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• Goethe, européen et cosmopolite
"Goethe se considère comme un européen, comme un citoyen de l'Europe ou, comme on disait à l'époque, comme un "cosmopolite" ; c'est cela le véritable sens que l'on donnait à ce mot. Le cosmopolite c'est celui qui pratique les langues, qui aime tous les pays, qui considère par exemple que la meilleure architecture est italienne, que le meilleur théâtre est français, que la meilleure poésie est peut-être allemande, que la meilleure musique est certainement allemande… Le cosmopolitisme c'est l'ouverture intellectuelle avec le refus de considérer qu'une civilisation est supérieure à une autre ; néanmoins, il y a, in petto, un correctif, en tous cas à l'époque : la meilleure des civilisations est quant même l'européenne et je ne suis pas personnellement persuadé que cela ait beaucoup changé. Mais pour Goethe, […] l'Europe moderne est la descendante, la fille en droite ligne de l'Antiquité des Grecs, avec le message d'humanisme qu'il véhicule, de beauté, de tolérance…" Le Professeur Francis Claudon, grand spécialiste de la littérature et de la culture germanique, retrace pour nous à travers cet entretien le parcours de Goethe, les influences qu'il a subit, sa réception en France, l'influence qu'il a lui-même exercé sur ses contemporains et sur les écrivains et intellectuels qui lui sont postérieurs.... ©2000
Prof. Francis CLAUDON - Professeur de littérature comparée
à l'Université de Paris XII

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Forum Franco-Allemand : Goethe a, d'une certaine manière, tenu une place centrale dans la vie intellectuelle de son époque; quels ont été les courants de pensée, les auteurs, les intellectuels, les musiciens, les personnages politiques…qui ont eu avoir une influence sur lui?

Francis Claudon : Nous nous retrouvons pour évoquer le 250e anniversaire de Goethe né en 1749 à Francfort. Peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que l'Allemagne de cette époque est une Allemagne profondément différente non seulement de celle d'aujourd'hui, mais également de celle du 19e siècle; c'est une Allemagne morcelée, une mosaïque de petits états dans lesquels il n'y a pas de grande puissance ou, plus exactement, le Saint Empire romain germanique est dirigé - mais dirigé théoriquement - par la maison de Habsbourg d'où provient depuis des siècles le souverain du Saint Empire; et face à celle-ci, il y a dans le nord, je devrais dire vers le nord-est, la maison de Brandebourg, c'est-à-dire la Prusse.

Depuis la guerre de Trente ans, c'est-à-dire depuis mai 1618, et pour longtemps encore, pratiquement jusqu'à la chute de Napoléon, l'Allemagne est un terrain où les puissances européennes s'affrontent; cette situation était particulièrement perceptible dans la ville de Francfort, qui était une ville impériale libre, avec une bourgeoisie importante, une banque juive puissante, etc.… Elle a été occupée par les troupes françaises. Cette atmosphère de la ville natale de Goethe, où il passa sa jeunesse, nous la connaissons bien par les propres aveux de Goethe dans ses mémoires Poésie et vérité, (Dichtung und Wahrheit). Il y a deux souvenirs qui comptent dans cette enfance de Goethe : le premier, c'est lorsque ses parents logent en 1764 - son père était un jurisconsulte, admirateur de la Prusse - dans leur belle maison qui a été reconstituée au Fossé des Cerfs, un officier français qui a toutes les qualités et tous les défauts de l'homme de cour, du parisien, de l'homme de la bonne société française : frivole, coquet, poli, cultivé et adorant le théâtre. On peut imaginer que cet officier a répandu un parfum parisien, la mode, le succès des encyclopédistes qui bat son plein à la même époque.

Forum : Vous évoquez le comte de Thoranc…

F. Claudon : Exactement. La seconde influence intellectuelle notable, qui découle d'ailleurs de la première, c'est la découverte très tôt par Goethe du plaisir du théâtre. Il le découvre par ce petit théâtre de marionnettes qu'il possédait et avec lequel il jouait avec sa sœur pour la plus grande satisfaction de ses parents. Le théâtre va être une référence constante et capitale dans l'œuvre de Goethe, non seulement parce qu'il a lui-même écrit beaucoup de pièces, mais parce qu'un de ses plus beaux romans, le "Wilhelm Meister", est centré autour de la vocation théâtrale et de la profession d'acteur…Pour en revenir à l'enfance, ces marionnettes pouvaient certes jouer des légendes, comme la légende du Dr Faust très répandue en Europe centrale à cette époque là, mais aussi les pièces à la mode que l'on parodiait et que l'on donnait - exactement comme maintenant la télévision adapte les grands succès de la littérature.… Les succès du théâtre à cette époque, on ne le dira jamais assez, ce sont les succès parisiens : les comédies et surtout les tragédies néo-raciniennes, de Crébillon, de Voltaire par exemple. On ne dira jamais assez non plus à quel point l'Europe du 18e siècle, pour reprendre une formule célèbre qui est de Louis Réaux, "C'est l'Europe française au siècle des Lumières, du siècle des Lumières"; pour tous les esprits, la pierre de touche de leurs goûts, de leur culture, de leur agilité, c'est la connaissance du français, des usages français, de la culture française, quitte pour eux ensuite à s'y opposer : c'est le cas, partiellement, de Goethe.

