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AUTRES TEXTES FRANCO-ALL. ET EUROPEENS
Propositions conjointes franco-allemandes pour la Convention européenne dans le domaine de la justice et des affaires intérieures - le 28/11/02
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Nov 22, 2003, 19:52




La réalisation d'un espace européen de sécurité, de liberté et de justice suscite une très forte attente de nos concitoyens qui n'acceptent plus que l'action des policiers et des juges s'arrête aux frontières alors que les criminels les franchissent facilement; ils n'acceptent plus non plus la gestion en ordre dispersé de phénomènes d'ampleur européen, qu'il s'agisse de l'immigration ou de la lutte contre certaines formes de criminalités internationales.
Après le marché intérieur et l'euro, elle représente la prochaine étape ambitieuse de la contruction européenne. Il s'agit tout à la fois de protéger les citoyens, dans le respect des garanties offertes par l'Etat de droit, en luttant contre la criminalité et contre les dangers menaçant l'ordre public, d'aider les Etats membres à assumer efficacement la responsabilité qui leur incombe pour la sauvegarde de la sécurité intérieure et de faciliter la vie quotidienne des citoyens européens dans l'exercice de leur liberté de circulation et d'établissement au sein de notre espace commun.
Les représentants des gouvernements français et allemand à la Convention européenne appellent de leurs voeux une démarche volontaire et exigeante pour relever ce défi majeur. A cette fin, ils présentent les propositions suivantes et invitent tout autre conventionnel qui le souhaite à s'associer à cette démarche.


I. Ampleur de la coopération policière et judiciaire en matière pénale

Dans le nouveau traité constitutionnel unique, des titres séparés devraient être attribués à la coopération judiciaire en matière pénale et à la coopération policière.

1. Parquet européen

L'autorisation de créer un parquet européen sera introduite dans le traité. Le parquet européen devrait être élaboré par étapes à partir d'Eurojust, pour passer peu à peu de simples pouvoirs de coordination à des pouvoirs de déclenchement de procédures d'enquête, de direction de celles-ci et d'évocation d'affaires.
Il pourra, notamment, être chargé de la protection de biens juridiques relevant du droit communautaire et de la poursuite de certaines formes graves de criminalité transfrontière.

Le Conseil pourrait décider des priorités d'action publique au plan européen.

Le parquet européen devrait saisir les tribunaux nationaux.

2. Autorité policière européenne: Europol

Nous avons pour objectif d'attribuer à Europol le droit de mener des enquêtes. Cet objectif devra être recherché parallèlement au développement progressif d'Eurojust et, à terme, du parquet européen.

Europol deviendra ainsi une autorité répressive européenne.
Europol sera développé, en tant qu'organe central. La façon d'utiliser le SIS à cet égard doit encore faire l'objet d'approfondissement.

L'activité d'Europol et la coopération policière devraient s'appliquer aux domaines suivants:

* échange et analyse de données;
mise en service d'un système de recherche commun;
* coopération opérationnelle comprenant les opérations policières transfrontières d'un ou de plusieurs États membres;
* appui mutuel dans l'accomplissement des tâches policières, comprenant l'affectation et le détachement réciproques de forces de police;
* transfert de certaines tâches policières aux États voisins ou à des services de police communs;
* coopération dans les domaines de la technique, de la recherche, de l'équipement, de la formation, y compris la création de structures communes si nécessaire;
* coopération avec d'autres autorités, notamment les autorités douanières et autres autorités financières;
* coopération entre la police et la justice pour les procédures pénales transfrontières.

Ces règlements peuvent également prévoir que les forces de police d'un État membre sont autorisées à exercer sur le territoire d'un autre État membre des droits de souveraineté dans certains cas de figure, dans la mesure où cela permet d'augmenter l'efficacité du travail de la police et où les autorités compétentes de l'État concerné sont informées sans délai.

Les règlements communautaires concernant les domaines susmentionnés n'affectent pas:

* la responsabilité des États membres sur le plan de la sauvegarde de la sécurité intérieure et de l'ordre sur leur territoire;
* les missions de renseignement lorsqu'elles sont effectuées par des forces de sécurité intérieure au bénéfice d'un gouvernement d'un État;
* le droit des États membres d'édicter d'autres règlements, soit chacun séparément, soit entre eux au titre du droit international, soit avec des États tiers (pas de limitation de compétences);
* le droit des États membres d'édicter des règlements d'exécution portant sur les règlements européens - et là aussi, soit chacun séparément, soit entre eux au titre du droit international, soit avec des États tiers.

