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Un défi historique
La question des limites de l'Europe et de la portée géopolitique de l'intégration européenne se pose avec insistance dès à présent. Certains pays se trouvent à long terme hors du cercle de prospérité économique de l'Union Européenne, certains de leurs propres faits et d'autres en raison d'une conjoncture interne ou régionale troublée. Que va-t-il alors se passer si l'Ukraine ou la Russie expriment un jour leur volonté de devenir membres de l'Union Européenne ? Tôt ou tard la communauté devra préciser si ces Etats ont réellement une perspective européenne !©1998
Klaus-Dieter FRANKENBERGER - Editorialiste au Frankfurter
Allgemeine Zeitung, Francfort


Plus de huit ans après la chute du Mur de Berlin, qui a symbolisé plus que tout autre événement le tournant historique de l'Europe et la modification des données de la politique internationale, l'Union Européenne fait face au plus grand défi de son histoire : c'est dans un contexte très protocolaire que le processus d'élargissement aux pays d'Europe de l'Est a débuté et que les premières négociations se sont ouvertes. Lorsque ce processus sera achevé, la Communauté comptera 20 Etats membres, voire plus. Dans cette nouvelle Europe organisée autour de principes démocratiques et d'économie de marché, les frontières établies par les puissances militaro-politiques de la fin de la deuxième Guerre Mondiale, seront dépassées, du moins historiquement parlant; cette réalité s'imposera même si les écarts de revenus, de pouvoir d'achat et de conditions de vie générés par les dégâts du communisme persistent quelques temps encore.

L'unification européenne, qui se limitait à l'origine à un cercle restreint de six Etats pour s'élargir ensuite vers l'Ouest, le Sud et le Nord en plusieurs étapes, se réalisera quoiqu'il arrive. Ce qui était inachevé va être corrigé. Les principaux objectifs qui avaient été fixés pour forger l'Europe occidentale et qui étaient organisés autour de la réconciliation franco-allemande, doivent désormais servir à façonner le continent tout entier: maintien de la paix, démocratie et prospérité dans une Europe aux valeurs communes ainsi que dans un marché intérieur élargi à environ cent millions de citoyens supplémentaires.

Cependant, on ne sait pas encore quand s'achèvera la première phase de l'élargissement à l'Est. Les premiers candidats ne deviendront probablement pas membres à part entière avant l'an 2003. Cela s'explique par la nature des négociations relativement complexes (l'acquis communautaire que ces pays doivent intégrer ne comporte pas moins de 200.000 pages et de 14.000 actes juridiques), les grands écarts entre l'Ouest et l'Est et l'impérieuse nécessité d'adaptation; l'un des exemples le plus frappant, est le secteur agricole en Pologne ou dans d'autres pays, qui en dépit de sa taille relativement importante a une productivité assez faible. Ainsi depuis l'automne 1989, au moins quatorze années se seront écoulées. On peut trouver ça long surtout si on la compare à l'élargissement à l'Est de l'Alliance Atlantique.

Au sein de l'organisation supranationale que l'on nomme Union européenne et qui se caractérise par des procédures rigides et des coalitions reposant sur des intérêts communs, on trouve d'importantes inerties qu'il est difficile de surmonter. Le gouvernement allemand connaît déjà cette chanson. Il fallait que les pays candidats s'engagent préalablement dans le chemin difficile conduisant à la démocratie, l'économie de marché et l'Etat de droit pour que l'on puisse engager des négociations (certains pensent néanmoins que ce qui a été accompli n'est pas encore suffisant). Leurs perspectives d'adhésion se construiraient ainsi non seulement sur leur volonté mais aussi sur leurs capacités pour que leur admission en qualité d'Etat membre ne conduise pas à un fiasco, engendrant déception et surcharge de part et d'autre.

Le programme de réforme de la Commission de Bruxelles devant préparer l'Union Européenne à son ouverture à l'Est et prévoyant une concentration des politiques structurelles ainsi qu'une libéralisation de la politique agricole se trouve dés à présent exposé à de violentes critiques. C'est ainsi que des doutes sont exprimés quant aux chances de succès du processus d'élargissement contre les profiteurs des quota, des prix de soutien et des fonds spéciaux.