Evoquons à présent une deuxième série d'influences, un peu plus tardive : ce sont ses lectures car le jeune homme est intelligent, cultivé; son père le destine, comme lui-même, à une carrière de jurisconsulte. On sait ce qu'il en adviendra! Néanmoins, Goethe a fait des études de droit tout à fait sérieuses. En même temps il lit les auteurs allemands de son temps. Il y en a un qu'il a particulièrement apprécié et que toute la critique goethéenne a également salué, c'est le poète Klopstock, l'auteur de la "Messiade", c'est-à-dire d'une épopée chrétienne très sentimentale comme il en existe d'autres à l'époque; cette œuvre de Klopstock est à rapprocher du "Lost Paradise" de Milton par exemple, c'est-à-dire des œuvres inspirées par la religion certes mais dans lesquelles la religion est surtout une occasion d'épanchement de l'âme et de peintures sentimentales. Ce que je souhaite souligner ici, c'est que très spontanément, de par l'effet de l'époque, de par son goût personnel, de par ses lectures, Goethe se trouve d'emblée dans une situation de carrefour; il hérite de ce qui lui est légèrement antérieur et imprime sa marque à ce qui va lui être légèrement postérieur. Je crois que cette fonction de carrefour constitue la caractéristique essentielle de Goethe.

Une troisième influence qui s'exerce sur Goethe à peu près à la même époque, est lorsqu'il se rend à Leipzig pour continuer ses études de droit. Leipzig est une vieille ville bourgeoise; ce n'est pas une cour. Elle a une tradition de marchands, ce qui lui confère un caractère très cosmopolite; on la surnomme "le petit Paris" parce qu'on y trouve un cercle de poètes comme Hagedorn, Gellert, Gottsched etc., qui sont de grands admirateurs des frivolités françaises; j'emploie ce terme à dessein pour désigner ces petits vers, ces petits genres composés le plus souvent par des poètes de cour. Goethe prend contact avec cette mode mais il comprend très vite, même s'il compose quelques poèmes dans ce goût, qu'il ne s'agit pas de son aspiration personnelle. C'est à ce moment que son père le rappelle à Francfort et vite ; il l'envoie à l'université de Strasbourg. Cette période de sa vie sera capitale pour lui. Comme on le sait, Strasbourg est une ville française…; je commets sciemment cette erreur puisque Strasbourg est une ville germanique - je ne dis pas allemande- qui dépend de la suzeraineté politique, militaire… du royaume de France justement depuis la guerre de Trente ans, depuis les traités de Westphalie de 1648. C'est Louis XIV qui a réussi à faire tomber Strasbourg et l'Alsace dans l'escarcelle des rois de France. Il y a donc bien sûr un gouverneur français, des officiers français, un théâtre français… mais c'est plutôt une ville bi-culturelle dans laquelle la majorité des citoyens, la part la plus importante de la vie intellectuelle, culturelle, sociale… relèvent de la culture allemande.

Dans cette université de Strasbourg, Goethe fait bien évidemment son droit mais il y rencontre aussi deux influences : tout d'abord, celle d'Herder qui est un professeur, un intellectuel qui a une carrière extrêmement variée, vagabonde; on peut mentionner à titre d'exemple, qu'il a résidé à Riga tout au nord-est de l'Europe, qu'il passe ensuite par Strasbourg et finit d'ailleurs ses jours à Weimar en même temps que Goethe. Herder, qui était un philologue, un anthropoloque, un ethnologue se préoccupait de la culture populaire. Il recueille, comme vont le faire les frères Grimm, toutes les traces de cette vieille Allemagne, de cette civilisation germanique qui n'avait pas atteint, du moins par rapport aux standards du temps, le degré d'élégance, de sophistication, d'attraction, d'universalité de la culture française. C'est Herder qui révèle au jeune Goethe la richesse du patrimoine allemand. L'autre influence, même si elle n'est pas incarnée par un homme, est néanmoins lié à Herder et à ce patrimoine allemand, c'est la cathédrale de Strasbourg; cette splendide cathédrale gothique qui se dresse au milieu d'édifices du plus pur style 18e, comme le palais des Rohan, l'hôtel du gouverneur, la préfecture, le théâtre etc. marque profondément Goethe. Il a donc un véritable choc devant cette belle cathédrale en grès rose; cette émotion renforce les propos de Herder sur la dignité de la culture de la vieille Allemagne. Je crois qu'à ce moment précis Goethe comprend que s'il a quelque chose à dire, c'est dans cette veine qu'il devra exercer son talent. Cette veine est bien représentée par les poèmes d'amours qu'il écrit pour une petite alsacienne qui est la fille d'un pasteur du village de Sesenheim à quelques 60 kilomètres au nord de Strasbourg, Frédérique Brion. L'un des plus célèbre poèmes inspiré par cette époque, par cet amour, par cette redécouverte du folklore, est celui de "La rose des bruyères" (das Heidenröslein). Ce poème est tellement parfait qu'on croit en général qu'il s'agit d'un chant populaire anonyme; or, c'est un faux populaire inventé par Goethe, à peu près de la même manière qu'un certain instituteur écossais qui s'appelait Macpherson réinvente et réécrit les poèmes d'Ossian.

