* : Karl Kaiser est également Professeur de Sciences politique
à l'Université de Bonn.
Dans
les débats sur la création d'un " pilier européen " de l'alliance,
trois contre-arguments sont le plus souvent avancés : tout système
de sécurité sérieux exigerait en premier lieu, pour faire prendre
conscience de la nécessité d'agir, l'implication des Etats-Unis
- il rendrait donc tout processus strictement européen imparfait
dès le départ ; en second lieu, l'UEO, en tant qu'organisation de
sécurité purement européenne, serait incapable de répondre à des
éventualités militaires ; troisièmement, tout effort pour créer
un pilier européen de défense pourrait rejeter les Etats-Unis hors
d'Europe et enterrer une situation qui répond à un consensus en
matière de sécurité dominant en Europe centrale et occidentale.
Aucun de ces arguments n'est convaincant. Bien au contraire : la
capacité de l'OTAN à promouvoir la formation d'un système de sécurité
réellement européen est devenue la mesure du succès de sa réorganisation
et la condition de sa survie comme une institution effective et
importante. L'affirmation selon laquelle l'UEO n'aurait pas la capacité
militaire de traiter les problèmes de sécurité peut aisément se
transformer en cercle vicieux : elle n'en a pas la capacité, car
beaucoup ne le veulent pas. Dans le passé, les Européens déléguaient
à l'OTAN la tâche de les défendre mais cette politique a changé
depuis le début des années 1990. La création d'un pilier européen
est un objectif commun déclaré de l'alliance depuis le sommeil de
l'OTAN de 1991 à Rome. En même temps, le traité de Maastricht encourageait
un lien renforcé entre l'UEO et l'UE. Ce traité déléguait des fonctions
de plus en plus importantes à l'UEO, devenue l'instrument de l'UE
pour la réalisation d'une politique extérieure et de sécurité commune.
Ce pas devrait conduire à une politique de défense commune voire
finalement à une défense commune. C'est avec une série de pas que
l'on construit une capacité militaire de l'UEO. Ceux-ci vont des
rencontres régulières des chefs d'Etat-major européens, de la création
d'une cellule de planification à la mise en place de l'Eurocorps
et des commandements des forces armées, qui tous servent des objectifs
européens.
Mais bien plus importantes encore sont les conséquences des changements
dans la sécurité autour de l'Europe. Comme la menace d'une grande
invasion par l'Union soviétique n'existe plus, les crises qui exigent
des mesures militaires sont telles que dans la plupart des cas (mais
pas dans tous), l'Europe est à même d'assurer une réponse autonome.
Les Etats membres de l'UEO disposent en fin de compte d'un potentiel
militaire considérable, avec même deux puissances nucléaires. L'affirmation
selon laquelle l'UEO est incapable d'agir omet également le fait
que l'UEO est tout à fait en mesure d'agir dans les nouveaux domaines
de la politique de sécurité tels que la résorption des crises, l'introduction
d'embargos, l'ingérence humanitaire ou le maintien de la paix. Cela
vaut encore plus maintenant, après le changement de la politique
française à l'égard de l'OTAN, ainsi que par l'acceptation croissante
que des potentiels précis qui appartiennent à l'OTAN ou aux Etats-Unis,
tels que des moyens d'informations, des structures de commandement
et des capacités de transports, soient mis à la disposition de l'UEO
pour son action propre.
Certes, l'objectif d'une politique extérieure et de sécurité commune,
tel qu'il a été formulé dans le traité de Maastricht, n'est pas
si facile à concrétiser, comme beaucoup l'espéraient lors de sa
ratification. Cependant, les membres de l'UE continueront à aller
dans ce sens. Malgré des conceptions différentes, trop de problèmes
auxquels beaucoup de membres de l'UE ont à faire face dans le domaine
de la sécurité, ne peuvent plus être surmontés par une voie nationale.
En outre, il y existe des liens inhérents entre les domaines de
l'économie, dans lequel l'UE a eu du succès, et de la sécurité où
l'" agenda " international maintient la pression dans le sens d'une
plus grande intégration.
