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Rétrospective et réalités franco-allemandes
Depuis le Traité de l'Elysée, la France et l'Allemagne se sont rapprochées dans presque tous les domaines, économique, politique et militaire. Sur le plan économique, les convergences entre les deux pays n'ont cessées de se renforcer ces dernières années. Le rapprochement est également patent dans les domaine de la politique extèrieure. Mais l'heure de vérité a sonné. Car les obstacles à la construction européenne, dont le couple franco-allemand est le moteur, sont plus redoutables encore que ceux auxquels il fut confronté pendant la guerre froide. ©1997
Jean FRANCOIS-PONCET - Ministre des Affaires étrangères
(1978-81) - Sénateur


La guerre froide est terminée, mais des zones de tension subsistent dans le monde. L'Europe n'est certes plus coupée en deux par le rideau de fer, mais la sécurité, la prospérité et la stabilité démocratique sont aussi mal partagées qu'avant. Pire encore, l'Europe a connu de nouveau la guerre, comme dans l'ex-Yougoslavie.

C'est autour de cette réalité que va s'articuler le partenariat entre la France et l'Allemagne. En moins de cinquante ans, nos deux peuples ont œuvré à une réconciliation, qui reste inégalée dans l'histoire du Monde. La guerre est devenue impensable entre nous. C'est là un héritage qu'il nous faut protéger. Mais aujourd'hui, l'enjeu est autre. Il s'agit d'affirmer ensemble notre place et notre rôle dans le monde.

Ensemble, cela ne veut pas dire seulement nos deux pays. La France et l'Allemagne doivent se considérer comme des partenaires dans l'Europe et pour l'Europe.

I.

Par Europe, nous entendons d'abord nos partenaires de l'Union européenne. Cette Union doit poursuivre son développement pour devenir un acteur capable d'agir au plan international. Cette évolution ne saurait supporter une "scission" d'un groupe qui se détacherait du reste de l'UE. D'un autre côté, l'approfondissement nécessaire de l'intégration européenne ne doit pas être bloquée par la résistance de tel on tel pays.

Sans une concertation étroite entre l'Allemagne et la France, ce double objectif ne peut être atteint.

Les conséquences d'un manque de capacité d'action commune de l'Europe durant la guerre en ex-Yougoslavie ont été douloureusement ressenties. Bien qu'ils se soit déroulé à nos portes, les Européens ont été incapables d'arrêter ce conflit, de faire cesser les massacres et la purification ethnique.

Ce n'est que par une véritable politique extérieure et de sécurité commune (PESC) que l'Europe pourra être un sujet décidant de son destin, et non un objet soumis à un sort décidé par d'autres. La conférence intergouvernementale de l'UE à Amsterdam n'a donné que des résultats insuffisants. Nous saluons la mise en place d'une unité d'analyse et de planification, qui sera dirigée par le Secrétaire Général PESC, mais nous regrettons que les prises de décision à la majorité ne sont, comme auparavant, possibles que d'une façon restreinte.

Il faut toutefois bien comprendre une chose : de tels moyens et méthodes peuvent favoriser la volonté politique d'union, mais ne sauraient la remplacer. La crise dans l'ex-Yougoslavie l'a montré: Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que des défis extérieurs entraînent par la force des choses une volonté d'action commune. C'est en elle-même que l'Europe doit puiser les forces nécessaires à cette volonté, et nous ne pourrons parvenir à les mobiliser qu'en approfondissant notre intégration.

Une Europe incapable d'agir sur le plan militaire ne peut pas être un partenaire à part entière, que l'on prenne au sérieux. La possibilité établie par le traité de l'Union Européenne, révisé à Amsterdam, de participer dans des cas concrets et avec l'aide de l'UEO à des missions humanitaires, des mesures pour stabiliser et renforcer la paix à la base d'un mandat de l'ONU ou de l'OSCE, y correspond. Nous persistons dans le but, qui n'a pas été atteint à Amsterdam, d'intégrer l'UEO aussi vite que possible dans l'Union Européenne.

La politique européenne de sécurité pourrait bien être mise à l'épreuve si les Etats-Unis décidaient, comme ils l'ont annoncé, de retirer leurs troupes de la mission multinationale de paix pour la Bosnie à l'échéance de leur mandat actuel. Il est aujourd'hui trop tôt pour dire qu'alors, les Européens devraient assurer la poursuite de la stabilisation militaire du processus de paix. Il faut pour cela surtout qu'une véritable volonté de paix apparaisse clairement entre les parties présentes en Bosnie. Mais il est aussi trop tôt aujourd'hui pour dire que les Européens devraient en tout cas se retirer en même temps que les Américains.

