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Limites et conditions de l'élargissement
L'Union Européenne fait toujours du surplace devant le fossé qu'il faudra franchir pour mettre sur pied, de l'autre côté, un véritable Etat fédéral européen, susceptible de jouer un rôle de grande puissance mondiale, de même rang que les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et demain sans doute à nouveau la Russie. Pour que l'élargissement puisse se faire, les dirigeants des actuels Etats membres devront annoncer clairement les couleurs de l'Etat fédéral européen. S'ils ne le font pas, ou bien il n'y aura pas d'élargissement, ou bien il n'y aura plus d'Union Européenne.©1998
Joseph ROVAN - Professeur émérite à la Sorbonne


Joseph Rovan est également Président du Bureau International de Liaison et de Documentation (BILD) et Directeur de la revue franco-allemande "Documents".


L'élargissement de l'Union Européenne, c'est-à-dire l'inclusion dans cette union de nouveaux Etats membres situés en Europe de l'Est, en Europe centrale et dans l'Europe du sud-est, n'est pas seulement une question géographique. Il ne s'agit pas seulement de savoir si la Russie, la Turquie, la Biélorussie, l'Ukraine ou la Moldavie vont un jour, plus ou moins rapproché, faire partie de l'Union. Des négociations ont commencé, en première "urgence" avec la Pologne, la Hongrie, la République tchèque et la Slovénie en vue d'une entrée plus lointaine, avec la Roumanie, la Bulgarie et certains Etats baltes - la Lettonie figurait dans le premier "train". Dans celui-ci se trouve aussi la République grecque de Chypre - avec les difficultés particulières qui viennent de ses relations avec la Turquie. L'on ne parle pas dans l'immédiat de la Slovaquie, mais cela peut changer très vite puisque dans ce cas l'obstacle vient de sa situation politique intérieure -, ni bien entendu des autres Etats successeurs de l'ancienne Yougoslavie, ni de l'Albanie. Mais là aussi l'on peut imaginer des changements qui rendraient de telle négociations possibles à plus ou moins longue échéance. De toutes façons les processus seront longs, notamment à cause des retards mais aussi des dimensions des économies des Etats candidats. Il suffit de se rappeler que dix années se sont écoulées entre le début des négociations avec l'Espagne et le Portugal et leur entrée effective dans ce qui était alors la Communauté Européenne.

Etant donné le nombre et l'importance des candidats actuels et virtuels, leur entrée dans l'Union dans l'état qui est actuellement le sien, changerait la nature même de cette Union. C'est pourquoi il avait été décidé à la Conférence de Maastricht que les réformes intérieures nécessaires pour renforcer les structures intégrées et communes, et donnant une extension nouvelle aux transferts de compétences des Etats membres aux structures européennes, devraient précéder les négociations sur l'élargissement. Ces réformes ont été étudiées notamment dans le cadre de la Conférence intergouvernementale, mais les résultats, aboutissant aux décisions de la Conférence d'Amsterdam, ont été extrêmement limités et médiocres. Une fois de plus l'on a fait très peu de choses dans les domaines clés de la politique extérieure, de la politique de défense, dans celui de la sécurité intérieure et de l'immigration, secteurs où les résistances "nationales" contre les transferts de souveraineté sont particulièrement tenaces, et le seul domaine de grande signification où un progrès considérable a été réalisé se trouve une fois de plus dans le secteur économique : l'Euro, la monnaie commune est entrée dans la phase de réalisation, mais sans que les Etats aient décidé la mise en commun des décisions majeures en matière fiscale, des options majeures de la politique économique et de la politique sociale. En d'autres termes l'Europe, l'Union Européenne, fait toujours du surplace devant le fossé qu'il faudra franchir pour mettre sur pied, de l'autre côté, un véritable Etat fédéral européen, susceptible de jouer un rôle de grande puissance mondiale, de même rang que les Etats-Unis, la Chine, l'Inde et demain sans doute à nouveau la Russie. Or, si cet Etat fédéral n'est pas créé avant l'aboutissement des négociations sur l'élargissement celui-ci fera de l'Union une simple zone de libre échange, et même cet objectif là n'est nullement garanti quand on pense aux coûts que l'unification européenne fera peser sur les finances des Etats membres actuels et de leurs citoyens. Il suffit de se rappeler le coût de l'unification allemande dont les conséquences politiques au bénéfice des extrémistes de droite et de gauche commencent à peser lourd sur la vie politique allemande. Pour que l'élargissement puisse se faire, les dirigeants des actuels Etats-membres devront changer leur discours et annoncer clairement les couleurs de l'Etat fédéral européen.

S'ils ne le font pas, ou bien il n'y aura pas d'élargissement, ou bien il n'y aura plus d'Union Européenne.

Cette observation préalable majeure étant faite, l'on peut ajouter quelques mots sur les limites géographico-politiques de l'élargissement. Il est évident que la Russie, puissance mondiale à son compte, ne fera pas plus partie de l'Union que les Etats-Unis. Mais l'on peut imaginer une "alliance nordique" des Etats-Unis, de la Russie et de l'Europe, ayant des intérêts et des valeurs en commun. Je pense qu'il ne serait guère imaginable non plus, pendant longtemps au moins, d'inclure l'Ukraine, la Biélorussie et la Moldavie qui continuent à faire partie du pourtour de la puissance mondiale russe. Pour des raisons en partie analogues et en partie spécifiques, la Turquie ne pourra pas être une partie, un Etat-membre, de l'Union Européenne. D'une part à cause de son étendue et de sa population très largement extérieure à la culture européenne, et aussi, et même surtout, à cause de sa vocation de puissance-guide de l'Asie centrale peuplée en majorité de turcophones. Il en va de même des Etats d'Afrique du Nord, dont une partie des habitants sont très proches de nous et présents parmi nous (il y a beaucoup plus de Nord-africains en France que de Turcs en Allemagne), ou sur un autre plan de l'Etat d'Israël qui est pourtant de civilisation très largement européenne.

En conclusion, l'élargissement doit rester confiné grosso modo aux limites occidentales de l'ancienne Union soviétique et un tel élargissement ne sera concrètement possible qu'une fois établi solidement l'Etat fédéral européen (sur la base d'une commune économie sociale de marché).



Bibliographie

- "Mémoire d'un Français qui se souvient d'avoir été Allemand" - Ed. Seuil, 1999.
- "Bismarck, l'Allemagne, et l'Europe unie - 1898 - 1998 - 2098" - Ed. Odile Jacob, oct. 1998.
- "L'histoire de l'Allemagne des origines à nos jours" - Ed. du Seuil, 1994.
- " Citoyens d'Europe" - Ed. Robert Laffont, 1992.
- "Le Mur et le Golfe" - Ed. de Fallois, 1991.
- "Les comptes de Dachau" - Ed. Julliard 1987, rééd. le Seuil 1993.


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