Dans quelques-uns des nouveaux domaines de mission de l'OTAN les
intérêts des membres de l'UE sont souvent si entremêlés qu'ils sont
à même de progresser ensemble, par exemple pour la non-prolifération
et le processus de paix au Proche-Orient.
Une structure de sécurité européenne forte, centrée autour de l'UEO,
est désormais une condition préalable sine qua non pour la résolution
du dilemme de sécurité des démocraties centre-européennes, qui n'ont
pas accès à une participation à l'OTAN dans le premier cercle d'ouverture
et dont la situation en matière de sécurité menace d'être réduite
de ce fait. Depuis assez longtemps on avait établi sous la pression
américaine qu'une participation à l'UEO n'était pas possible sans
une pleine participation à l'OTAN. Lorsqu'il fut décrété ensuite
que seuls les membres de l'UE pouvaient pleinement être membres
de l'UEO, Washington eut pratiquement un droit de veto sur le fait
de décider qui pouvait devenir membre de l'UE. Cette position trouve
son fondement dans l'analyse par la menace, aujourd'hui dépassée.
On ne pouvait contrer le danger d'une agression soviétique que par
un engagement de l'OTAN, sous-tendu par le potentiel nucléaire américain.
Pourtant dans les circonstances actuelles d'une réduction drastique
des menaces et de l'augmentation du potentiel militaire de l'UEO
(soutenu par l'OTAN), l'UEO pourrait résoudre seule beaucoup d'éventualités.
Ceci se justifiera d'autant plus si la construction (prévue dans
le traité de Maastricht) d'une politique de défense et d'une défense
commune se réalise.
Une pleine participation à l'UEO pour les démocraties centre-européennes
ne servirait pas seulement à satisfaire leurs besoins de sécurité,
en outre, elle ne se heurterait pas à la même résistance de Moscou
que celle que suscite leur possible participation à l'OTAN. Et même
sans une pleine participation, l'UEO et l'UE peuvent aider à inclure
ces Etats dans une zone de sécurité européenne plus étroitement
intégrée qui accroîtrait considérablement leur sécurité, jusqu'à
ce que ces Etats soient finalement couverts par les engagements
conformément à l'article V. La proposition du chancelier allemand,
Helmut Kohl, d'ajouter au traité UE une clause de solidarité va
dans le même sens. Finalement reste la question clé de savoir comment
une structure de sécurité européenne agira sur l'engagement américain
en Europe. Les Européens en souhaitent la poursuite. La mesure de
cet engagement est naturellement décidée par l'évolution politique
américaine ; mais l'attitude de l'Europe peut influencer ses décisions,
marginalement. Le retour de la France dans l'OTAN a fortement affaibli,
sinon supprimé la tonalité anti-américaine des propositions françaises
pour une identité européenne de sécurité, impliquant implicitement
une totale autonomie de l'Europe. La création d'un plier européen
avec une responsabilité accrue de l'Europe est devenu le but avoué
de la diplomatie américaine et l'élément principal de la déclaration
commune de l'OTAN. Une évolution de cet objectif pourrait renforcer
le lien de l'Amérique à une OTAN réformée de cette façon.
Qu'arriverait-il si les Américains décidaient, pour des motifs personnels,
et malgré la résistance de l'Europe, de réduire leur engagement
dans l'OTAN ? Le poids croissant des problèmes politiques internes
et l'augmentation des difficultés de la classe politique a mobiliser
un soutien pour un engagement international de l'Amérique, pourrait
tout à fait provoquer une telle évolution, aussi nuisible soit-elle
à terme pour les intérêts américains. L'Europe doit être préparée
à une telle éventualité. C'est pourquoi elle doit développer son
propre potentiel pour venir à bout des crises qui touchent aux intérêts
européens. S'il apparaît une plus grande menace, les Européens ne
peuvent qu'espérer que les Américains seront cependant à leurs côtés./
Aucun être responsable en Europe ne souhaite une diminution de l'engagement
américain dans l'OTAN. Cependant, la création d'une structure de
sécurité européenne ne créerait pas seulement une position de repli,
elle améliorerait la capacité d'action de l'OTAN, de préférence
en harmonie avec les Etats-Unis qui restent engagés dans une OTAN
réformée.
Bibliographie
-
Encours de mise en place...
|