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Les enjeux du Traité de 1963
Il est rare de voir dans l'histoire politique un échec aussi éclatant produisant des succès aussi durables. La solidité du Traité comme instrument d'élaboration de positions communes, comme cadre pour des ententes et pour des coopérations de plus en plus étroites prouve que, par-delà les intentions immédiates de part et d'autre, les "pères" du Traité de 1963 avaient, chacun à sa manière, appréhendé la nécessité fondamentale d'une entente franco-allemande.©1997
Joseph Rovan - Professeur émérite à la Sorbonne


Joseph Rovan est également Président du Bureau International de Liaison et de Documentation et Directeur de "Documents".


1) Il n'y aurait pas eu de Traité de l'Elysée si Foster Dulles avait continué à diriger la politique extérieure américaine. La mort du Secrétaire d'Etat et l'accession de Kennedy à la présidence ont ébranlé la confiance quasi absolue que Konrad Adenauer faisait à l'Amérique. La recherche d'un accord avec l'Union soviétique risquait à ses yeux d'entraîner Washington à des conséquences dont l'Allemagne finirait par payer la note. Mais c'est au sein de l'Alliance atlantique que le vieux Chancelier voulait en quelque sorte renforcer un contre-poids européen, ce qui à l'époque, signifiait en fait franco-allemand. C'était oublier dans une large mesure la manœuvre de 1944 qui avait abouti au Traité franco-soviétique - pour dégager quelque peu la France de l'écrasante dépendance envers les USA. Pour De Gaulle l'Allemagne, incapable de jouer un rôle de puissance autonome, en s'engageant dans des liens directs et particuliers avec la France, apporterait à celle-ci un soutien matériel considérable qui lui permettrait, comme tête et guide de l'entente franco-allemande, d'introduire plus d'égalité aux rapports avec les USA.

2) Cependant il semble bien que Paris n'ait pas eu, en s'engageant sur la voie d'une entente étroite avec l'Allemagne, une vision exacte de la situation du vieux Chancelier et des limites qu'elle imposait aux engagements qu'il était susceptible de prendre.

Le Chancelier en effet avait déjà dû prendre l'engagement de se retirer du pouvoir avant la fin de l'année en cours (1963). Cette décision lui avait été arrachée par les Libéraux qui, pour refaire coalition avec la CDU, après que celle-ci eut perdu la majorité absolue aux élections de 1961, et à défaut d'obtenir dès l'abord la désignation d'un nouveau Chancelier, avaient imposé son départ à mi-course de la législature. Or les Libéraux étaient dans leur grande majorité très étroitement attachés à l'Alliance dirigée et même dominée par les Etats-Unis. Dans l'ensemble ils nourrissaient peu d'estime et de confiance pour la France, et encore moins pour la France de De Gaulle soupçonnée de rechercher un équilibrage du côté soviétique. Sur ce plan le successeur désigné du vieux Chancelier, le professeur Erhard ministre très populaire de l'Economie ("le père du miracle allemand") pensait exactement comme les Libéraux.

La méfiance envers les penchants d'Erhard en matière de politique extérieure avaient d'ailleurs pour une large part animé les tentatives d'Adenauer pour écarter de la succession un homme dont il pensait qu'il était en quelque sorte congénitalement incapable de concevoir une action qui, sur le plan international, continuerait l'œuvre du Rhénan. Mais Erhard, de plus en plus, représentait et exprimait mieux que le "vieux" les sentiments de la grande majorité de la CDU qui donnait, comme auparavant, une large priorité au maintien des liens privilégiés qui s'étaient tissés entre l'Allemagne fédérale et les Etats-Unis. Dans la classe politique allemande très peu nombreux étaient ceux qui jugeaient nécessaire de rééquilibrer la dépendance envers l'Amérique par un rapprochement à la France gaullienne. Une certaine dépendance, et même une dépendance certaine envers les USA apparaissait à la grande majorité des politiques - et de l'opinion publique - en Allemagne comme plus rassurante, plus justifiée et plus "payante" qu'une liaison avec une France aux moyens limités et affaiblie par l'interminable Guerre d'Algérie, qui avait été fort impopulaire en Allemagne. Sans l'accord de 1962 avec les gens du FLN la France n'aurait jamais pu entraîner l'Allemagne dans le Traité de 1963.