Il faut que l'Europe parle davantage d'une même voix, unisse ses potentiels et crée "l'identité européenne de défense".

La France et l'Allemagne doivent également aborder la question du nucléaire. Plus que tout autre domaine, elle touche au fondement de la souveraineté nationale. On ne peut pas envisager de prise de décision à la majorité pour l'engagement du feu nucléaire. Mais ce qu'on peut et qu'on doit envisager, c'est un débat franc et ouvert sur la façon d'insérer le potentiel nucléaire français dans le processus d'intégration européenne. L'Allemagne n'a pas et ne veut pas l'arme atomique. Elle ne veut pas non plus avoir "le doigt sur la détente" des armements nucléaires des autres. Mais dans une communauté de sort franco-allemande, il ne peut pas y avoir de sujet tabou. Pourquoi dès lors ne pas créer un groupe de consultation sur les questions nucléaires, dans lequel les Européens, pourront parler du rôle politique et militaire des armes nucléaires ?

II.

Jusqu'ici, nous avons parlé de l'Europe en tant qu' Union européenne. Au sens géographique comme au sens culturel, l'Europe est allée et va évidemment au delà des frontières de l'UE. Toutefois, au plan politique, pendant des décennies, l'Europe a été déchirée par l'antagonisme entre l'Est et l'Ouest.

Aujourd'hui, plus aucune confrontation entre deux systèmes irréconciliables ne fait obstacle à la construction d'un ordre de paix pour l'ensemble de l'Europe. Une paix stable n'est possible qu'entre des sociétés stables, et au bout du compte, les sociétés ne sont stables que lorsqu'elles connaissent la réussite économique, offrent la sécurité extérieure et la protection sociale, et respectent les Droits de l'homme et du citoyen.

L'Allemagne et la France doivent être partenaires pour la stabilité démocratique, la sécurité et la prospérité dans toute l'Europe. Pour cela, il existe au fond deux approches : l'intégration de nouveaux membres dans l'UE et l'OTAN d'une part, et la coopération avec les autres pays européens d'autre part. L'intégration signifie l'ouverture de l'Union européenne et de l'OTAN à de nouveaux Etats membres, la coopération signifie coopérer avec tous en Europe.

Il ne faut pas creuser de nouveaux fossés en Europe. L'intégration de quelques-uns ne doit pas se faire au détriment des autres, mais de la même façon, la coopération avec quelques-uns ne doit pas entraver l'intégration d'autres.

Réunir ces deux approches constitue un défi auquel on ne pourra pas se soustraire en le niant ou en ne se décidant que pour l'une des deux approches. L'intégration de tous n'est pas possible, mais l'Union européenne et l'OTAN ne peuvent pas rester sourds aux souhaits compréhensibles d'adhésion de pays appropriés. D'un autre côté, les deux organisations ne seraient pas à la hauteur de leur responsabilité pour l'ensemble de l'Europe si elles se contentaient de miser sur une intégration sélective.

Promouvoir la stabilité, la prospérité et la sécurité en Europe, c'est avant tout un devoir politique. L'intégration des pays d'Europe centrale dans l'Union européenne aura plus d'impact sur leur stabilité et la stabilité de l'Europe toute entière que leur entrée dans l'OTAN. L'OTAN est une alliance militaire d'Etats souverains avec des fonctions politiques, alors que l'UE est une union politique, économique et sociale d'Etats à la souveraineté partagée. A l'intérieur de l'Union européenne, cette intégration étendue garantit la paix et la stabilité démocratique. À l'extérieur, elle ne se présente pas comme une organisation militaire, qui puisse être considérée par d'autres comme une menace.

L'élargissement de l'OTAN doit être menée de manière à renforcer la sécurité de tous. Le Traité fondamental signé entre l'OTAN et la Russie à Paris le 27 mai 1997 a permis de réduire le risque de confrontation entre les signataires de l'accord. Un tel accord, qui définit le cadre institutionnel du partenariat, eut d'ailleurs été nécessaire même si l'OTAN n'avait pas été élargie. Il ne peut y avoir de système de sécurité collective qui soit viable en Europe sans la Russie. Ce raisonnement est également valable pour l'Ukraine et c'est pourquoi nous saluons la charte de partenariat OTAN-Ukraine.

Au sommet de Madrid les 8 et 9 juillet 1997, seuls trois pays seront admis à négocier leur entrée dans l'OTAN: la Pologne, la Hongrie et la République tchèque. De notre point de vue, il eut été souhaitable d'accueillir également la Roumanie et la Slovénie.