Il faut maintenant évoquer une influence, celle de la littérature anglaise. Lorsque Goethe vit cette idylle avec la fille du pasteur Brion de Sesenheim, il croit réincarner une histoire qu'il a déjà lue, celle du "Pasteur de Wakefield" de Goldsmith. Il faut savoir qu'à cette époque, le pays du roman c'est l'Angleterre avec, entre autres, le roman sentimental de Richardson et de Goldsmith dont "le pasteur de Wakefield" plaît tant à Goethe.

Son séjour à Strasbourg, sa découverte de la vieille Allemagne et de la vieille culture allemande ont donc renforcé sa détermination de devenir un écrivain s'inscrivant dans la voie de Herder. Goethe produit alors une première série de grandes œuvres qui sont d'emblée des chefs d'œuvres : Werther, Prométhée, Goetz von Berlichingen; elles vont lui valoir la fameuse invitation du duc de Weimar qui l'entraîne à sa suite à Weimar dans les années 1775.

L'installation de Goethe dans la ville de Weimar correspond à une autre période de sa vie intellectuelle. Il s'agit d'une période tout à fait différente car il va subir une sorte d'élévation de l'esprit; de par ses lectures il va d'abord subir une profonde influence des classiques au sens le plus traditionnel du terme c'est -à-dire la littérature latine et grecque. Ensuite, Schiller qui vient s'établir à Weimar et qui deviendra son ami, favorise le penchant vers la philosophie qui existait déjà chez lui; il lui fait connaître par exemple les théories du sublime qui procèdent de la philosophie kantienne. C'est une influence extrêmement importante.

Dans cette période weimarienne qui dure à peu près jusqu'en 1805-1806, les événements se déroulant en France exercent également une influence très importante sur Goethe: la révolution française et les théories révolutionnaires; Goethe a participé à la bataille de Valmy, ce qui l'a d'ailleurs conduit à intituler l'un de ses ouvrages "Campagne en France". Il écrit à cette occasion une phrase que l'on répète toujours: "…j'y étais et à ce moment là j'ai compris que commençait un nouveau monde". Ce nouveau monde c'est celui de l'idéologie, c'est celui des écrivains comme Chateaubriand, c'est aussi le monde des premiers théoriciens du romantisme avec, par exemple, les frères Schlegel; ces derniers avaient d'ailleurs demandé à Goethe - et c'est extrêmement important- son soutien car il était le personnage le plus célèbre d'Allemagne du moins dans le domaine littéraire; il est intéressant de remarquer qu'il n'accordera pas ce patronage que lui réclame la jeune génération. L'explication de ce refus nous conduit à revenir à 1806; à partir de cette période, il est saisi d'admiration pour Napoléon. Ce dernier bat la Prusse à la fameuse bataille de Iéna en 1806 et Goethe reçoit à cette occasion - on ne le sait pas assez - la visite de quelques français dont Vivant Denon qui est chargé d'effectuer des réquisitions; l'exposition du Louvre en 1999 a d'ailleurs été l'occasion de le célébrer. Il s'adresse à Goethe et lui demande d'avoir la main légère en ce qui concerne les collections du duc de Weimar, ce qui se produit. Dans le sillage de Denon il y a aussi un certain Henri Beyle qui n'est pas encore écrivain. Ainsi, à la suite de cette disparition absolument renversante du royaume de Prusse, l'Allemagne est une fois de plus soumise à l'heure française, à l'influence française et à l'esprit napoléonien. On sait que Napoléon décore Goethe de l'ordre de la légion d'honneur quelques années plus tard. Goethe sera toujours très fier de cette distinction; même lorsque Napoléon tombera, il gardera cette décoration.

Cette influence, que l'on pourrait appeler "l'idéologie", explique cette espèce de malentendu qui va durer et qui va donner cette fameuse formule qu'on lui reprochera tant, il me semble que c'est dans une conversation avec Eckermann : "J'appelle classique ce qui est sain et romantique ce qui est malade"; c'est tout dire, Goethe est l'intellectuel, l'écrivain le plus célèbre d'Allemagne mais il manifeste un refus vis-à-vis du romantisme, il refuse l'influence du romantisme. Je crois que c'est ici que s'arrête la liste des influences intellectuelles qui s'exercent sur Goethe parce que du fait de sa position exceptionnelle et exemplaire c'est plutôt l'autre pan de l'histoire qui va nous intéresser maintenant c'est-à-dire l'influence que Goethe exerce sur l'Europe intellectuelle et sur les Français aussi.

Forum : Par l'ampleur et l'universalisme de son œuvre, Goethe est également devenu une figure culturelle intemporelle; quels sont les auteurs, les artistes allemands et européens qu'il a influencés? Pourriez-vous insister plus particulièrement sur la réception de son œuvre chez les écrivains et les intellectuels français ?