3. Harmonisation du droit pénal matériel

Afin de préciser les compétences pour l'harmonisation du droit pénal matériel qui s'effectue actuellement au sein du troisième pilier sur la base de l'article 31 du TUE, une approche en trois points est proposée:

* Établissement d'une liste de délits
Terrorisme, trafic de drogue, trafic d'objets pouvant être utilisés à des fins de guerre, racisme et xénophobie, traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle, exploitation sexuelle d'enfants, y compris pornographie infantile, trafic illicite de migrants, blanchiment d'argent, corruption, emploi de faux dans les opérations de paiement, criminalité des cols blancs, dans la mesure où il s'agit d'atteintes aux principes et interdictions définis par les normes européennes, criminalité écologique, cybercriminalité, création d'une association de malfaiteurs et délits au préjudice de biens juridiques relevant du droit communautaire.

Il faudrait examiner en outre si cette liste doit être conçue de façon assez ouverte et pourrait être complétée le cas échéant ou si elle doit être envisagée comme exhaustive.

* Fixation de certains critères
La compétence de la Communauté intervient lorsque les critères restrictifs suivants sont réunis: les délits sont si graves que la lutte pour leur suppression est constitutive de l'espace commun de liberté, de sécurité et de justice et qu'elle s'avère également indispensable pour éliminer les niches sûres ou bien il s'agit d'un type de délits organisés ou d'un type de délits àportée transfrontière.

* Instauration de règles minimales
Deux approches sont possibles s'agissant de l'harmonisation du droit pénal. L'Allemagne privilégie l'instauration de règles minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et aux sanctions. Pour la France, l'objectif est l'établissement d'un socle commun de règles relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions.

Ainsi, la coopération policière et judiciaire est renforcée et le développement de l'entraide ainsi que l'application du principe de reconnaissance mutuelle sont facilités.


II. Ampleur de la coopération judiciaire en matière civile

Par des procédures d'adoption des textes qui se feront, à terme, à la majorité qualifiée, la Coopération en matière civile vise à créer, tel que convenu à Nice, un véritable espace judiciaire fondé sur le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires. Ces mesures comprennent l'amélioration et la simplification de la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ce qui peut se traduire en droit par la suppression de l'exequatur. La coopération judiciaire devra notamment prendre appui sur le réseau judiciaire européen.

Il pourrait être envisagé de soumettre la coopération judiciaire en matière du droit de la famille au régime général du droit commun du titre IV tel que prévu dans le traité de Nice.

La réflexion devrait être approfondie sur la possibilité d'une base juridique spécifique destinée à l'harmonisation juridique du droit civil dans les domaines touchant au marché intérieur.


III. Visas, asile, immigration, contrôle de personnes aux frontières extérieures

1. Politique d'asile et d'immigration

Afin de créer un espace commun de liberté, de sécurité et de justice, l'Union doit également poursuivre son travail d'harmonisation en vue de politiques communes dans le domaine de l'asile et de l'immigration. Ces politiques doivent être fondées sur le respect de la convention de Genève sur les réfugiés et les autres instruments pertinents en matière de droits de l'homme, sur la solidarité pour répondre aux besoins humanitaires, tout en tenant compte de la nécessité d'opérer aux frontières extérieures un contrôle efficace afin de stopper l'immigration clandestine et combattre la criminalité organisée. L'Union devra développer une approche commune en faveur de l'intégration dans les sociétés des Etats membres des ressortissants de pays tiers résidant légalement dans l'Union.

L'application de la majorité dans le domaine des visas, de l'asile et de l'immigration et le contrôle de personnes aux frontières, tel que prévu dans le traité de Nice, est notre objectif. Comme dans les autres domaines, l'établissement d'un socle commun de règles doit être recherché, aussi rapidement que possible.