Pour que l'élargissement de l'OTAN contribue à plus de stabilité en Europe, il est nécessaire que ceux qui ne seront pas admis à négocier lors du sommet de Madrid ne se considèrent pas comme définitivement exclus du processus. Chaque pays est libre de demander l'adhésion à l'alliance de son choix et nul ne peut revendiquer un quelconque droit de veto en la matière. Toutefois, il ne faut pas considérer que l'acceptation de la Russie à ce processus aille de soi et que la conclusion du Traité fondamental entre la Russie et l'OTAN règle tous les problèmes. Plus l'élargissement se traduira parallèlement par une coopération renforcée avec la Russie, plus on accroîtra la sécurité de chacun en Europe.

L'OTAN a eu raison d'assurer que le déploiement d'armes nucléaires sur le territoire des nouveaux Etats membres ne serait pas nécessaire. D'ailleurs, l'élargissement à l'Est de l'OTAN doit être perçu comme l'occasion de faire avancer le désarmement. On voit circuler des estimations de coûts basées sur l'idée d'un armement massif à l'occasion de l'intégration de nouveaux pays dans l'OTAN. Cette idée repose sur les schémas de pensées d'hier, articulés autour des catégories de l'ancien conflit entre l'Est et l'Ouest.

L'heure est au désarmement. Les forces conventionnelles en Europe peuvent et doivent faire l'objet de nouvelles réductions, et le Traité FCE correspondant doit être modifié de façon à ce que l'élargissement à l'Est de l'OTAN ne conduise pas à accroître son potentiel. La sécurité des nouveaux membres de l'OTAN ne nécessite pas l'installation de troupes étrangères sur leur sol. Dans le domaine des armes nucléaires stratégiques, nous appelons les Etats-Unis et la Russie à convenir le plus vite possible de nouvelles réductions drastiques des potentiels (START III). Pour cela, il faut que la Douma russe ratifie les accords START II. Au delà de START III, il faut que toutes les puissances nucléaires soient prêtes à participer aux négociations sur le désarmement.

L'UE et l'OTAN sont des organisations dont le nombre de membres est réduit, mais dont la mission s'étend à toute l'Europe. L'OSCE est la seule organisation qui réunit tous les Etats européens ainsi que les Etats-Unis et le Canada. Cette spécificité la rend d'une part irremplaçable, mais d'autre part, le nombre et l'hétérogénéité de ses Etats membres limitent sa capacité à agir. Comme toute organisation internationale, l'OSCE ne peut offrir que ce que ses membres lui permettent d'offrir. Nous prônons le renforcement de l'OSCE. Ainsi, il faudrait par exemple étendre les compétences du Secrétaire Général de l'OSCE, et renforcer ses instruments opérationnels (Haut-commissaire aux minorités nationales, missions de l'OSCE).

La sécurité en Europe et pour l'Europe ne peut pas se faire sans les Etats-Unis d'Amérique. Il n'existe, ni pour les Etats-Unis, ni pour l'Europe, d'autre solution que la poursuite de relations très étroites, basées sur les fondations solides que sont nos valeurs communes et nos intérêts communs.

Mais les intérêts américains et européens ne se recouvrent pas nécessairement toujours. Si nous sommes avant tout partenaires, nous sommes aussi concurrents, en particulier dans le domaine économique. Washington cherche certes à se désengager, mais souhaite naturellement perdre le moins possible de sa propre influence. C'est ce que montre la querelle au sujet du commandement Sud de l'OTAN.

L'Europe ne peut pas faire valoir pleinement ses intérêts si elle est désunie. C'est pourquoi c'est à nous, Européens, de relever le défi d'un partenariat transatlantique d'égal à égal. Au final, c'est nous-mêmes, Européens, qui déciderons de l'avenir de "l'européanisation de l'OTAN".

III.

La France et l'Allemagne, partenaires en Europe et pour l'Europe de la stabilité démocratique, de la solidarité sociale, de la prospérité économique et du développement écologique durable -telle est la vision qui nous guide et nous anime. Cela passe d'abord par le renforcement de l'Union européenne jusqu'à devenir un véritable acteur, et son élargissement progressif à de nouveaux membres. Mais après la fin de la guerre froide, nous pouvons et nous devons définir encore plus largement notre mission européenne. Nous pouvons désormais travailler à l'élaboration d'une Europe entière pacifique et stable, parce qu'en elle sont réalisés la démocratie, l'état de droit, et l'économie sociale de marché.

Ce sont là deux projets européens ambitieux. Il n'y a aucune raison qu'ils ne réussissent pas, et ils ne réussiront que si la France et l'Allemagne agissent ensemble comme partenaires en Europe et pour l'Europe.


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