3) La faiblesse de la position du Chancelier apparut clairement quand le Bundestag assortit le Traité d'un Préambule qui, par rapport aux intentions du Général De Gaulle, lui enlevait l'essentiel de sa valeur. La grande majorité de l'opinion allemande et de la classe politique ne partageaient pas les craintes que les initiatives et les passivités de Kennedy inspiraient au Chancelier. Entre les mains du Chancelier Erhard et du ministre des Affaires étrangères Gerhard Schröder qui n'avait suivit Adenauer qu'avec beaucoup de réserve, le Traité perdait le sens dont De Gaulle l'avait chargé. D'où la fameuse phrase sur la vie des roses - l'espace d'un matin. Sans entraîner l'Allemagne De Gaulle accentua alors sa politique de dégagement : la chaise vide à Bruxelles et la sortie des structures intégrées de l'OTAN accentuèrent l'isolement de la France alors que l'achèvement de la "montée atomique" soulignait la différence entre la prétention de la France à un rôle mondial et l'humilité volontaire avec laquelle la République fédérale s'abstenait de toute prétention à un rôle autonome. Erhard et Schröder auraient volontiers accepté le départ des troupes françaises du territoire allemand. C'est encore le vieil Adenauer à travers l'action de son fidèle lieutenant, le ministre fédéral Heinrich Krone jouant pour lui le rôle d'observateur au sein du cabinet Erhard, qui réussit à empêcher ce geste de rupture.

4) La solidité du traité (nous venons d'assister à la 70e Conférence franco-allemande au "sommet") comme instrument d'élaboration de positions communes, comme cadre pour des ententes et pour des coopérations de plus en plus étroites (à travers des initiatives comme l'OFAJ ou, tout dernièrement à Weimar, la création de l'Université franco-allemande - mais aussi la Brigade mixte et l'Eurocorps) prouve que, par-delà les intentions immédiates de part et d'autre, les "pères" du Traité de 1963 avaient, chacun à sa manière, appréhendé la nécessité fondamentale d'une entente franco-allemande qui seule peut donner à nos deux pays et à travers eux à l'Europe la possibilité de jouer un jeu autonome, à l'intérieur de l'Alliance atlantique comme dans le monde du XXIe siècle dominé par de très grandes puissances. Il est rare de voir dans l'histoire politique un échec aussi éclatant produisant des succès aussi durables. Par ailleurs en examinant l'état des relations franco-allemandes 35 ans après la signature du Traité l'on retrouve aussi des permanences d'attitudes qui continuent à rendre difficiles les relations bilatérales. Il suffit de penser ici aux avancées et reculades de la politique française vis-à-vis des instances de l'OTAN ou aux décisions isolées, indépendantes concernant par exemple la suppression du service militaire. Mais on retrouve aussi, plus fortes que jamais, les nécessités qui ramènent toujours à nouveau la France et l'Allemagne à des positions et propositions communes.


Bibliographie

- "Mémoire d'un Français qui se souvient d'avoir été Allemand" - Ed. Seuil, 1999.
- "Bismarck, l'Allemagne, et l'Europe unie - 1898 - 1998 - 2098" - Ed. Odile Jacob, oct. 1998.
- "L'histoire de l'Allemagne des origines à nos jours" - Ed. du Seuil, 1994.
- " Citoyens d'Europe" - Ed. Robert Laffont, 1992.
- "Le Mur et le Golfe" - Ed. de Fallois, 1991.
- "Les comptes de Dachau" - Ed. Julliard 1987, rééd. le Seuil 1993.


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