2. La protection des frontières extérieures

La protection des frontières extérieures de l'UE deviendra une tâche commune incombant aux Etats membres et à l'UE, surtout dans la perspective de l'élargissement. Il s'agit notamment de mieux contrôler les flux migratoires et de lutter contre la traite des personnes et le trafic illicite de migrants ainsi que les trafics de marchandises.
Une échéance sera fixée pour la création d'une police européenne des frontières dotée de compétences de souveraineté et pour l'introduction, dans le nouveau traité constitutionnel, d'une base juridique correspondante.


IV. Protection civile

La protection civile est un domaine d'action de la Communauté européenne (article 3, paragraphe 1, alinéa u) du TCE) pour lequel il n'y a toutefois pas encore de base juridique spécifique réglant les procédures et les compétences de la CE dans ce domaine. Jusqu'à maintenant, on se réfère à la norme définie par l'article 308 du TCE (unanimité au Conseil, consultation du Parlement européen).
Nous devrions examiner la création d'une base juridique prévoyant une action communautaire dans le domaine de la protection civile.


V. Architecture institutionnelle

1. Suppression des piliers

L'attribution explicite de la personnalité juridique à l'Union implique la fusion des traités CE et UE et la suppression de la structure en piliers. Cette disparition de l'organisation en piliers ne fait pas obstacle à ce que des dispositions spécifiques soient prévues dans ce domaine, si cela s'avérait nécessaire. Elle doit s'accompagner de la préservation de la place du Conseil justice et affaires intérieures comme l'instance de décision appropriée dans ce domaine.

En principe, il faudrait utiliser les instruments au sein du premier pilier. Il s'agirait en premier lieu de supprimer la convention, qui est d'ores et déjà tombée en désuétude. En outre, la décision-cadre inspirée par la directive devrait être dorénavant remplacée par celle-ci.
Il faudrait examiner en outre la question de savoir s'il faut établir des bases juridiques pour permettre à l'UE de répondre à ses engagements en matière de lutte contre le terrorisme international et, si oui, lesquelles.

2. Régime de transition en matière policière

L'objectif est la généralisation du recours à la majorité qualifiée sauf pour les mesures comportant l'emploi de la contrainte.

Un régime de transition, comparable à celui défini à l'article 67 du TCE, sera convenu pour la coopération policière:

* le Conseil statue à l'unanimité pendant une période transitoire de trois à cinq ans
* la question de l'octroi au Parlement européen d'un pouvoir de co-décision doit être examinée;
* adoption d'un acquis de règles communautaires qui seront édictées pendant cette période, selon les modalités des articles 62 et 63 du TCE;
* ensuite passage à la procédure de codécision prévue à l'article 251 (et par conséquence vote à la majorité qualifiée au Conseil) par une décision à l'unanimité du Conseil.

3. Passage à la majorité qualifiée dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale

En principe, l'objectif est de passer à la majorité qualifiée. Comme il s'agit en partie de questions délicates fortement marquées par les traditions nationales, il faudrait garder le vote àl'unanimité pour certains domaines essentiels.

4. Règlements institutionnels spéciaux

* C'est la Commission et les États membres qui possèdent le droit d'initiative en matière policière.
* La Commission a compétence pour édicter des dispositions d'exécution sur la base d'une décision à l'unanimité du Conseil. En matière de comitologie, le Conseil a compétence, dans le domaine de la sécurité intérieure, pour édicter des procédures spéciales dans lesquelles les États membres jouent un rôle plus important que selon les règles institutionnelles générales.
* Les règlements communautaires en matière policière dans le domaine exécutif peuvent contenir des clauses d'exemption (opting-out) des États membres pendant une durée déterminée. Cette procédure permet à certains États membres de suspendre provisoirement l'application de règlements communautaires dans certains cas particuliers.
* La procédure des coopérations renforcées dans le domaine de la coopération policière peut être également appliquée lorsqu'une proposition de règlement trouve moins de huit promoteurs au sein du Conseil.

5. Rôle de la Cour de justice

La compétence de la Cour de justice est définie par les règles générales. Il faut en particulier introduire le recours en manquement. La Cour de justice n'est cependant pas compétente pour vérifier la validité d'opérations menées par la police dans un Etat membre ni pour statuer sur l'exercice des responsabilités qui incombent aux Etats membres pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure. En outre, il faut examiner l'opportunité d'unifier le régime applicable aux questions préjudicielles et notamment le rôle des diverses juridictions de chaque État.


Joschka Fischer

Dominique de Villepin




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