Par ailleurs, l'agenda des négociation pourrait bien être menacé par d'autres événements que ceux auxquels on pense. Dés maintenant le conflit chypriote et la rivalité notoire entre Grecs et Turcs jettent une ombre sur celui-ci. Aux menaces des uns viennent répondre les contre-menaces des autres. Il y a ainsi un "potentiel de complication" susceptible de bouleverser les prévisions initiales. Cependant, en dépit des nombreuses possibilités de retardement, on peut affirmer avec assurance que l'UE va pratiquement doubler le nombre de ses membres à long terme. Cela aura des répercutions sur sa capacité d'action et sa détermination tant d'un point de vue intérieur qu'extérieur. En effet plus la Communauté s'élargit, plus les intérêts et les structures de ses membres se multiplient. Par ailleurs, on ne peut trouver des Etats plus différenciés en ce qui concerne leur poids politico-économique et leurs expériences et traditions sociale et institutionnelles, pour être réunis sous un même toit - celui de la Communauté Européenne -. Davantage d'efforts devraient être consentis pour contrecarrer les intérêts centrifuges. Cela s'impose d'autant plus que les institutions de l'UE ont été jusqu'à présent insuffisamment préparées à une telle augmentation de leurs membres. Pour ne pas arriver à une baisse d'efficacité, la réforme des institutions et du système de prise de décision s'impose mais se révèle être une tâche de longue haleine. Avec une hétérogénéité croissante et un déséquilibre des différents potentiels, une démarche commune s'impose en tant que preuve d'un sens des responsabilités européennes. Il est incontestable que le prix de l'extension ne devra pas se payer sous la forme d'un amoindrissement de la solidarité et d'une baisse de capacité d'action de l'UE. Cela réduirait à néant son sens historique et son utilité .

A propos de l'élargissement à l'Est, certaines questions reviennent toujours -notamment, celles des futurs objectifs et des différents chemins conduisant à l'unification en raison du mélange toujours plus important des intérêts, comme l'a signalé à juste titre le politologue Weidenfeld -. D'un point de vue politique et constitutionnel, il est indispensable de savoir si l'Europe va se définir comme une communauté de destin en instaurant une assise confédérale qui lui conférerait un rôle d'acteur à part entière sur la scène internationale, ou si elle se contentera d'être une entité intergouvernementale dotée d'un marché commun.

La question des limites de l'Europe et de la portée géopolitique de l'intégration européenne se pose avec insistance dès à présent. Les conflits potentiels liés à cette question se révèlent à travers la déception de la Turquie qui a provoqué une violente polémique. L'Allemagne en particulier a fait l'objet d'une accusation virulente à propos de la décision du Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement de décembre 1997 à Luxembourg. Ces derniers n'avaient pas admis la Turquie dans le cercle des candidats à l'UE qui avait été élargi à dix y compris le cas problématique de Chypre. Ankara se sent dupée, chassée, exclue. Mais la Turquie ne remplit pas les critères de Copenhague et les conditions qui permettraient l'engagement de négociations en vue de son adhésion.

D'autres pays se trouvent également à long terme hors du cercle de prospérité économique de l'UE, certains de leur propre fait et d'autres en raison d'une conjoncture interne ou régionale troublée. Que va-t-il alors se passer si l'Ukraine ou la Russie expriment un jour leur volonté de devenir membre de l'UE? Tôt ou tard la Communauté devra préciser si ces Etats ont réellement une perspective européenne; ainsi, au regard de leur situation géopolitique importante mais non moins sensible, de leurs rapports conflictuels avec nos convictions de base, de leur taille et de leur nombre d'habitants, le coût de l'intégration serait bien trop indigeste. Une UE qui comporterait la Turquie, l'Ukraine ou pour aggraver le tout, la Russie, n'aurait plus rien en commun avec le club des six de 1957. Elle deviendrait un colosse dont la taille la tiendrait en échec, sans qu'un projet civilisateur et unificateur ne puisse la renforcer. Ce que la Communauté des quinze ressent dès aujourd'hui comme un poids et qui sera accru dans une union à 20, serait ainsi décuplé d'une manière démesurée.

Cependant, on peut déjà envisager de futures relations qui surpasseraient largement le cadre d'une union douanière (à venir) ou un partenariat (inégal). En effet les prochaines étapes de l'élargissement révéleront une organisation souple et variable de l'Europe comme la règle et non plus comme l'exception. Par exemple, pourquoi la Turquie ne tirerait-elle pas profit de cette flexibilité et ne participerait-elle pas dans des domaines particuliers?

Traduction Forum


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