F. Claudon : De même que Goethe a été influencé dans certains domaine, dans la formation de ses idées et dans la délimitation de son génie littéraire, à l'inverse il a exercé une influence très sûre que l'on peut mesurer de deux manières. Je dirais qu'il a influencé certaines personnes, soit par l'intermédiaire de ses œuvres, soit par ses rencontres personnelles.

En ce qui concerne la France, il y a deux cas très célèbres. Le plus célèbre est certainement la visite de Mme de Staël en Allemagne; elle s'y rend en 1807 parce qu'elle est obligée de fuir les rappels à l'ordre de Napoléon. Il y a à ce sujet une petite anecdote que j'aime toujours citer et qui se rapporte à l'avant-propos de ce livre capital pour l'histoire des rapports franco-allemands, capital pour l'histoire du romantisme et de l'Europe aussi :"De l'Allemagne". Lorsqu'elle veut faire paraître ce livre en 1810, la censure représentée par Savary, duc de Rovico, ministre de la police, intervient; il lui écrit à peu près ces quelques mots qui sont reproduits dans la préface de cet ouvrage : "Madame c'est moi qui ai interdit la publication de votre ouvrage. Ce livre n'est point français; nous n'en sommes pas encore à rechercher des modèles parmi les peuples que nous asservissons".

Or qu'y a-t-il dans "De l'Allemagne"? Il y a par exemple le long récit, détaillé et éloquent des conversations que Mme de Staël a pu avoir avec Goethe à qui elle a rendu visite à Weimar. Elle analyse très bien les points forts du génie de Goethe qui du même coup deviennent les directions, les sillons dans lesquels Goethe imprime sa marque : c'est le roman avec Werther, Les affinités électives et le Wilhelm Meister, c'est le théâtre avec Faust ou Goetz von Berlichingen par exemple, et c'est enfin la poésie essentiellement antérieure à 1810.

Il y a un autre français que je souhaite évoquer car il s'est en quelque sorte confronté à distance avec Goethe, c'est Chateaubriand. Effectuons à ce propos un bref rappel d'histoire littéraire. En 1761, Jean-Jacques Rousseau publie "La nouvelle Héloïse", qui est un grand succès; le livre est imité par tout le monde : par des Anglais mais aussi par Goethe dans l'histoire de Werther. Goethe a explicitement présenté Werther à la fois comme une réponse à La nouvelle Héloïse et au Pasteur de Wakefield que nous évoquions précédemment. Le Werther de Goethe est un énorme succès. Après sa traduction en français, un jeune homme du nom de François-René de Chateaubriand répond par l'intermédiaire d'un livre qui s'intitule René. Il y a une rivalité entre Goethe et Chateaubriand, comme il en existe aussi une entre Chateaubriand et Byron, l'auteur de Childe Harold. On devine bien le point commun de toutes ces œuvres, entre le Werther de Goethe, le René de Chateaubriand, le chevalier Harold de Byron : ce sont différentes expressions du mal du siècle.

Je souhaiterais citer quelques phrases de Chateaubriand : "La moralité tout à fait neuve et malheureusement d'une application très étendue est le sujet de ce livre. Il s'adresse à ces nombreuses victimes de l'exemple du jeune Werther, de Rousseau qui ont cherché le bonheur loin des affections naturelles du cœur et loin des voies communes de la société". C'est ce qui est écrit en 1802 à propos de René qui est donc explicitement présenté comme une réponse française et chrétienne au Werther allemand suicidaire de Goethe. Lorsqu'il rédige ses Mémoires d'outre-tombe bien des années plus tard, rappelons ce que Chateaubriand écrit à propos de Goethe; d'abord il le surnomme le poète de la matière par opposition à l'esprit, le poète panthéiste par opposition au génie chrétien etc.… Voulant situer cette trilogie Goethe-Chateaubriand-Byron, Werther-René-Childe Harold, il écrit donc : "Lord Byron vivra soit qu'enfant de son siècle il en ait exprimé comme moi et comme Goethe avant nous, la passion et le malheur" et il ajoute "[…] je reconnais tout d'abord que dans ma première jeunesse, Ossian, Werther, Les rêveries du promeneur solitaire, Les études de la nature de Bernardin de Saint Pierre ont pu s'apparenter à mes idées ".

La deuxième influence que l'on peut évoquer dans un tout autre domaine, c'est l'histoire des relations de Goethe avec Beethoven. Ce très célèbre compositeur nourrissait une grande admiration pour Goethe. L'analyse de leurs rapports a été faite par Romain Rolland. Dans Goethe et Beethoven - l'un des volumes d'une longue série - il rappelle que Beethoven qui était enthousiasmé par les poèmes de Goethe dans les années 1814-1820, aurait souhaité collaborer avec lui et mettre en musique certains de ses textes ou rédiger un opéra avec lui. Ainsi, il est allé à sa rencontre à Teplice en Bohème. Goethe était très choqué par cette homme très différent de lui et qui l'entraînait dans de longues promenades; alors que Goethe était un homme de cour, un homme bien élevé, fréquentant des altesses, et se répandant en saluts dans la rue lorsqu'il apercevait un grand duc ou l'empereur d'Autriche, Beethoven au contraire était le chapeau sur la tête, ne se découvrant pas pour saluer les altesses et voulant absolument monopoliser la conversation de Goethe en l'interrogeant sur ce que penserait le monde s'ils se mettaient à travailler ensemble. Il y a une influence négative ou plus exactement une déception de Beethoven vis-à-vis de Goethe. On peut comparer cette déception à celle que les romantiques ont éprouvée vis-à-vis de Goethe qui les tenait à distance.

