de l'Homme, des droits civiques et des minorités, et en deuxième lieu dans le domaine économique. Néanmoins, nous devrions nous concentrer sur cette tâche qui reste à accomplir. Politiquement, le Conseil de l'Europe et la Cour Européenne des Droits de l'Homme abordent plus explicitement et plus concrètement la question des libertés et des droits que l'UE elle-même. C'est là, le sens que le 'New Labour' confère à 'l'Europe du Peuple'. En ce qui concerne l'économie, on nous apprend que l'union monétaire permettra une libéralisation plus importante et plus soutenue. Ils nous ressembleront comme on dit en Grande-Bretagne. Nous verrons bien. De toute façon, il faut également se fixer pour objectif la troisième dimension de l'ordre libéral.

Par rapport à la situation actuelle de l'UE, je me positionne comme l'Irlandais du proverbe qui, se trouve à la croisée des chemins et dit: "Je ne commencerai pas par ici". Car nous avons fait fausse route après la fin de la guerre froide. Or, nous ne pouvons plus faire marche arrière, et il faudra donc tout essayer pour que ce projet monétaire précipité fonctionne. Néanmoins, il serait plus utile de cesser de concevoir une identité européenne qui ne serait qu'une sorte de bric-à-brac comme but ultime et de nous concentrer sur quelque chose qui existe déjà et qui est toujours susceptible d'être approfondi : l'ordre libéral.

Traduction Forum


Bibliographie

- "The File : A personal History" - 1998.
- "In Europe's Name : Germany and the Divided Continent" - 1993.
- "We the People : The Revolution of '89 witnessed in Warsaw, Budapest, Berlin and Prague" - 1990, (US Edition : " The Magic Lantern ").
- "The Uses of Adversity : Essays on the Fate of Central Europe" - 1989 (Prix européen de l'Essai).
- "The Polish Revolution : Solidarity" - 1983 (Somerset Maugham Avward).
- "Und willst Du nicht mein Bruder sein…" - Die DDR heute 1981.


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