N'oublions pas non plus de mentionner l'influence de Goethe sur Schubert qui a d'ailleurs mis un très grand nombre de ses textes en musique. Il n'a jamais rencontré Goethe mais il lui a envoyé certains de ses ouvrages et Goethe ne lui a pas répondu. Ce côté olympien de Goethe - l'olympisme de Goethe après 1810 - est l'une de ses caractéristiques jusqu'à la fin de sa vie. Il s'est enfermé dans une sorte de tour d'ivoire. Il adopte d'ailleurs le même comportement à l'égard du poète Heinrich Heine qui aura des sentiments extrêmement mitigés vis-à-vis de Goethe. Il y a donc un contact qui ne s'est pas établi, une relation manquée entre Goethe et les intellectuels allemands, de quelque art qu'ils soient, contemporains ou postérieurs à lui.

Finalement, si on me demande quels sont les intellectuels avec lesquels Goethe a nourri le plus de contacts volens nolens, je pense que c'est quand même avec les français. En effet, tout au long du 19e siècle et du au 20e, à peu près jusqu'à la guerre, on connaît très bien cet auteur et son œuvre; par exemple, l'un des fondateurs de la discipline de la littérature comparée à laquelle j'appartiens, Fernand Baldensberger, a écrit un Goethe en France qui relate l'histoire de tous ceux qui se sont réclamés de Goethe. Ainsi, on peut constater que malgré les guerres, malgré les différents contentieux franco-allemands, Goethe a toujours exercé une grande fascination sur les artistes et les intellectuels français; sur Gérard de Nerval par exemple, qui en 1840 traduit d'abord le Faust - il n'est pas le seul bien sûr - beaucoup de poèmes ainsi que d'autres poètes comme Uhland, comme Bürger, comme Schiller…. Dans la préface, il refait, après Madame de Staël, l'éloge de Goethe et insiste sur certains aspects de sa poésie : par exemple sur son côté populaire, sur son côté panthéiste, choses que Madame de Staël n'avait peut-être pas soulignées assez clairement. Je précise qu'en 1840, les rapports franco-allemands ne sont pas bons; c'est l'époque de la guerre du Rhin pendant laquelle un poète qui s'appelait Becker écrit un Poème sur le Rhin allemand (Rheinlied) à quoi répond Musset: "il a tenu dans notre verre, nous l'avons eu votre Rhin allemand". Il est assez remarquable de relever qu'à cette même période Gérard de Nerval se répand en admiration pour l'Allemagne et pour Goethe dans lequel il veux voir un lien nécessaire et indispensable dans le commerce que doivent entretenir les deux nations.

Il y a d'autres exemples; après 1870, on considérait qu'une des causes de la défaite française devant la Prusse (Sedan…) était l' insuffisance du système universitaire français. On a alors voulu bâtir une université française "à l'allemande"; c'est de cette époque que date la fondation de quelques grandes chaires de littérature et de langue allemande qui ont été tenues par Lichtan Berger, Andler…. Ces dignes germanistes ont toujours été de grands admirateurs de Goethe. Pour ces intellectuels, Goethe a continué de représenter la nécessité du maintien du lien fran- co-allemand; ils pensaient donc que cet auteur allemand avait quelque chose à apporter et à dire à la France et aux Français.

Plus tard, au 20e siècle, Proust parle de Goethe dans La fugitive d'une façon qui est très jolie; au moment où Albertine a échappé à l'amour du jeune Marcel, ce dernier lit Les affinités électives pour se consoler. Cette histoire qui décrit des tempéraments qui se retrouvent et se détruisent aussi, un peu à la manière des substances chimiques qui produisent des mélanges détonants, est très belle.

Gide a également été un très grand amateur de Goethe. Lorsqu'il rédige son journal en juin 1940 - période dramatique de l'histoire - il relit parallèlement le deuxième Faust et écrit ceci : "Que de beauté s'y découvre encore et toujours. Quel foisonnement. Tout y est saturé de vie. Goethe aborde aux régions sublimes avec tant de naturel que l'on s'y sent avec lui toujours de plein pied". C'est assez renversant, au moment où des hordes nazies et la Wehrmacht déferlent sur la France, certains Français, si typiquement français comme André Gide, lisent Goethe. Par ailleurs, lorsqu'il se rend en voyage au Congo en 1930 où il va dénoncer le colonialisme… ses livres de chevet sont: Les affinités électives, Les conversations avec Eckermann, Faust, les Mémoires et puis quantité de poèmes, de recueils tels que Le divan occidental-oriental, Les élégies romaines, Hermann et Dorothée…. Goethe a été l'une des lectures constantes et favorites de Gide, même si l'on peut considérer que cet auteur français a stylistiquement, esthétiquement - je pense par exemple aux faux monnayeurs - essayé de faire de l'anti-Goethe, de réécrire à sa manière les Affinités électives.

Enfin, il ne faut pas oublier Charles Dubos, critique littéraire un peu oublié aujourd'hui, ami de Gide, de Claudel… qui a consacré plusieurs textes à Goethe, célébrant sa grandeur, son côté olympien, le classicisme de son art; ce sont les maîtres mots qui reviennent constamment dans ses écrits. Ce n'est pas le Goethe de la jeunesse qui l'intéresse, c'est celui de la maturité et de la fin. Gide et Charles Dubos se sont d'ailleurs associés en 1932, anniversaire du centenaire de la mort de Goethe, pour préparer un hommage à Goethe dans la NRF qui s'intitule Goethe et la France.

Forum : Revenons à l'actualité! Goethe est souvent comparé à un "monument", à un "massif"… N'est-il pas devenu une sorte de mythe à travers l'histoire allemande? Dans cette perspective, l'importance des manifestations culturelles qui ont été organisées dans la ville de Weimar sur le territoire de l'ex-RDA pour le 250ème anniversaire de sa naissance n'ont-elles pas eu pour fonction de promouvoir l'image d'une nation allemande unie autour d'une figure culturelle unissante ?

F .Claudon : En ce qui concerne les célébrations goethéennes à Weimar, je voudrais tout d'abord signaler que ce ne sont pas les premières. Il faut se rappeler une certaine visite de Thomas Mann à Weimar du temps de la RDA. C'est un chapitre un peu douloureux dont les français ne sont peut-être pas tout à fait conscients s'ils ne sont pas germanistes professionnels. Il y avait une concurrence du temps des deux Etats allemands pour s'approprier les grands ancêtres et les grandes valeurs culturelles. Qu'il s'agisse de Wagner, de Goethe, de la peinture romantique de Friedrich…, on les célébrait dans les deux Allemagnes. Jusqu'en 1989, Weimar était dans l'escarcelle de la République Démocratique Allemande; cette dernière ne s'est donc pas privée d'en profiter. Néanmoins, je dois dire que la Fondation Weimarer Klassik qui existait à cette époque était un organisme intéressant qui menait une réelle politique d'expositions, de constitution de collections, de colloques et de publications; on ne peut écarter ce fait d'un revers de main. Ce qui a été fait en faveur de Goethe depuis la visite de Thomas Mann au début de la fondation de la RDA jusqu'à la chute du mur, il ne faut pas le considérer comme quantité négligeable.

Or, maintenant que la République Fédérale a récupéré ce qu'elle a toujours considéré comme son héritage naturel, comme son prolongement naturel, je trouve que les célébrations weimariennes en l'honneur de l'anniversaire de Goethe ont été un peu trop académiques. Elles me semblent un peu trop officielles pour me démontrer la vivacité, la pérennité de l'influence concrète de Goethe dans l'Allemagne d'aujourd'hui. Je ne pense pas qu'auprès de la population allemande Goethe représente grand chose. C'est un grand ancêtre, mais un grand ancêtre un peu mort. En revanche, je crois que les célébrations françaises en faveur de Goethe, parce qu'elles ont été le fait de spécialistes et qu'elles ont réuni un nombre infiniment plus restreint de personnes ont été plus sincères, plus spontanées et donc plus fructueuses pour l'avenir.

Forum : Vous évoquiez précédemment Schiller... Pourriez-vous préciser la nature des rapports que Goethe entretenait avec le romantisme ?

F. Claudon : Je ne pense pas qu'il y ait de grandes affinités entre Goethe et les romantiques, du moins les romantiques allemands. Et en tous cas, il est certain que le genre du drame de Faust, de Goetz von Berlichingen… n'est pas une invention goethéenne; c'est une invention anglaise ou espagnole si l'on suit la théorie de Schlegel en se reportant au théâtre du siècle d'or espagnol. De plus, à l'époque de Goethe, les œuvres de Diderot représentent le modèle dramatique. Malgré cela, Goethe et Schiller ont réussi à faire du drame, qu'ils pratiquaient tous les deux (Schiller avec Les Brigands, Goethe avec Egmont, Goetz von Berlichingen, Faust) une machine de guerre contre le théâtre à la française, c'est-à-dire la tragédie. De ce point de vue, il est certain que la contribution de Goethe, comme de Schiller, au romantisme est énorme, capitale, essentielle et irréversible. Tout ce qui se passe par exemple en France à propos de la genèse du drame romantique, est dû aux traductions françaises de Goethe et de Schiller et aux discussions qu'elles ont provoquées, en particulier grâce à Madame de Staël dans De l'Allemagne.

Nous devons également évoquer l'influence de Goethe sur le roman. Le roman romantique ne serait certainement pas ce qu'il est s'il n'avait pas existé. Le Wilhelm Meister correspond à un type de roman : le roman d'éducation ou Bildungsroman. On peut constater que ce roman d'éducation constitue un modèle suivi tacitement, sans qu'ils s'en aperçoivent peut-être, par les romanciers français : Le rouge et le noir est un roman d'éducation, l'Education sentimentale de Flaubert est un roman d'éducation, Jean-Christophe de Romain Rolland est un roman d'éducation de même que Les faux-monnayeurs de Gide que nous évoquions précédemment. La contribution de Goethe à l'évolution du roman est donc essentielle; elle commence avec le roman romantique : Les illusions perdues n'est pas autre chose qu'un roman d'éducation. Ainsi, on perçoit bien que l'apport de Goethe au mouvement romantique est essentiel. Mais, je dirais que cet apport s'est peut-être davantage effectué à l'égard du mouvement romantique européen dans son ensemble qu'à celui du mouvement romantique allemand; par exemple, il ne me semble pas qu'il y ait de véritable relation entre les contes d'Hoffmann et Goethe, ou qu'il y ait de relation entre le Heinrich von Ofterdingen de Novalis, qui est pourtant lui aussi un roman d'éducation, et Goethe.

Ainsi, curieusement l'influence de Goethe sur le romantisme est plus forte lorsqu'il s'agit du romantisme européen et français en particulier, que lorsqu'il s'agit du romantisme allemand. Néanmoins, on ne peut négliger l'influence de Goethe dans le domaine du lyrisme même si c'est une question extrêmement compliquée. Goethe a introduit une souplesse, une plasticité du vers, une diversité de ton; la variété de ses sujets d'inspiration, le fait qu'il soit un très grand poète de l'amour ont très certainement influencé les poètes romantiques allemands. Il n'en fut pas de même pour la majorité des romantiques français qui n'eurent accès à ces poèmes que bien plus tard, lors de leur traduction. Je crois qu'ils ne furent pas traduits avant l'anthologie de Gérard de Nerval, dans les années 1830. Les caractéristiques de l'œuvre de Goethe, le très grand poète de l'amour, que nous venons d'évoquer, ont donc intéressé les poètes romantiques allemands mais peut-être surtout ceux de la deuxième génération; il ne s'agit pas de ceux qui meurent aux alentours de 1800 comme Novalis, mais plutôt de Brentano, Arnim, Eichendorff, Uhland et surtout Heine que l'on classe souvent parmi les romantiques mais qui peut tout autant être considéré comme un anti-romantique; Heine est un cas spécifique, mais avec sa Lorelei, il a quand même beaucoup servi la cause du romantisme. Pour un Français ordinaire, le romantisme allemand en matière lyrique correspond aux poèmes de Heine.

Forum : Goethe a quand même été influencé par la quête d'universalisme du premier romantisme…

F. Claudon : En effet, si quelque chose doit rapprocher Goethe et les premiers romantiques, c'est-à-dire les Schlegel, Novalis…, c'est le goût scientiste, la manie scientiste et classificatrice. C'est l'époque du développement des sciences de la nature. Goethe, comme Schlegel et comme Novalis, était très intéressé par les sciences de la nature, que ce soit la botanique, la minéralogie ou la zoologie. Pour prendre un exemple, qui intéresse ma corporation comparatiste, c'est pendant cette période que l'on se met à pratiquer la méthode comparée dans les sciences : il existe une anatomie comparée, une botanique comparée, une philologie comparée…. On a conçu les connaissances comme les langues, les arts… non plus comme des productions singulières, comme des espèces de bloc erratiques séparés les uns des autres, mais au contraire, comme un ensemble réuni dans une sorte d'arbre dont le tronc doit être reconstitué par le savant. Goethe était très intéressé par ce type de raisonnement, qui était le raisonnement des scientifiques en même temps que celui des premiers romantiques de l'époque. Ce mode de raisonnement est particulièrement intéressant pour un professeur de littérature comparée comme moi parce qu'il a mis à la mode un concept dont nous nous servons beaucoup : le principe de la littérature mondiale, dit Weltliteratur. Goethe pense, et c'est parfaitement en accord avec les théories des théoriciens romantiques tels que les frères Schlegel dans les années 1800-1806, qu'il n'y a pas une littérature française d'un côté, une littérature italienne de l'autre…; ce sont toutes les branches d'un même arbre, cet arbre dont le tronc s'appelle la Littérature Mondiale.

Forum : On retrouve ici la manière goethéenne valorisant le "tout" par rapport aux parties et surtout aux "fragments"…

F. Claudon : Tout à fait. A cette occasion, je ne peux pas m'empêcher d'évoquer la réflexion de Goethe sur les éléments purs. Dans Les affinités électives, il essaye de déterminer ce qu'est l'amour pur, c'est-à-dire l'amour par inclination, comme le fer est attiré par l'aimant. C'est valable aussi pour le domaine littéraire. A deux reprises, au moins, Goethe a essayé d'écrire des genres purs : le genre de la nouvelle et le genre du conte, eine Novelle, ein Märchen, qui ne se rapportent ni à un événement, ni à un personnage. Lorsque Goethe écrit eine Novelle ou ein Märchen, il est exactement sur la même longueur d'onde que les théoriciens romantiques allemands qui essayent à la même époque de déterminer ce qu'est la littérature dans sa quintessence, la littérature à l'état d'essence. C'est un rapport très intéressant qui est en même temps tout à fait moderne puisque la linguistique, l'analyse structurale des récits, enfin tout ce qui procède des formalistes russes, essaye aussi de mettre à jour ce qui fait qu'un texte littéraire est littéraire, ce qui fait la littérarité chère à Jakobson. En fait, Goethe a essayé de créer en laboratoire, in vitro, de la littérarité : eine Novelle, ein Märchen.

Forum : Quelle signification Goethe donnait-il aux notions de cosmopolitisme et de culture européenne ? Peut-on parler d'actualité de la pensée de cet auteur à propos de ces notions ? Ne risquent-elles pas de provoquer quelques contresens?

F. Claudon : C'est une question intéressante! En effet, la notion de cosmopolitisme avait les faveurs des intellectuels à l'époque de Goethe. A ce propos, revenons sur un détail; nous avons rappelé précédemment que Goethe avait été décoré de l'ordre de la légion d'honneur par Napoléon. Lorsque ce dernier perd l'Allemagne en 1813-1814, toute la jeunesse romantique allemande s'est rangée militairement sous la bannière du roi de Prusse ou de l'empereur d'Autriche pour expulser les Français d'Allemagne; elle estimait qu'ils empêchaient au fond le développement de la culture allemande et qu'ils empêchaient l'Allemagne de vivre à l'heure romantique. La guerre de libération avait d'ailleurs enflammé tous les intellectuels allemands à l'image de Karl Maria von Weber. C'est précisément à cette période qu'une très grande rupture entre Goethe et son temps se produit. Goethe passe alors pour un homme d'Ancien Régime qui n'a rien compris à l'histoire et qui trahit ses compatriotes de langue parce qu'il se considère comme un européen, comme un citoyen de l'Europe ou, comme on disait à l'époque, comme un "cosmopolite"; c'est cela le véritable sens que l'on donnait au mot "cosmopolite". A une époque récente, dans les régimes marxistes, le mot cosmopolite était une critique, une condamnation ; un esprit cosmopolite était par opposition quelqu'un qui trahissait les intérêts nationaux de son pays et de son régime.

Donc, en 1813, Goethe continue à pérenniser l'attitude, les idées, les conceptions, le comportement d'un cosmopolite. Le cosmopolite c'est celui qui pratique les langues, qui aime tous les pays, qui considère par exemple que la meilleure architecture est l'italienne, que le meilleur théâtre est le français, que la meilleure poésie est peut-être l'allemande, que la meilleure musique est certainement l'allemande… c'est cela le cosmopolitisme. C'est l'ouverture intellectuelle avec le refus de dire qu'une civilisation est supérieure à une autre; néanmoins, il y a, in petto, un correctif, en tous cas à l'époque : la meilleure des civilisations est quant même l'européenne et je ne suis pas persuadé personnellement que cela ait beaucoup changé. Je crois que la civilisation européenne considérée comme un cosmopolitisme a encore beaucoup de choses à dire et à faire!

A l'époque de Goethe, on est européen ou on n'est rien du tout; c'était précisément l'attitude de Goethe que ses contemporains ont eu du mal à comprendre. C'était la vieille Europe, mais en tant qu'elle est continuatrice de Rome et de la Grèce. Ce point est capital : l'Europe moderne est la descendante, la fille en droite ligne de l'Antiquité des Grecs, avec le message d'humanisme qu'il véhicule, de beauté, de tolérance…

Par la suite, l'Allemagne wilhelminienne et a fortiori l'Allemagne nazie a encore eu de la révérence envers les grands artistes allemands comme Wagner, qui se considérait aussi comme un grand artiste européen, une personnalité européenne et mondiale. De nos jours, on donne au mot cosmopolitisme une signification différente par rapport à celle que lui conférait Goethe; je crois qu'on en pervertit un peu le sens parce que l'on faisait uniquement référence, dans le cas de Goethe, au domaine culturel. Goethe était, je crois, apolitique, profondément apolitique.

Bibliographie

- "La Guirlande de Chopin" - ouvrage en collaboration franco-polonaise - à paraître.
- "Vivant Denon" (texte receuillis par B. Bailly et F. Claudon) - UTB, Chalon - 1998.
- "Paul Casin - 1881-1963" (textes recueillis par A. Nawrocki et F. Claudon) - 1998.
- "Ils n'ont jamais été représentés à l'Opéra" (textes recueillis par F. Claudon et J.C. Yon) - Die, Couleurs locales - 1998.
- "Les littératures de langue allemande depuis 1945" - E. Tunner, F. Claudon - Nathan Université, coll. fac. littératures étrangères - 1995.
- "Le voyage romantique - Des itinéraires pour aujourd'hui" - Editions Philippe Lebaud - 1986.


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